Le jeune Modène suivit cet exemple, et s’attacha à la fille d’un simple bourgeois de Paris, appelée Madelène Bejard, connue depuis par son goût pour le plaisir.
Dissimuler un tel transport, Cela sent son humeur bourgeoise. […] Une bourgeoise, femme de médiocre condition, qui demeuroit vis-à-vis de la maison de Don Pedre, charitable de son naturel, & prenant grande part aux peines de son prochain, s’apperçut bientôt & de l’amour de l’étranger, & du peu de progrès qu’il faisoit auprès de sa belle voisine.
Poquelin, en 1645, à vingt-trois ans, est de retour à Paris et reçu avocat, suivant toute apparence ; mais au lieu de plaider, il joue la comédie à la Porte-de-Nesle, au milieu d’une troupe bourgeoise organisée depuis peu par les deux frères Béjart et leur sœur Madeleine. […] Au milieu de la variété des personnages, rien de plus simple que le fond du sujet : Orgon a été autrefois un homme d’activité et de droit sens ; mais il a vieilli un peu, et, dans une position bourgeoise, il jouit, se repose et s’endort. […] Qui croirait, par exemple, que la grotesque dispute du maître de danse et du tireur d’armes avec le philosophe, dans le Bourgeois Gentilhomme, n’est que la mise en scène d’une querelle qui eut lieu, à cette époque, entre les maîtres de danse et les joueurs de violon ? […] Malade, mourant presque, mais chargé par le roi d’une comédie pour ses divertissements de Chambord, le voici qui écrit, dans sa solitude d’Auteuil, le Bourgeois gentilhomme, un de ses plus admirables chefs-d’œuvre, et assurément la plus mêlée, la plus tumultueuse de toutes ses comédies. […] Il redit une fois encore son amour dans le Bourgeois gentilhomme ; mais il ne l’y dit plus lui-même.
J’avoue que je ne saurais me résoudre à ranger le Bourgeois gentilhomme dans le rang de ces farces dont je viens de parler. […] Tout ce qui est autour de lui le fait ressortir : sa femme, sa servante Nicole, ses maîtres de danse, de musique, d’armes et de philosophie, le grand-seigneur, son ami, son confident et son débiteur; la dame de qualité dont il est amoureux, le jeune homme qui aime sa fille, et qui ne peut l’obtenir de lui parce qu’il n’est pas gentilhomme, tout sert à mettre en jeu la sottise de ce pauvre bourgeois, qui est presque parvenu à se persuader qu’il est noble, ou du moins à croire qu’il a fait oublier sa naissance, si bien que, quand sa femme lui dit : Descendons-nous tous deux que de bonne bourgeoisie ? […] Jourdain, sous le nom du courtisan Dorante; la galanterie niaise du bourgeois, et le sang-froid cruel de l’homme de cour qui l’immole à la risée de Dorimène, tout en lui empruntant sa maison, sa table et sa bourse; la brouillerie des deux jeunes amants et de leurs valets, sujet traité si souvent par Molière, et avec une perfection toujours la même et toujours différente : tous ces morceaux sont du grand peintre de l’homme, et nullement du farceur populaire. C’est là sans doute le mérite qui avait frappé Louis XIV lorsqu’on représenta devant lui le Bourgeois gentilhomme, que la cour ne goûta pas, apparemment à cause de la mascarade des derniers actes.
Écoutez ce même Pancrace proposer à Sganarelle de lui enseigner « si la substance et l’accident sont termes synonymes ou équivoques à l’égard de l’être ; si la logique est un art ou une science, si elle a pour objet les trois opérations ou la troisième seulement ; s’il y a dix catégories ou s’il n’y en a qu’une; si la conclusion est de l’essence du syllogisme ; si l’essence du bien est mise dans l’appétibilité ou dans la convenance ; si le bien se réciproque avec la fin, si la fin nous peut émouvoir par son être réel ou par son être intentionnel. » Le maître de philosophie du Bourgeois gentillhomme ne se montre pas moins habile que Pancrace dans les divisions et les subdivisions de la logique scolastique.
Jourdain apparaît comme une caricature, et cependant, c’est cette caricature qui, depuis Molière, incarne tous les travers et tous les ridicules du bourgeois parvenu.
Malin observateur de nos vices bourgeois, Bon et joyeux Picard, peut-être, quelquefois, Dans tes tableaux, brillants de vérité, de grâce, À nos petits travers tu donnas trop de place ; Mais que l’on applaudit le flexible talent Dont la variété nous charma si souvent, Et que de fois Picard, en voulant nous distraire, Dans la cause du rire a trouvé l’art de plaire !