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20. (1705) La vie de M. de Molière pp. 1-314

Je n’ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité. […] Il ne cachait point ces sentiments, et il disait publiquement qu’il ne cherchait point à se remettre avec lui, parce qu’il s’en reconnaissait indigne. […] Son neveu, qui était Procureur et de meilleur sens que lui, n’ayant pas voulu entrer dans son sentiment, cet Oncle furieux lui donna un coup de couteau, dont pourtant il ne mourut pas. […] Mais le Grand Seigneur avait les sentiments trop élevés, pour que Molière dût craindre les suites de son premier mouvement. […] L’envie et l’ignorance les soutenaient dans ces sentiments ; et ils n’omettaient rien pour les rendre publics par leurs discours, ou par leurs Ouvrages.

21. (1910) Rousseau contre Molière

Et ces sentiments sont-ils plus faibles dans les lieux où il n’y a point de spectacles ? […] L’amour du beau — c’est du beau moral qu’il est ici question — est un sentiment aussi naturel au cœur humain que l’amour de soi-même ; il ne naît point d’un arrangement de scènes ; l’auteur ne l’y porte pas, il l’y trouve, et de ce pur sentiment qu’il flatte naissent les douces larmes qu’il fait couler. » Je disais donc bien : 1° Le théâtre ne nous inspire que les sentiments que nous avons ; 2° ces sentiments que nous apportons au théâtre sont dirigés du côté du bien. […] 2° que, parmi les sentiments exprimés par les personnages, le public choisira précisément pour les caresser et pour les éprouver lui-même les sentiments mauvais, puisqu’il est foncièrement bon et n’apporte au théâtre que des sentiments tout prêts pour le bien ? […] Les droits les plus sacrés, les plus touchants sentiments de la nature sont joués dans cette odieuse scène. […] Or il lui semble bien que Molière est aussi étranger au sentiment religieux qu’il est possible qu’homme le soit.

22. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre premier. » pp. 5-11

Mais un dédommagement s’offre à nous ; c’est le tableau d’une société d’élite, qui s’éleva, avec le xviie  siècle, au sein de la capitale ; unit les deux sexes par de nouveaux liens, par de nouvelles affections ; mêla les hommes distingués de la cour et de la ville, les gens du monde poli et les gens de lettres ; créa des mœurs délicates et nobles, au milieu de la plus dégoûtante dissolution ; réforma et enrichit la langue, prépara l’essor d’une nouvelle littérature, éleva les esprits au sentiment et au besoin de jouissances ignorées du vulgaire. […] Molière vint : le talent du poète comique suppose une vive sympathie avec le sentiment général des ridicules, sans exclure, sans doute, l’appréciation du fond des choses, mais aussi sans y disposer. […] Les écrivains qui accréditent cette erreur ne remarquent pas que si leur opinion était juste, la gloire de Molière, qu’ils croient rehausser, serait au contraire rabaissée : car, s’il était vrai qu’il eut fait la guerre à la marquise de Rambouillet, à sa fille Julie, aux Sévigné, aux La Fayette, aux La Suze, au lieu de la faire seulement aux Scudéry, on pourrait dire qu’il est sorti vaincu d’un côté, étant vainqueur de l’autre, un effet, s’il a purgé la langue et les mœurs des affectations hypocrites et ridicules des Peckes, d’un autre côté les femmes illustres, qui ont survécu à l’hôtel de Rambouillet et en avaient fait partie, ont banni du langage et des mœurs des grossièretés et des scandales qu’il protégeait, et y ont apporté des délicatesses et des larmes dont elles ont eu les premières le sentiment.

23. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Méprises, des Equivoques & de ce qu’on appelle quiproquo au Théâtre. » pp. 474-489

Si mon sentiment n’est d’aucun poids, qu’on consulte là-dessus M. […] D’après le sentiment d’un aussi grand homme, & d’après l’expérience, on n’osera plus douter que les méprises, les équivoques ne soient les ressorts les plus propres à exciter le rire. […] Je crains d’avoir trop promptement découvert mes sentiments. […] Le voilà : vous y verrez clairement & à loisir les véritables sentiments que l’on a pour vous. […] C’est de mes sentiments l’expression fidelle.

24. (1865) Les femmes dans Molière pp. 3-20

Quoiqu’il en puisse être, ce qui me paraît ressortir de son œuvre tout entière, c’est que Molière a beaucoup aimé les femmes et qu’il a eu un juste et profond sentiment de leur vocation. […] eh bien, puisque, sans m’écouter, Vos sentiments brutaux veulent se contenter, Puisque, pour vous réduire à des ardeurs fidèles, Il faut des nœuds de chair, des chaînes corporelles, Si ma mère le veut, je résous mon esprit À consentir pour vous à ce dont il s’agit. […] Comme il prend plaisir à pénétrer et à révéler les doux secrets de ces jeunes cœurs s’entrouvrant aux plus tendres sentiments ! […] Le plus sûr et le meilleur, pour deux cœurs qui s’aiment tendrement, c’est de tempérer tout d’abord d’un peu, de beaucoup même, de raison et d’indulgence mutuelle, l’expansion de leurs sentiments les plus vifs, afin que par une sorte de réciproque d’une belle parole de l’Évangile, ils soient beaucoup aimés parce qu’ils auront beaucoup pardonné. […] Elle reçoit des visites et elle en fait, elle aime l’ajustement, les hommages ; elle ne saurait avoir une grande affection pour ce mari de toutes les facultés duquel Tartuffe s’est emparé et qui est comme abêti par le bigotisme absurde où il l’a amené ; mais heureusement c’est une femme d’esprit et de sens, qui a trop le sentiment de sa dignité personnelle pour ne pas rester fidèle à ses devoirs d’épouse, ne fut-ce que par respect pour elle-même.

25. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

Chaque sujet n’emporte avec lui qu’un certain nombre de sentiments à produire, de vérités à développer, et Molière ne peut donner toutes les leçons à la fois. […] une maxime honnête, liée à une situation forte de ses personnages, devient pour les spectateurs une vérité de sentiment. […] Serait-ce que les grands vices, ainsi que les grandes passions, fussent réservés à notre sexe, ou que la nécessité de haïr une femme fût un sentiment trop pénible, et dût paraître contre nature ? […] Avec quelle candeur comique un personnage grossier, dévoilant des idées ou des sentiments que les autres hommes dissimulent, ne trahit-il pas d’un seul mot la foule de ses complices ! […] Il étudiait l’homme dans toutes les situations ; il épiait surtout ce premier sentiment si précieux, ce mouvement involontaire qui échappe à l’âme dans sa surprise, qui révèle le secret du caractère, et qu’on pourrait appeler le mot du cœur.

26. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

On ne peut pas dire, pour expliquer cette conformité de sentiments, que madame de Staël fut de deux cents ans en arrière de son siècle, ni madame de Rambouillet de deux cents ans en avant du sien ; elles étaient toutes deux de leur temps, de leur sexe, et toutes deux plus sensibles aux plaisirs de l’âme et de l’esprit qu’à tout autre. […] Le style en est simple et noble ; les pensées en sont justes et pleines de raison ; les sentiments en sont vrais, élevés et profonds : on peut dans ces écrits rendre tout à la fois une idée juste de la portée et des directions de la marquise de Rambouillet, et des conversations qui avaient lieu dans son intimité. […] Je crois cet éloge bien mérité : et il est difficile de le croire une plate louange, quand on considère l’homme qui la donne, le fonds de l’ouvrage où il l’a placé, le sentiment qui l’anime en l’écrivant, celui qu’il suppose à la personne pour qui il l’écrit ; et enfin cet éloge vient si naturellement à la place où il se trouve, qu’on ne peut y méconnaître une sorte d’à-propos qui ne serait pas venu à l’auteur pour une femme vulgaire. […] n’était-elle pas de celles qui donnent à l’esprit le plus d’étendue et de lumières, qui s’allie ni le plus naturellement et le plus étroitement aux qualités morales, au perfectionnement de la raison, au sentiment du beau et du grand, à la délicatesse du goût, et se prêtent le mieux aux plaisirs d’une imagination sage et réglée ?

27. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Mais devaient-elles pour cela devenir simples et naturelles dans leurs sentiments, dans leurs manières, dans leurs expressions ? […] Ne pouvant plus aussi ouvertement raffiner sur le sentiment et le bel esprit, elles se mirent à déraisonner sur la science. […] Il semble nier positivement qu’il y eût, du temps de Molière, des hommes de l’humeur et du sentiment de Chrysale. […] Cette différence de conduite et de sentiments, dans une situation presque semblable, provient tout naturellement de la différence des états, des esprits et des caractères. […] Le feint trépassement d’Argan et les fausses lettres apportées par Ariste sont deux épreuves qui ont également pour objet et pour résultat de mettre en lumière les sentiments odieux de Béline et de Trissotin, en même temps que les sentiments honnêtes d’Angélique et de Clitandre.

28. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. Des Caracteres nationaux. » pp. 268-283

Mais si cette raison fait une objection contre mon sentiment, elle ne suffit point pour prouver le sentiment opposé à celui que j’expose ; d’ailleurs, je répondrai à l’objection, que Plaute & Térence ont pu se tromper. […] En se quittant, ils ne font que s’affermir dans des sentiments aussi louables. […]  Le sentiment me donne des lumieres.

29. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Je serais la plus heureuse personne du monde dans un pays où, pour peu qu’on ait de grandeur on en a toujours plus que de bonheur… J’ai beau renoncer à tous mes goûts, à tous mes sentiments, on m’accuse de choses horribles. » Plus loin : « On fera la Saint-Hubert à Villers-Cotterets ; on m’a donné 400 louis pour mes habits. » Ces lettres sont postérieures à l’établissement des enfants à Versailles, c’est-à-dire à 1674. […] Les choses terribles c’étaient des scènes de jalousie : les choses horribles qui étaient imputées à la gouvernante, c’était d’employer l’art, le manège, l’intrigue d’une femme galante pour séduire le roi ; tandis qu’elle renonçait pour la paix à tous ses goûts, à tous ses sentiments. […] Il faut s’éclaircir de leurs vrais sentiments à mon égard en leur proposant quelque chose de présent et de solide… Je veux que madame de Richelieu voie la froideur et l’indifférence de madame de Montespan sur tout ce qui regarde mes affaires essentielles. » Une lettre, datée de Versailles, le 6 août, au même abbé Gobelin, ne laisse aucun doute sur la brouillerie des deux dames, et sur sa cause, et sur la mauvaise humeur qu’en avait prise le roi, fatigué de leurs altercations. […] « Je ne sais si vous êtes content de cet établissement » (de cette dot pour mon établissement) ; « pour moi je le suis, et je changerai bien de sentiment si jamais je leur demande un sou.

30. (1874) Leçon d’ouverture du cours de littérature française. Introduction au théâtre de Molière pp. 3-35

» A tout prendre, j’aimerais encore mieux le sentiment de Boileau sur notre ancien théâtre, quoique ce sentiment ait été fort vertement réprimandé par la critique novatrice du temps présent, et que Boileau se soit attiré par-là, de la part de nos modernes Aristarques, le dur reproche d’ignorance. […] Bientôt l’amour, fertile en tendres sentiments. […] C’est à ce profond sentiment populaire que furent dus les chefs-d’œuvre des arts. […] Aux plus terribles moments de la passion, à l’agonie du Jardin des Olives et pendant les souffrances même de la croix, les joies du ciel et ses concerts adoucissent et, suivant l’expression d’Aristote, purifient le sentiment douloureux du spectateur. […] Cette même naïveté du dialogue, cette entente dramatique, cette vivacité et ce naturel des peintures et des sentiments, c’est encore notre plus ancien théâtre qui, dans le genre comique, nous en fournit des exemples.

31. (1747) Notices des pièces de Molière (1666-1669) [Histoire du théâtre français, tome X] pp. -419

Or c’est ce sentiment, ce jugement juste sur le choix d’un sujet, et sur l’effet d’un ouvrage dramatique, que Molière joignait dans un degré éminent à tous ses autres talents. […] Mais quand Molière eut bien préparé sa vengeance, il déclara publiquement qu’il les avait faits : Benserade fut honteux, et son protecteur se fâcha, mais il avait les sentiments trop élevés pour que Molière dût craindre les suites de son premier mouvement. » Ajoutons, pour terminer cet article, le sentiment de quelques auteurs célèbres sur la personne et les ouvrages de Molière. […] Molière, pour ne point heurter de front le sentiment des critiques, et sachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, donna au public le temps de revenir, et ne rejoua L’Avare que sept mois après. […] Pantalon, par un sentiment d’amour et de reconnaissance, ouvre sa bourse et donne à Scapin des poignées d’argent, pour chaque trait de louange qu’il lui rapporte. […] Elles lui donnèrent, à ce dernier moment de sa vie, tous les secours édifiants que l’on pouvait attendre de leur charité, et il leur fit paraître tous les sentiments d’un bon chrétien, et toute la résignation qu’il devait à la volonté du Seigneur.

32. (1802) Études sur Molière pp. -355

Sentiment sur la pièce. […] Sentiment sur la pièce. […] Sentiment sur la pièce. […] , ces vers, si pleins de sentiment, ne deviennent-ils pas niais et ridicules ? […] Quel malheur pour ces messieurs, que sa majesté n’eût pas dit son sentiment la première fois !

33. (1865) Les femmes dans la comédie de Molière : deux conférences pp. 5-58

Malgré sa prévention, elle est même capable de bons sentiments. […] Mais cette âpreté même est la marque d’un sentiment profond que Célimène ne comprend pas. […] Si elle éprouvait un sentiment vrai, elle ne serait plus coquette, car l’amour est exclusif. […] Il ne faut donc pas espérer d’elle un sentiment qui la corrigerait, si elle pouvait l’éprouver. […] Cet accord, cette soumission, ces sentiments si louables sont dus en partie à l’influence d’Elmire.

34. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Dans Tartuffe, il a mis en scène le plus odieux de tous peut-être, l’hypocrisie ; et, dans Le Festin de Pierre, il a, pour ainsi dire, personnifié tous les vices à la fois, en montrant un scélérat qu’aucun principe moral, aucun sentiment humain ne détourne de ses affreux penchants. […] Puis donc qu’il n’a plus en lui aucun sentiment humain, il est inévitable, il est juste qu’il c’en rencontre aucun dans les autres. […] Ils excuseront Cléante, parce qu’il est excusable ; mais ils ne l’approuveront pas, parce qu’il est criminel ; et le sentiment qui prévaudra dans leurs âmes sera celui de l’indignation contre un mauvais père, coupable d’avoir un mauvais fils, puisque, devant mériter son amour et sa vénération, il n’a su mériter que sa haine et son mépris. […] L’avarice de l’autre, au contraire, sans cesse aux prises avec le sentiment des convenances sociales, et la crainte des jugements publics, sans cesse en butte aux plaintes, aux ruses et aux sarcasmes d’une famille qui pâtit au sein de la richesse, offrira ce conflit, cette lutte du caractère et de la situation, qui est le véritable ressort de l’intérêt comique. […] Cette comédie, qui fait aujourd’hui lever le cœur des garçons de boutique au parterre, et des filles de comptoir en loge, amusa beaucoup Louis XIV et sa cour, qui apparemment se connaissaient moins en bonne plaisanterie, et n’avaient pas un sentiment aussi délicat des bienséances.

35. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Elle exprime un sentiment juste et vrai. […] Si les paroles du roi ne prouvent pas en lui réveil d’un sentiment nouveau, il est du moins certain qu’elles durent faire une vive impression sur deux personnes fort intéressées a les étudier, après les avoir entendues. […] Le 19, elle écrit à d’Aubigné une lettre qui respire la reconnaissance, l’amour pour le roi, et le sentiment de la faveur toute particulière à laquelle d’Aubigné doit cette place.

36. (1686) MDXX. M. de Molière (Jugements des savants) « M. DXX. M. DE MOLIÈRE » pp. 110-125

Bouhours, semble n’avoir pas été du sentiment de ce père sur le peu de reconnaissance que le public a témoigné pour tous ses services après sa mort. […] La galanterie n’est pas la seule science qu’on apprend à l’école de Molière, on apprend aussi les maximes les plus ordinaires du libertinage, contre les veritables sentiments de la religion, quoi qu’en veuillent dire les ennemis de la bigoterie, et nous pouvons assurer que son Tartuffe est une des moins dangereuses pour nous mener à l’irréligion, dont les semences sont répandues d’une manière si fine et si cachée dans la plupart de ses autres pièces, qu’on peut assurer qu’il est infiniment plus difficile de s’en défendre que de celle où il joue pêle et mêle bigots et dévots le masque levé. […] Rapin nous fait connaître qu’il est aussi dans le même sentiment, et il est allé même encore plus loin que ces deux critiques, lorsqu’il dit, qu’à son sens c’est le plus achevé et le plus singulier de tous les Ouvrages comiques qui aient jamais paru sur le théâtre9.

37. (1816) Molière et les deux Thalies, dialogue en vers pp. 3-13

Si vous croyez encor m’avoir sous votre loi, Donnez-moi des rivaux qui soient dignes de moi Mais non ; pour vous prouver que mon cœur froid, paisible, De sentiments jaloux ne vit plus susceptible, Après avoir exclu Dorat et Marivaux, Quittez ce fier dédain pour vos amants nouveaux ; J’ose vous en prier : plusieurs, quoi qu’on en dise, Sont dignes de Thalie ; à tort on les déprise. […] Ce sentiment seul sans doute a pu faire comparer Dancourt à M. […] Quel que soit le peu d’importance de mon opinion, je crois devoir prévenir le lecteur que, pour l’émettre, je n’ai cédé qu’au sentiment d’une juste admiration.

38. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVI » pp. 279-297

Le nouveau bienfait qu’elle recevait, la confiance et l’estime dont ce bienfait était le témoignage, ne durent pas affaiblir la reconnaissance qu’elle avait gardée du premier, et le roi n’eut pas besoin de donner à ses paroles un accent d’affection extraordinaire pour accroître ce tendre sentiment dans l’âme de madame Scarron. […] Les bienfaits du roi, ses regards, unirent tous les sentiments de madame Scarron dans celui de la reconnaissance et dans l’espérance confuse d’obtenir du monarque sa confiance, plus précieuse que ses plus grands bienfaits. […] Autant vaudrait lui déclarer l’indifférence la plus offensante, du mépris, même de l’aversion, et provoquer sa haine quand on souhaite avec ardeur obtenir de lui un sentiment contraire. Pour conserver l’affection du prince en même temps que son estime, pour ne pas mentir au sentiment qu’il avait inspiré sans y céder, il fallait qu’en résistant à ses désirs, on laissai voir une pressante disposition à y céder, mais en même temps une soumission profonde à une puissance qui ordonne d’y résister ; il fallait, en faisant souffrir de sa résistance, qu’il fût certain qu’on en souffrait soi-même.

39. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE X. Du Père, de la Famille, de l’Etat. » pp. 193-216

Que peut-on trouver dans toutes ces maisons-là, que des gens forcés de vivre en commun par la loi et l’usage, les uns bons, les autres méchants, la plupart ridicules, sans qu’ils aient les uns ni les antres aucun sentiment des obligations et des tendresses du sang, ou que nulle part, dans leur intimité, on sente le souffle d’affection qui rassemble et réchauffe les cœurs autour du père ? […]   C’est une singulière aberration du génie, que de méconnaître ce qu’il y a de touchant, de grand, de dramatique à l’occasion, dans les sentiments de respect, d’affection et de dévouement qui constituent la famille. […] Même chez les adorateurs de Vénus et de Bacchus, l’instinct moral conservait le sentiment de ces choses sacrées. […] Pour moi, je vous l’avoue, j’ai les sentiments, sur cette matière, un peu plus délicats. […] Dans ce hardi petit chef-d’œuvre, il faut remarquer la scène des Porteurs 723, où le sentiment des droits et de la valeur du peuple respire autant que dans celle du Pauvre 724.

40. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE XII. Réflexions Générales. » pp. 241-265

Il faut se demander d’abord quels étaient les sentiments moraux de Molière, ce qu’il pensait lui-même du vice, de la vertu, du devoir. […] Après l’étude qu’on vient de faire, on peut être étonné d’entendre Molière déclarer qu’il n’y a rien de plus « innocent » que ses comédies ; on éprouve le même sentiment qu’en entendant La Fontaine déclarer qu’il n’y a rien de mauvais dans ses Contes 829. […] Présenter des images très délicates et en même temps très pratiques de l’honnêteté la plus élevée, de l’amour le plus naturel et le plus pur, c’est évidemment rendre service aux hommes et leur insinuer doucement le sentiment de la joie intime et de la dignité que produit le noble usage de leurs facultés. […]   Alors on se retourne vers Molière avec un sentiment d’admiration et d’intérêt plus vif encore que toute l’émotion causée par son génie. […] — Mais Molière peut sur plus d’un point, et par plus d’une comédie, inspirer des sentiments immoraux, au point que son théâtre ne soit plus, pour beaucoup de gens, une distraction, mais une corruption.

