Ta muse, en jouant l’hypocrite, A redressé les faux dévots. […] « La galanterie n’est pas la seule science qu’on apprend à l’école de Moliere, on apprend aussi les maximes les plus ordinaires du libertinage contre les véritables sentimens de la religion, quoi qu’en veuillent dire les ennemis de la bigoterie ; et l’on peut assurer que son Tartuffe est une des moins dangereuses pour nous mener à l’irreligion, dont les semences sont répandues d’une manière si fine et si cachée dans la plupart de ses autres pièces, qu’on ose assurer qu’il est infiniment plus difficile de s’en défendre, que de celle où il joue pesle et mesle bigots et dévots le masque levé. » Il faut avouer néanmoins que celles qui jouent certaines professions et certaines passions peuvent être fort utiles.
Il avait déjà signalé sa haine pour l’hypocrisie, et la Chaire n’a rien de supérieur à la peinture des faux Dévots dans Le Festin de Pierre.
Sauf la gaieté obligée de la soubrette, tous les personnages sont sérieux, la mère et le fils par leur bigoterie, le reste de la famille par sa haine pour l’imposteur, et le beau-frère par ses sermons, où il prêche avec tant d’onction que les dévots de cœurs ne doivent Jamais contre un pécheur avoir d’acharnement, Mais attacher leur haine au péché seulement91. […] Dans Le Misanthrope, c’est Philinte qui prêche Alceste, et dans le Tartuffe, c’est Cléante qui prêche tout le monde : les dévots et les libertins, les hypocrites et les dupes, Orgon qui chérit Tartuffe plus que frères, enfants, mère, femme et lui-même, Tartuffe qui fait chasser Damis de la maison, et Damis qui veut lui couper les deux oreilles.
pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ! […] Rappelons d’abord le passage de Molière qui détermine le costume qu’il crut devoir donner à Tartuffe pour l’accommoder aux modifications introduites dans sa pièce afin de désarmer la coterie « dévote » ; dans sa première pensée, en 1664, Tartuffe portait certainement un costume dont la ressemblance, plus ou moins exacte avec celui des ecclésiastiques, provoqua les colères et les longues rancunes de cette coterie ; à cette date, Tartuffe convoitait-il autre chose que la fortune d’Orgon et sa femme ? […] Il est permis d’en douter ; car, dès l’instant où se révèle pour lui un projet de mariage, évidemment ce n’est plus un ecclésiastique qui est en scène, et la colère des « dévots » est sans objet, puisqu’il est vrai que ce n’est point des attaques contre la religion, mais des attaques contre eux-mêmes, que furent blessés ceux qui s’en scandalisèrent (Préface du Tartuffe). […] Loret, en effet, dans sa lettre du 3 juin 1656, parle d’un certain galant anonyme qui, étant entré dans une église, Était regardé comme un fou, Car il portait autour du cou, Un collet à si grande marge, C’est-à-dire si haut, si large, Que tous les dévots de ce lieu Songeaient plutôt à lui qu’à Dieu.
L’autorité de son nom eût rassuré les vrais dévots et forcé les autres au silence.
Cependant Molière, dans le Festin de Pierre, s’est élevé à une hauteur ou il n’était pas encore parvenu, et qui fait pressentir Tartufe, comédie que, du reste, il venait d’achever, mais dont les faux dévots s’étaient mis en devoir d’empêcher la représentation. […] Mais nous citerons l’autorité de Molière ;une anecdote prouve qu’il a cherché longtemps une expression aussi caractéristique que celle-là ; on assure que se trouvant un jour chez le nonce du pape, avec plusieurs ecclésiastiques, au visage papelard, on apporta des truffes, et que l’un d’eux s’écria avec un air admirable de goinfrerie dévote : Tartufoli, signor Nunzio, tartufoli. […] Dans Tartufe, la pensée est plus précise; elle se formule par une tirade directe contre les hypocrites et les dévots stupides qui devaient flétrir la fin d’un règne si brillant à son aurore, amener la révocation de VE-dit de Nantes, et transformer le sceptre de Louis XIV en quenouille de madame de Maintenon.
« Je doute (dit Molière lui-même à propos des exigences excessives de quelques dévots), je doute qu’une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine, et je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement (52). » Voilà le texte : le commentaire est dans ses pièces.