Cette scene est de la plus grande beauté, & elle ne doit, ainsi que plusieurs autres, tout son mérite qu’à la contrainte où se trouve le jaloux, qui n’ose le paroître : je conviens de tout cela ; mais le Lecteur intelligent doit convenir aussi que Dufresny s’est mis volontairement des entraves qui l’ont forcé de donner le même ton à-peu-près à toutes les scenes de son héros, au lieu que s’il eût tout uniment fait le Jaloux, il auroit pu mettre le Président tantôt dans une situation qui lui auroit permis de laisser voir son caractere à découvert, tantôt dans une autre qui l’auroit forcé de se déguiser comme Harpagon, l’inimitable Harpagon, qui dans un moment dévoile toute son avarice aux yeux de ses enfants, de son intendant, de Maître Jacques, & la déguise ensuite de son mieux en présence de sa maîtresse, lorsque son fils le poignarde en lui arrachant la bague qu’il a au doigt pour la donner à l’objet qu’il aime.
Qu’est-ce encore en comparaison d’Harpagon obligé de donner un repas, de céder une bague à sa maîtresse ?
Jourdain auprès d’une belle marquise dont il est lui-même l’amant ; et, ce qui n’est pas une feinte, il enrichit sa maîtresse, qui va devenir sa femme, des dons précieux qu’il est chargé par un autre de lui faire accepter. […] Elle est une de ces véritables servantes que Molière a mises le premier sur le théâtre, où elles ont retenu son nom, et qu’on y a remplacées, depuis, par ces élégantes et ingénieuses soubrettes, que le tablier seul distingue de leurs maîtresses.
C’est un rien qui nous place, un rien qui nous détruit : Un amant pour un rien révolte une maîtresse, Et par un rien un autre la séduit : Un rien fait tomber une piece, Un rien fait qu’elle réussit.
Au seizième siècle, Pietro Aretino intitula Il Finto une pièce dont le héros principal, Messer Ipocrito, est un parasite gourmand et sensuel qui, par de dévotes simagrées, domine l’esprit faible d’un vieillard nommé Lisco ; il lance aussi des œillades à la maîtresse du logis. […] De plus, La Cameriera nobile (la femme de chambre de qualité) aurait fourni le germe de deux scènes, celle où Maître Jacques fait le brave, comme Arlequin, jusqu’aux coups de bâton administrés par Valère, et celle où le cocher d’Harpagon s’ingénie, comme Scapin entre Pantalon et le docteur, à réconcilier le père et le fils, en leur persuadant que chacun d’eux cède à l’autre sa maîtresse. […] Il consent au double mariage, pourvu qu’on lui restitue son trésor ; puis, sûr qu’il ne payera pas son habit de noces, les frais du mariage, et les écritures du commissaire, au lieu d’aller, comme les autres, porter sa joie chez la mère de Valère, il court vers sa vraie, sa seule maîtresse ; il va revoir « sa chère cassette149 ». […] Bien qu’elle ne paraisse qu’à la scène 6 du deuxième acte, où elle éclate comme un ouragan contre la pauvre Martine et ses solécismes170, on reconnaît, dès cette première explosion, la maîtresse femme qui gouverne sa maison en despote, et mène son mari par le bout du nez171. […] S’il eût eu une maîtresse pâle, il n’eût jamais pu dire qu’elle ait été blanche ; s’il en eût eu une mélancolique, il n’eût pu dire, pour adoucir la chose, qu’elle ait été sérieuse.
L’auteur ne nous le montre qu’à la Bourse et dans le boudoir de sa maîtresse ; mais là se borne l’étude qu’il en fait. […] C’est qu’il s’harmonisait à merveille avec des idées préconçues qu’il s’était faites sur sa maîtresse et sur lui-même. […] Dorine, c’est Martine éduquée et devenue maîtresse femme. […] Puis, quand la querelle des deux amants à leurs maîtresses est épuisée, les hommes feignent de partir et sont poursuivis par les deux femmes à la queue leu leu, jusqu’à ce que la même discussion reprenne, mais cette fois, par un revirement familier au vaudeville, des deux maîtresses à leurs amants ; à la suite de quoi, même fuite et même poursuite en sens contraire. […] Il faut les aimer comme on aime un vieil ami, comme on aime une maîtresse qu’on aime.
Valere vient de faire tout ce qu’il a pu pour s’introduire chez Sganarelle, tuteur de sa maîtresse ; mais tous ses soins ont été inutiles.