41. (1900) Molière pp. -283

Et cette joie, toute naïve qu’elle est, est touchante, car le sentiment est profond et sincère. […] Quand bien même il ne resterait sur terre que deux familles, ces deux familles recèleraient en germe toutes les combinaisons possibles de tous les sentiments contraires. […] Ce seul fait a modifié et transformé le sentiment fraternel aux deux époques ; il ne se ressemble plus du tout. […] Personne, quand il le fallait, n’a eu, autant que lui, de mesure dans l’expression d’un caractère et d’élévation dans les sentiments et les pensées ! […] Prince de Conti, Sentiments des Pères de l’Église sur la Comédie et les Spectacles.

42. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXII. » pp. 426-435

Pour moi, je vous l’avoue, j’ai les sentiments, sur cette matiere, un peu plus délicats. […] Voilà bien les sentiments d’un petit esprit, de vouloir demeurer toujours dans la bassesse. […] « Quel malheur pour les courtisans que Sa Majesté n’eût pas dit son sentiment la premiere fois !

43. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII.*. M. PIRON. » pp. 277-287

En jugeant les Auteurs morts nous n’avons fait, ou du moins nous sommes censés n’avoir fait, que recueillir les divers sentiments des hommes lettrés & des personnes de goût de toutes les nations : mais de quel droit nous aviserions-nous de prononcer sur les vivants, tandis que la renommée encore incertaine répete confusément ce que les partisans ou les ennemis de leur genre disent tour à tour sur leur compte. […] Ils lui jurent tous fidélité, amour, vénération ; ils auroient promis, s’il eût voulu, qu’ils l’adoreroient : les anciens sentiments qui avoient déserté leur cœur, revinrent ; je juge toujours par les apparences. […] Le vieillard vécut cinq ou six ans : il eut le plaisir de voir toujours ses enfants dans cette même crise de sentiments : il n’avoit qu’à souhaiter, on se rendoit à ses desirs, on le prévenoit même, on ne lui épargna rien.

44. (1746) Notices des pièces de Molière (1661-1665) [Histoire du théâtre français, tome IX] pp. -369

La tragédie du Cid est précédée de deux romances espagnoles, et d’une préface dont voici un passage qui servira de supplément à l’article de cette pièce* ; il découvre les véritables sentiments de l’auteur. […] La première, que j’aie convenu de juges touchant son mérite, et m’en sois rapporté au sentiment de ceux qu’on a prié d’en juger. […] Molière, en portant cette même surprise au théâtre, semble l’avoir affaiblie, lorsqu’il fait dire à la princesse qu’elle a imaginé un moyen de découvrir les véritables sentiments du prince. […] Le prince ne manque pas de lui représenter que ce n’est que pour mieux observer les règles du jeu qu’il a parlé de la sorte, et que ce ne sont point ses véritables sentiments qu’il a exprimés. […] « Dans la dernière scène du troisième acte, la princesse dit, en quittant le théâtre, qu’elle vient d’imaginer un stratagème qui lui fera découvrir infailliblement les véritables sentiments du prince.

45. (1852) Molière — La Fontaine (Histoire de la littérature française, livre V, chap. I) pp. 333-352

Lorsque cette guerre d’intrigues, de chansons, de pamphlets, de perfidies réciproques a cessé, tous les acteurs après avoir changé de rôle plusieurs fois, n’ayant rien à s’envier ni à se reprocher en fait de versatilité et de ridicule, prennent bravement leur parti : les princes deviennent la décoration du trône et ses fidèles appuis ; le parlement, abandonnant toute ambition politique, se résigne à enregistrer docilement les édits de toute nature ; le clergé se retranche dans son domaine spirituel et fait retentir dans les temples la parole de Dieu, mêlant à ses leçons religieuses ses hommages au monarque, pendant que la nation sous l’aile de la royauté se fortifie par l’industrie et par la science, et prend peu à peu le sentiment de ses devoirs et de ses droits pour remplir les uns et faire valoir les autres quand son heure sera venue. […] Nous savons bien que cette médaille a son revers, et le temps viendra de le montrer ; mais comment ne pas s’arrêter d’abord dans un sentiment de profonde admiration, devant les merveilles qui ont porté si haut et si loin la gloire du nom français. […] C’est sans doute sa propre opinion qu’il exprime, lorsqu’il met dans la bouche de Dorante1 ce parallèle de la tragédie et de la comédie : « Je trouve qu’il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins et dire des injures aux dieux, que d’entrer comme il faut dans les ridicules des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. […] Ces vers de longueur inégale ne viennent pas par caprice, ils sont amenés par une secrète raison d’harmonie ou de sentiment. […] Il nous a fallu l’aveu direct et public de quelques insensibles pour être assuré que La Fontaine n’avait pas pour lui l’universalité des suffrages ; mais si le sentiment des beautés dont il abonde a été refusé à quelques-uns, il n’a été donné à personne de pouvoir désabuser le monde d’une admiration qui a ses racines dans le cœur de l’homme.

46. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VIII. Le Mariage. » pp. 145-165

Bélise est folle, avec son galimatias de langage pudibond et de sentiments épurés, comme Tartuffe est infâme avec sa lubricité cupide. […] Bien plus encore, en face d’un homme, d’un amant, c’est l’homme et l’amant raisonnable dont le langage est chaste, et c’est la femme éthérée qui parle des sentiments brutaux, du commerce des sens, des nœuds de chair et des sales désirs 501. […]   C’est, on le répète, une leçon variée à l’infini et toujours la même ; c’est l’affirmation continuelle que le mariage ne peut être bon ni heureux s’il ne repose que sur une affection naturelle, un dévouement réciproque, et un profond sentiment du devoir. […] « Une grande inégalité d’âge, d’humeur et de sentiments rend un mariage sujet à des accidents très-fâcheux548. » VIII.

47. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXV. Du contraste des Caracteres. » pp. 386-397

Enfin j’ai voulu vous parler pour m’aider à sonder mon pere sur les sentiments où je suis ; &, si je l’y trouve contraire, j’ai résolu d’aller en d’autres lieux avec cette aimable personne, jouir de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. […] Diderot sur sa parole ; mais je sens bien vivement le bonheur de me trouver de son sentiment à l’égard des pieces de théâtre. […] Je suis vrai, & j’avouerai que je ne suis pas de ce sentiment.

