Mais, toute réflexion faite, pourquoi perdre du temps & du papier à mettre sous les yeux du public les mêmes idées en deux langues différentes ?
Je voudrois qu’on pût introduire aux représentations de nos pieces mi-comiques, un étranger qui ne sût pas notre langue.
Les langues ont toujours du venin à répandre, Et rien n’est ici bas qui s’en puisse défendre.
Le théatre françois, ce théâtre élevé sur les ruines de tous les autres ; ce théâtre, l’objet de l’admiration & de la jalousie de toutes les nations policées ; ce théâtre qui a si bien contribué à porter la langue françoise dans tous les pays où l’on sait lire ; ce théâtre enfin que les peuples instruits veulent voir chez eux, ou qu’ils tâchent d’imiter, est aujourd’hui sacrifié au mauvais goût dans le sein de cette même capitale où il prit naissance, & qu’il couvrit de gloire.
Ce n’était pas le mépris des humains33 que Molière professait en s’adressant à elle : c’était, au contraire, le respect pour cette majorité des hommes, le peuple, à qui il voulait parler sa langue.
« [*]Notre langue a cet avantage sur les autres, qu’elle est beaucoup plus sage et plus retenue. La langue latine, surtout, dit presque toutes choses par leur nom, au lieu que la française se contente de faire entrevoir celles qui peuvent blesser la pudeur.
Moliere doit ses plus grandes beautés au célebre Augustin Moreto, Auteur Espagnol : ceux de mes Lecteurs qui entendent sa langue peuvent s’en convaincre en recourant à l’original ; il suffit aux autres de lire un extrait de la comédie, dans lequel j’aurai soin de faire connoître le génie du Poëte, & celui de sa nation.