sont remplies d’aventures arrivées réellement à diverses personnes ; mais elles n’étoient pas dignes d’être imitées, ou l’imitateur y a mal réussi, puisque les ouvrages dont elles sont l’ame n’ont fait que voir le jour & disparoître.
Ce passage immédiat du chant à la parole, que Rousseau blâme, comme un mélange hétérogène de deux langages trop divers, peut déplaire à l’oreille, mais on ne saurait nier qu’il ne soit avantageux à la structure de la pièce.
La femme d’un des meilleurs comédiens que nous ayons eus a donné ce portrait-ci de Molière : Il n’était ni trop gras, ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que petite, le port noble, la jambe belle ; il marchait gravement ; avait l’air très sérieux, le nez gros, la bouche grande, les lèvres épaisses, le teint brun, les sourcils noirs et forts, et les divers mouvements qu’il leur donnait lui rendaient la physionomie extrêmement comique.
Cela tient aussi à ce que Shakespeare étudie et peint l’homme surtout dans la passion, qui est mouvante, inégale et diverse, et monte ou s’abat selon la chaleur du sang ; tandis que Molière s’attache surtout au caractère, qui ne change point.
Dans les comédies d’intrigue, on voyait, sortant de la coulisse, la main du poète faisant mouvoir par un fil tous ses personnages ; sous leurs intonations diverses, on reconnaissait sa voix.
Molière On peut comparer Molière à un vaste réservoir formé de sources diverses, et qui, calme et profond, réfléchit magnifiquement la nature. […] Jourdain, entouré de ses divers maîtres, intéressés , à faire valoir leur art, et mettant sa robe de chambre pour mieux entendre un air, est le personnage le plus amusant du monde ; de quelle empreinte profonde le génie de Molière a su caractériser cette Nicole, dont le rire est si franc, servante qui ne le cède en rien à Martine, non plus qu’à Dorine et quelle admirable figure que celle de MmeJourdain, dont le bon sens emprunte une sagesse éternelle à la femme de Sancho Pança.
VI - Les idées générales de Rousseau et de Molière Nous avons vu les diverses raisons pourquoi Rousseau devait être choqué par les attitudes ordinaires de Molière ; mais il y a une raison plus générale et plus profonde par où, tout naturellement, Rousseau se sent écarté de Molière toutes les fois qu’il le prend en main ou toutes les fois seulement qu’il y songe ; c’est que toutes les opinions, toutes les idées générales de Rousseau sont directement contraires à celles du grand auteur comique. […] Et la troisième raison pourquoi le savoir des femmes non seulement est inutile aux hommes et non seulement leur est odieux, mais encore leur est nuisible, c’est qu’il risque de les détrôner, ce qui est le renversement des lois de la nature, puisque du côté de la barbe est la toute-puissance : « Les diverses manières d’envisager et de résoudre ces questions font que, donnant dans les excès contraires, les uns bornent la femme à coudre et à filer dans son ménage avec ses servantes et n’en font ainsi que la première servante du maître ; les autres, non contents d’assurer ses droits, lui font encore usurper les nôtres ; car la laisser au-dessus de nous dans les qualités propres à son sexe et la rendre notre égale dans tout le reste, qu’est-ce autre chose que transporter à la femme la primauté que la nature donne au mari ? […] Je remarque aussi que Martine, Nicole, Chrysale, Mme Jourdain, Alceste et Henriette suivent peut-être tous la nature, la bonne nature, mais la suivent par des chemins bien divers. […] Voilà des naturistes très différents au moins et la nature enseigne des choses bien diverses.