48. (1862) Molière et ses contemporains dans Le Misanthrope (Revue trimestrielle) pp. 292-316

Il est ennemi de la flatterie... et je suis persuadé que s’il eût été amoureux de quelque dame, qui eût eu quelques légers défauts ou en sa beauté ou en son esprit, ou en son humeur, toute la violence de sa passion n’eût pu l’obliger à trahir ses sentiments. » Si l’on en croit Tallemant des Réaux, Mme de Rambouillet, sa belle-mère, elle-même, aurait fait de Montausier ce portrait peu flatteur : « Il est fou à force d’être sage. […] Sans doute, il y a dans le choix tel sujet un indice grave des dispositions d’esprit où se trouvait l’auteur ; et Molière., comme Shakspeare, lorsqu’il conçut l’idée de mettre sur la scène un misanthrope, devait être plus porté à la mélancolie qu’à la gaieté, et voir surtout le côté triste des choses humaines; mais ses plaintes amères contre l’humanité, qu’il a mises dans la bouche de son héros, ne sont pas pour cela l’expression vraie de :ses sentiments personnels, une diatribe sociale derrière laquelle se cache l’auteur20 Non, Molière n’est pas Alceste tout entier; car, si parfois il semble s’être identifié avec son personnage, souvent ; aussi il l’abandonne : on en voit ,1a preuve dans les avertissements et les leçons qu’il lui fait donner par ceux qui l’entourent ; tel est en particulier le rôle de Philinte. Enfin, bien qu’il soit difficile de distinguer, dans une œuvre littéraire, ce que l’auteur a éprouvé de ce qu’il a imaginé, on peut dire que tout ce qui dépasse l’accent mélancolique n’appartient pas aux sentiments du poète et n’est que le produit de son imagination. […] Il lui raconta, avec des accents si vrais et si douloureux qu’ils pénétrèrent le cœur de Chapelle, sceptique en amour comme en toutes choses, ses tristes désillusions, ses vains efforts pour ramener à des sentiments sérieux ce cœur léger et frivole, et les chagrins que lui causa‌ la folie passion d’Armande pour le comte de Guiche. […] Ne voyez-vous pas la délicatesse d’un amant généreux dans la manière même dont il a su éloigner de votre cœur tout sentiment de mépris pour Célimène ?

49. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre premier. Préliminaires » pp. 1-8

Aujourd’hui un tout autre sentiment dirige les recherches dans le même sens, c’est l’intérêt de plus en plus vif qui s’attache à tout ce qui a pu servir son génie, c’est le désir de montrer comment l’imagination ne crée point de rien, comme quelques-uns se le figurent, mais transforme et vivifie ce qu’elle touche, et d’une chose morte fait une chose impérissable. […] Molière n’eut garde de dédaigner les leçons de ces excellents praticiens : il apprit à leur école à traduire pour la perspective de la scène telle disposition de caractère, tel retour de sentiment, telle préoccupation d’esprit dans un personnage.

50. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXI. De la Catastrophe ou du Dénouement. » pp. 503-516

Ceux qui parlent ainsi auroient certainement un sentiment tout opposé, s’ils eussent étudié son théâtre ; & ils n’auroient pas entraîné dans leur sentiment ces êtres bornés, fléau des gens de lettres, qui ne jugent jamais que sur parole ou par contagion. […] J’ai toujours admiré le dénouement de l’Amour Médecin, & j’ai été bien flatté de voir Riccoboni de mon sentiment, parcequ’il est très agréable de penser comme un homme de goût.

51. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

la parole n’a-t-elle pas été donnée à l’homme pour expliquer ses sentiments ? Explique-moi tes sentiments par la parole ; c’est le plus intelligible de tous les signes. — Tu as raison, je dois pouvoir te rendre compte de ce que je sens. […] Notre sentiment littéraire s’émancipe tellement, nous songeons si peu à exercer le moindre contrôle sur nos mouvements de sympathie et d’antipathie, que nous en venons quelquefois aux confidences les plus compromettantes. […] Le sentiment de la beauté lui-même, est-il bien nécessaire de le conserver ? […] J’exciterais dans le cœur de mon petit écrivain en herbe de beaux sentiments d’émulation, et je proposerais sans cesse à nos artistes l’étude des grands modèles.

52. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Jamais on n’a exprimé avec plus de force ce sentiment, ni mieux enseigné aux hommes à se défier de ses séductions. […] Peut-être espérait-il lui inculquer ainsi le sentiment du devoir. […] Qui donc, ayant le sentiment de la vertu et de l’honneur, n’est pas tout prêt à s’écrier, comme le duc de Montausier, qu’il voudrait ressembler à cet homme ? […] L’ignorance des docteurs de son temps était ainsi que nous l’avons dit, telle que le sentiment public le secondait, non moins que le bon plaisir du roi. […] Plus tard, les sentiments changèrent.

53. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

La poésie, comme toute chose de l’esprit, s’adresse à l’esprit, et doit lui offrir, sous sa forme et dans sa langue divines, des idées humaines et des sentiments humains. […] Mais si une petite cité voisine avait choisi pour elle les institutions parfaites de la République, et que sa conduite fut restée conforme à cet idéal supérieur, quels n’auraient pas été à son aspect les sentiments de ces philosophes étrangers qui voyageaient par toute la terre pour trouver un modèle de législation ? […] Car ils sont tellement maladroits et ils ont si peu le sentiment des convenances de l’art, qu’ils osent, dans leurs copies ou leurs imitations, l’un, omettre beaucoup de scènes et de caractères, l’autre, fondre en une seule deux pièces du grand modèle grec66. […] Le secret du poète comique pour empêcher que nos sentiments moraux ne soient blessés, ce n’est pas de tenter entre son art et la morale une conciliation impossible, c’est de les séparer par convenance. […] Il ne se préoccupe dans toutes les pièces de théâtre, que du squelette et de l’arrangement de la fable, sans s’inquiéterle moins du monde de ce qu’un auteur peut nous offrir de grâce, de vie, de politesse et d’élévation dans les sentiments.

54. (1914) En lisant Molière : l’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Beaucoup d’hommes de votre classe sont dans ces sentiments. […] — Ce n’est pas mon sentiment, pour moi, observe Uranie. […] Il est le bourgeois qui prétend que sa femme soit son bien comme sa maison est son bien, il a eu ce sentiment tout jeune. […] Elle a l’esprit de Molière, les sentiments de Molière, les idées de Molière, le style de Molière, quand il est le meilleur. […] Non, Don Juan n’a pas gardé le sentiment de l’honneur ; Don Juan est une espèce.

55. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

Un sentiment amer les avertit qu’ils ne font pas en eux-mêmes à l’espèce humaine tout l’honneur quelle peut recevoir. […] Les grandes comédies de Molière sont tristes ; elles laissent dans l’âme un sentiment douloureux. […] Cette satire du mariage achèvera-t-elle les beaux sentiments que la vertu de Pauline aurait commencé d’inspirer ? […] Les sentiments pieux, mon frère, que voilà ! […] Cependant, un sentiment à la fois très bizarre et très naturel subsiste au fond de son âme.

