En faveur de la philosophie, continue-t-il, il traduisit Lucrèce presque tout entier et en vers46 ; et l’on auroit cet ouvrage, si son valet de chambre n’avoit pas pris ces feuilles volantes pour des papiers abandonnés, qu’il mit en papillotes pour mettre en boucles les perruques de son maître47. […] Il lui en coûta la vie, car, s’étant mis au lit en sortant du théâtre, sa toux redoubla avec tant de violence qu’il se rompit une veiné et mourut le même jour. […] Il avoit de petits cheveux crêpés avec lesquels il jouoit tous les rôles de héros sans avoir jamais voulu mettre de perruque. […] Pour varier ses inflexions, il mit le premier en usage certains tons inusités, qui le firent d’abord accuser d’un peu d’affectation, mais auxquels on s’accoûtuma. […] C’est l’anecdote du Souper d’Auteuil, souvent mise au théâtre, et, qui se rapporte à l’une des trois dernières années de la vie de Molière.
Son vers souple et aéré, sa forte prose, dont le temps n’a pas défait une maille, mettent en mouvement les humbles et les puissants, les seigneurs et les bourgeois, les amants et les amoureuses. […] Il met la raison au service de la bonté.
Au moment où il a compté l’argent et où il va emmener Celia, un sbire vient mettre le séquestre surtout ce que possède Mezzetin, et par conséquent sur l’esclave. […] Il fait mettre par son complice Spacca une bourse dans la poche du capitaine Bellorofonte. […] C’est exactement l’expression métaphorique qu’emploie Trufaldin à la scène iv du premier acte de L’Étourdi : Et vous, filous fieffés, ou je me trompe fort, Mettez, pour me jouer, vos flûtes mieux d’accord.
Si l’on a bien dans la mémoire l’ensemble des œuvres du comique français, on discerne sans peine l’élément important que lui a transmis la double veine, littéraire et populaire, de l’art italien ; élément important, non par le fonds des idées satiriques et morales, mais par l’abondance des moyens d’expression ; élément en quelque sorte matériel, artificiel, mis à la disposition du grand ouvrier. […] Molière recourait tout naturellement aux Italiens, à ces artistes turbulents, lorsqu’il avait besoin d’ac- célérer le mouvement d’une pièce ; c’est ainsi que, dans cette comédie de L’Avare, peinture d’un vice qui se soutient difficilement au théâtre, il mit à contribution cinq ou six canevas de la commedia dell’arte. […] La fameuse scène de la galère, que Molière emprunta à Cyrano de Bergerac, se trouve dessinée déjà dans un des canevas de Flaminio Scala : dans ce canevas intitulé Il Capitano, Pedrolino, afin d’arracher à Pantalon l’argent dont Oratio, fils de Pantalon, a un besoin pressant, vient lui raconter que ce fils est tombé entre les mains des bandits et mis à la rançon de cent écus.
Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que, pour avoir bien étudié, on est bien moins sage le plus souvent. […] Que dire de celui qui a fait le Tartuffe, et mis sur la scène ce qu’un moraliste osait à peine insinuer dans un livre spirituel769, ce qu’un prédicateur n’osait pas prononcer du haut de la chaire770 ? […] si la vraie piété est la vertu surhumaine qui ravit l’homme jusqu’à Dieu, et si une foi sincère est ce qu’il y a au monde de plus respectable, quel service n’est-ce pas rendre à la foi et à la piété que de mettre au pilori ceux qui empruntent un masque sacré pour satisfaire les deux plus honteuses passions, celle de l’or et celle de la chair ? […] Pour trouver des expressions qui en fassent sentir la haute moralité, on ne peut que citer Molière lui-même, quand il fut obligé d’implorer la puissance royale pour obtenir le droit de dire tout haut qu’un hypocrite est un scélérat et qu’un tartuffe est un sacrilège : J’ai mis tout l’art et tous les soins qu’il m’a été possible pour bien distinguer le personnage de l’hypocrite d’avec celui du vrai dévot ; j’ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat ; il ne tient pas un seul moment l’auditeur en balance ; on le connaît d’abord aux marques que je lui donne ; et d’un bout à l’autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action qui ne peigne aux spectateurs le caractère d’un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose772. […] En somme, il n’a mis en scène et n’a pu former, par conséquent, que des honnêtes gens indifférents.
Une telle crédulité effarouche son bon sens, Il se gausse de lui-même pour mettre les gausseurs de son côté. […] La franchise de son langage, la simplicité de ses manières dans la première moitié de la pièce la mettent à l’abri de tout reproche. […] Au lieu de se borner à mettre en relief toutes ses intentions, ils lui prêtent des intentions nouvelles qui l’étonneraient fort, s’il revenait parmi nous. […] Comme avant de se prononcer ils ne prennent pas la peine de s’informer, — quand ils ont donné leur avis, ils ne se mettent pas en quête d’arguments pour le soutenir. […] S’il ne signifie pas l’art de mettre en harmonie toutes les parties d’un rôle, il ne mérite aucune attention.
Je puis me tromper : je vais mettre le lecteur à portée d’en juger, & de prononcer contre Riccoboni ou contre moi. […] Dom Félix exige un aveu sans partage ; Laura est prête à le faire, quand Marcella, qui étoit cachée sous un rideau, dit qu’elle y va mettre bon ordre : elle se couvre de son voile, & passe devant Dom Félix en feignant de le quereller tout bas. […] Les Italiens représentent très souvent une piece dans laquelle Arlequin éprouve vingt-six infortunes, & c’est au hasard qu’il les doit toutes : il demande l’aumône à un cabaretier qui se trouve un frippon ; le hasard ne produit rien là de fort merveilleux : il traverse un bois, il rencontre, par hasard, des voleurs qui le déshabillent & lui volent sa bourse : il se couche dans une écurie, il se place par hasard auprès d’un cheval qui rue : il s’enveloppe dans une botte de paille au milieu du chemin, des voleurs y mettent le feu pour se chauffer : il veut entrer dans une maison par la fenêtre, le hasard veut que le balcon tombe précisément dans ce moment, &c. […] La jeune Phanostrate n’a pas été violée impunément ; elle devient enceinte, accouche d’une fille, met dans son secret un esclave nommé Lampadisque, qui va exposer l’enfant nouveau né avec des joujous dans un panier.