56. (1819) Notices des œuvres de Molière (IV) : La Princesse d’Élide ; Le Festin de Pierre pp. 7-322

L’attachante simplicité du drame français a remplacé la fatigante complication de l’imbroglio espagnol ; à de longues conversations où la subtilité s’unit à l’emphase, a été substitué un dialogue précis, simple et naturel ; des invraisemblances de caractère ou de situation ont disparu ; enfin, un dénouement, qui choque à la fois la raison et les convenances, habilement modifié, est devenu un dénouement nouveau, où sont ménagées toutes ces délicatesses de sentiment et toutes ces bienséances de mœurs qui embellissent la passion de l’amour. […] Ce gouverneur d’Euryale, qui, au lieu de blâmer ou de réprimer les tendres sentiments de son élève, les justifie et les encourage, lui confesse qu’il s’inquiétait jusque-là de voir qu’un jeune prince, en qui brillaient tant de belles qualités, ne possédât pas la plus précieuse de toutes, ce penchant à l’amour, qui peut tout faire présumer d’un monarque, et auquel les héros doivent leurs plus grandes actions, mais lui déclare que, rassuré par la passion dont il vient de lui faire l’aveu, il le regarde à présent comme un prince accompli  ; cet Arbate, dont le langage convient si peu à son grave emploi, parle en courtisan de Louis XIV, charmé des faiblesses de son maître, et empressé de les flatter, dans l’espoir d’en tirer parti pour sa fortune, ou du moins pour ses plaisirs. […] On peut, sans être coupable de cette odieuse imposture, affecter une foi plus ardente et une conduite plus régulière qu’on ne l’a réellement : c’est moins feindre un sentiment qu’en outrer les apparences, et soi-même alors on est dupe le premier de sa propre exagération ; mais celui qui cache une âme perverse et des mœurs infâmes sous les dehors d’une piété profonde, et qui allègue l’intérêt du ciel pour commettre et justifier tous les crimes, celui-là est un véritable hypocrite, et cet hypocrite est nécessairement un athée. […] On répéta beaucoup dans le temps ce mot d’une femme à Molière, qui l’avait priée, disait-on, de lui faire connaître son sentiment sur la pièce  : Votre figure baisse la tête, et moi, je la secoue.

57. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

Et cependant il ne s’agit que d’un langage apprêté, que de sentiments romanesques alors à la mode. […] Sans doute, dans la même situation, deux hommes d’un rang différent, un prince, un valet, éprouveront des sentiments semblables, leurs impressions seront les mêmes ; mais leur langage sera distinct, leur manière de s’exprimer différera. […] J’ai souvent entendu plusieurs personnes marquer leur étonnement sur le peu d’effet que nos excellentes comédies produisent sur le peuple, sur les gens sans éducation si sensibles aux sentiments gigantesques, à l’enflure, aux images presque toujours fausses et exagérées des mélodrames. […] Il semble que, pressé par un sentiment secret, il ait voulu rassembler toutes ses forces, toute sa vigueur pour créer, pour enfanter le chef-d’œuvre de tous les temps, et marquer le terme où l’art doit s’arrêter à jamais.

58. (1820) Notices des œuvres de Molière (V) : L’Amour médecin ; Le Misanthrope ; Le Médecin malgré lui ; Mélicerte ; La Pastorale comique pp. 75-436

La satire, il est vrai, sortait de la bouche de dom Juan, qui ne croit à rien de ce qu’il faut croire, ne respecte rien de ce qu’il faut respecter ; et, bien que son incrédulité, criminelle et absurde sur quelques points, pût être innocente et raisonnable sur d’autres, les médecins et le public hésitèrent peut-être d’abord à penser que l’auteur eût fait, d’un si odieux personnage, l’interprète de ses vrais sentiments, même en une matière qui n’intéresse ni la foi, ni la morale ; mais L’Amour médecin, qui suivit de près Le Festin de Pierre, vint dissiper le doute, et prouver que Molière n’était pas moins impie en médecine que dom Juan. […] A la vérité, Dupuis, en refusant de marier sa fille, n’est jaloux que de sa tendresse, et la dot qu’il faudrait donner ne lui tient point au cœur : en général, il couvre d’une certaine délicatesse de sentiments, le fond d’égoïsme que Sganarelle montre à nu ; mais Dupuis est un homme de la haute finance du dernier siècle, et Sganarelle est un petit bourgeois de la jeunesse de Louis XIV ; mais Dupuis et Desronais est un drame, et L’Amour médecin est une comédie. […] Si l’on éprouve pour lui de tels sentiments, c’est que Molière l’en a fait digne : ce grand poète ne prévoyait sûrement pas qu’on dût prendre un jour contre lui la défense d’Alceste, et s’armer, pour l’attaquer lui-même, de tout l’intérêt qu’il a voulu qu’inspirât ce personnage. […] Lorsque Louis XIV bannissait de ses appartements les tableaux naïvement rustiques de Téniers, il ne devait être permis d’étaler à ses regards des scènes pastorales, que sous la condition d’ennoblir les sentiments et les discours des personnages. […] Le naturel de l’auteur, c’est-à-dire le génie comique perce et se montre par intervalle à travers ce mélange de sentiments guindés et d’aventures romanesques ; mais ce sont des lueurs passagères qui ne servent, pour ainsi dire, qu’à éclairer et à rendre plus sensible la triste insipidité du reste.

59. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. M. ROCHON DE CHABANNES. » pp. 381-412

J’en conviens ; mais il mêle à cet enfantillage Des sentiments si fiers d’honneur & de courage, Que tout cela, Marton, le rend intéressant. […] Il mêloit d’ailleurs des sentiments si fiers & si nobles aux enfantillages de l’amour-propre, que tout cela ensemble n’avoit rien que d’intéressant. […] Ce pauvre enfant, disoit-elle, m’aime de toute son ame : rien de plus naturel ni de plus tendre que l’expression de ses sentiments. […] On auroit mis là autrefois du sentiment, le cri de la douleur, du désespoir : mais nous nous y entendons bien mieux aujourd’hui ; une déclamation, un coup d’œil philosophique, voilà tout ce qu’il faut. […] Les sentiments que ce garçon fait paroître annonceroient en lui des inclinations plus relevées.

60. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du point où doit commencer l’action d’une fable comique. » pp. 172-177

Je sais bien que les spectateurs s’amusent, en attendant une action plus vive, de quelques mensonges dans lesquels Dorante s’embarrasse, & qu’ils sont intrigués pour savoir comment il se tirera d’affaire : mais l’intérêt de curiosité ne vaut pas celui de sentiment ; l’un n’amuse que l’esprit, l’autre affecte le cœur. D’ailleurs, en exposant au spectateur une intrigue déja avancée, en l’intéressant pour deux amants qui, déja loin de toutes les simagrées de l’amour, & de ses enfantillages, partagent de bonne foi sa tendre vivacité, & sont sur le point de se voir heureux ou malheureux, un Auteur réunit & l’intérêt de curiosité & l’intérêt de sentiment ; le premier acquiert même beaucoup plus de force quand l’autre l’accompagne.

61. (1845) Œuvres de Molière, avec les notes de tous les commentateurs pp. -129

Je n’ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité : mais, plus que tout cela, que deviendront ces pauvres gens que j’ai amenés si loin ? […] Il ne cachait point ces sentiments, et il disait publiquement qu’il ne cherchait point à se remettre avec lui, parce qu’il s’en reconnaissait indigne. […] « Ne me plaignez-vous pas, leur disait-il un jour, d’être d’une profession et dans une situation si opposées aux sentiments et à l’humeur que j’ai présentement ? […] Mais le grand seigneur avait les sentiments trop élevés pour que Molière dût craindre les suites de son premier mouvement117. […] L’envie et l’ignorance les soutenaient dans ces sentiments, et ils n’omettaient rien pour les rendre publics par leurs discours, ou par leurs ouvrages.

62. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Il ne souffle mot de ce qui est aujourd’hui le plus vif sujet de nos admirations : cet art merveilleux de varier sans cesse le rythme et de le plier à la pensée ou au sentiment. […] Vous pouvez, sur ce simple aperçu, juger les sentiments secrets qui animent l’amant éconduit : du mépris, de la colère, du dépit, toutes sortes de sentiments qui sont d’une violence extrême. […] Vous savez qu’Argan, pour éprouver les sentiments que lui porte sa famille, contrefait le mort. […] » Tels sont mes sentiments à moi, public. […] Ainsi, de notre temps (à Paris, tout au moins), les sentiments les plus vrais, les plus profonds, les plus terribles, revêtent la forme de la blague.

63. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XII. Des Scenes. » pp. 223-249

Le sentiment d’autrui n’est jamais pour lui plaire ; Il prend toujours en main l’opinion contraire, Et penseroit paroître un homme du commun, Si l’on voyoit qu’il fût de l’avis de quelqu’un. L’honneur de contredire a pour lui tant de charmes, Qu’il prend contre lui-même assez souvent les armes ; Et ses vrais sentiments sont combattus par lui, Aussi-tôt qu’il les voit dans la bouche d’autrui. […] Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte : A ne rien pardonner le pur amour éclate ; Et je bannirois, moi, tous ces lâches amants Que je verrois soumis à tous mes sentiments, Et dont, à tous propos, les molles complaisances Donneroient de l’encens à mes extravagances. […] Madame, il ne faut point ces éclaircissements ; Il s’agit de savoir quels sont vos sentiments.

64. (1824) Notices des œuvres de Molière (VIII) : Le Bourgeois gentilhomme ; Psyché ; Les Fourberies de Scapin pp. 186-466

Ce n’était pas, en cette occasion, différence de goût ; c’était opposition naturelle de sentiments et d’intérêts. […] Celle-ci ne dédaignait pas la première, et, souvent, elle recherchait son alliance, afin d’y trouver la fortune ; mais une plus grande délicatesse de sentiments, une plus grande étendue de lumières, une plus grande politesse de mœurs et de langage, la plaçait à la tête de toutes les classes dont se composait la roture, et la mettait presque de niveau avec la noblesse. Puisque j’ai commencé à examiner comparativement les différents étages de la société, j’en prendrai occasion de faire remarquer ici que Molière, presque toujours, donne aux enfants des expressions plus élégantes, des idées plus raffinées, et même des sentiments plus élevés qu’à leurs parents. […] Quand, dans une comédie qui prétend moins qu’aucune autre à exciter l’intérêt, se trouvent trois personnages qui sont vraiment dignes d’inspirer ce sentiment, il faut supposer dans le public l’excès de la sottise ou de la dépravation, pour croire qu’il le portera de préférence sur un escroc titré, dont les brillants dehors ne peuvent dérober aux yeux la turpitude. […] L’auteur de Cinna fit, à l’âge de soixante-cinq ans, cette déclaration de l’Amour à Psyché, qui passe encore pour être un des morceaux les plus tendres et les plus naturels qui soient au théâtre. » Fontenelle convient, avec tout le monde, que jamais Corneille n’exprima avec autant de douceur les doux emportements de l’amour ; mais, ne laissant échapper aucune occasion de témoigner sa haine contre Racine, il prend le parti de ravaler un genre de sentiments que ce poète excellait à rendre, afin de le déprimer lui-même, et il prétend que, si Corneille réussit une fois dans ce genre qui n’était pas le sien, et qu’il dédaignait, c’est qu’ étant à l’ombre du nom d’autrui, il s’abandonna à un excès de tendresse dont il n’aurait pas voulu déshonorer son nom .

65. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. Du Dialogue. » pp. 204-222

Je suis d’un sentiment bien opposé à celui de nos Modernes, qui pensent avoir fait des merveilles, quand ils ont enfanté quelques tirades bien quarrées, bien compassées, bien toisées. […] Vous ne prendrez point des sentiments plus doux ? […] Eraste, amant d’Agathe, la voit avec Albert, son vieux rival ; il feint de ne pas la connoître : il tâche cependant de lui exprimer ses sentiments de façon que le jaloux ne s’apperçoive point de leur intelligence.

66. (1858) Molière et l’idéal moderne (Revue française) pp. 230-

expression vulgaire et admirable qui trahit la nature des sentiments faux ! […] Les idées, au dix-septième siècle, étaient isolées comme les sentiments. […] Pourquoi l’acte n’a-t-il pas suivi le sentiment ?

67. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Ce nom, ce serment, les souvenirs de persécution religieuse attachés à ces circonstances avaient tait sur l’âme du jeune Agrippa une de ces impressions qui dans les familles se transmettent de général ton en génération, forment dans l’esprit des enfants qui se succèdent une idée fixe autour de laquelle les premières notions et les premiers sentiments de morale se rangent et s’impriment en caractères ineffaçables75. […] Dans ce temps-là aussi, le cardinal d’Estrées, célèbre par ses galantes magnificences, lui avait déclaré de tendres sentiments, auxquels elle refusa toute attention. […] Il me paraît présumable qu’elle ne les avait pas entendues sans émotion ; déjà la vue du roi l’avait frappée et peut-être disposée à un sentiment profond.

68. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

Le personnage à qui l’auteur a confié la défense du bon sens, Chrysale, au lieu de prendre au sérieux les paroles placées dans sa bouche, semble effrayé de sa hardiesse, et pour atténuer, pour conjurer le danger de son rôle, il exagère par l’accent le prosaïsme bourgeois de ses sentiments. […] Qu’il soit sincère, que son accent ne démente pas sa parole, et les rieurs seront de son côté, je veux dire qu’ils prendront parti pour les sentiments qu’il exprime. […] Si les spectateurs en effet ne consultaient qu’eux-mêmes, n’écoutaient que leurs sentiments intimes, ils n’hésiteraient pas à dire que les comédiens font fausse route ; mais habitués à croire que le Théâtre-Français possède la vraie tradition, ils n’osent se prononcer. […] Ils se laissent égarer par leur générosité, et malgré la sympathie que m’inspire un tel sentiment, je voudrais les voir quitter cette voie périlleuse.

69. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. M. DE BEAUMARCHAIS. » pp. 442-462

) Léonore croit le Comte parjure & lui a écrit de se rendre chez elle pour fournir à son pere une vengeance plus facile : l’amour la fait bien vîte changer de sentiment ; elle souhaite qu’il ne vienne point, quand il arrive. […] vous prenez le parti de notre ennemi contre moi ; & loin d’être saisi à son aspect des mêmes transports que je sens, vous faites voir pour lui des sentiments pleins de douceur ! […] Tous versent de ces larmes délicieuses, l’expression du sentiment.

70. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

Me reconnaît-on pas un sentiment : de faiblesse dans ces hommages inquiets et timides qu’il rend à ses maîtresses, et qui semblent moins solliciter leur affection que leur appui ? ne démêle-t-on pas un besoin secret d’encouragement, dans cette tendresse suppliante, dont Henri IV, son père, et Louis XIV, son fils, furent si éloignés, dans le sentiment de leur force et de leur gloire ?

71. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXV » pp. 402-412

Dans la continuelle fluctuation d’idées et de sentiments à laquelle madame de Maintenon était condamnée depuis deux années ou environ, il n’est pas étonnant qu’elle ait donné lieu plusieurs fois au renouvellement des plaintes que madame de Coulanges faisait au mois de septembre 1675 pour la première fois, sur le changement de son amie à son égard, et à l’application de l’ancien adage, que les honneurs changent les mœurs 124. […] Du moment qu’elle devint confidente et dépositaire des sentiments et des pensées du roi, et même des secrets de l’État, elle cessa de s’appartenir à elle-même : ce fut un devoir pour elle de donner au roi une parfaite sécurité sur le dépôt que sa confiance mettait à la discrétion de son amie ; elle lui devait de rompre toute familiarité qui aurait pu compromettre ce dépôt : il n’y a rien de si difficile à cacher qu’un secret avec tes personnes à qui l’on parle habituellement à cœur ouvert ; et il y a des secrets à la cour qui se découvrent par le soin de les cacher ; si bien qu’affecter de taire certaines choses, c’est les dire.

72. (1886) Molière : nouvelles controverses sur sa vie et sa famille pp. -131

Mon opinion touchant l’excommunication des comédiens a soulevé une controverse que je reproduis, et qui, au sentiment d’excellents juges, peut désormais être tenue pour terminée. […] Il y aurait irrévérence, au sentiment de certains fanatiques, à scruter des faits de vie intime où l’honneur du poète serait engagé. […] Alceste n’est si difficile à saisir que parce que, sans cesse partagé entre des sentiments contraires, il cède à de prompts revirements, ce qui est le propre des cœurs honnêtes et fortement épris, entraînés à regret par une passion dont ils sentent l’indignité. […] C’est ainsi qu’on en avait jugé jusque dans ces derniers temps, et tel était le sentiment d’Eudore Soulié, dont les sagaces et patientes investigations ont tant contribué à éclairer l’histoire de notre grand poète comique. […] J’ai besoin de solitude et d’isolement ; les grandeurs m’ennuient, le sentiment est desséché.

73. (1882) Molière (Études littéraires, extrait) pp. 384-490

L’intention de son rôle serait plutôt d’impatienter l’ami qu’il contredit, de le mettre hors des gonds, de le provoquer ainsi à forcer ses propres sentiments, et par là même à devenir comique. […] Or, chez Harpagon, le sentiment est sérieux et profond. […] S’il eût été amoureux de quelque dame qui eût eu quelque léger défaut, ou en sa beauté, ou en son esprit, ou en son honneur, toute la violence de la passion n’eut pu l’obliger à trahir ses sentiments. […] L’Avertissement qui précède les Sentiments des Pères de l’Église, par le prince de Conti, dénonce Le Festin de Pierre comme une école d’athéisme. […] Ses pensées, ses sentiments ne sont plus que des instincts.

74. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. Des Reconnoissances. » pp. 399-421

La scene dans laquelle le pere est arrêté par son Suisse & ses laquais, qui ne le reconnoissent pas pour leur maître, est très plaisante ; celle où la mere met en usage toutes les petites ruses du sexe pour ramener à son sentiment son benêt de mari, & faire acheter un Marquisat à son fils, est d’un excellent comique, ainsi que plusieurs autres. […] puis-je mériter des sentiments si doux ? […] De trop grands sentiments sont souvent ridicules.

75. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX & dernier. Des causes de la décadence du Théâtre, & des moyens de le faire refleurir. » pp. 480-499

Loin de nous la pitoyable affectation de déclamer avec humeur contre les Comédiens : loin de nous sur-tout la plus petite envie de dégrader leur profession ; elle est estimable comme toutes les autres, quand on y porte des sentiments honnêtes & du talent. […] Vous avez beau dire que rien n’est plus ridicule que cette diversité de sentiments si opposés les uns aux autres : vous avez beau faire voir combien il est absurde qu’un ouvrage de génie, sur lequel les gens de l’art peuvent à peine prononcer après l’avoir examiné à tête reposée, soit condamné à l’oubli sur une simple lecture faite en l’air dans une assemblée tumultueuse : vous avez beau vous écrier que vous ne comprenez pas comment des personnes, fort aimables d’ailleurs, mais qui étoient avant-hier occupées de toute autre chose que de la comédie, peuvent aujourd’hui, moyennant leur ordre de réception, avoir acquis tout de suite la connoissance nécessaire pour juger les productions de l’art le plus compliqué & le plus étonnant56 : vous avez beau représenter modestement que vous pouvez avoir mal lu, que vos juges peuvent s’être trompés comme ceux qui refuserent jadis la Mélanide de la Chaussée, l’Œdipe de M.  […] Le jeune homme, encore dans cet âge où l’on n’a pas un sentiment à soi, cede à l’attrait flatteur qu’on lui présente, & quitte la route qui l’auroit peut-être conduit à l’immortalité.

76. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLII. De l’art d’épuiser un Sujet, un Caractere. » pp. 493-503

Un homme à bonne fortune de quarante ans, à l’aide de deux ou trois années qu’il se dérobe, d’une parure très soignée à laquelle il s’efforce de donner un air négligé, d’un étalage outré de grands sentiments, d’une délicatesse affectée, & d’un air fort discret, brille ordinairement chez les femmes qui ont été très souvent les victimes des jeunes étourdis, qui craignent de paroître trop âgées auprès d’eux, ou qui veulent feindre de donner dans la réforme. […] On pourroit l’entourer de quelques meres rusées qui lui conseilleroient de se faire des héritiers avec une jeune personne honnête & sans bien, pour qu’elle lui eût obligation de sa fortune, & qui lui vanteroient en même temps les sentiments, l’air réservé & la sagesse de leurs filles.

77. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [94, p. 138-139] »

Ses Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1718) fondent l’idée du relativisme esthétique et, dernier écho de la querelle des Anciens et des Modernes, assurent la primauté du sentiment dans l’appréciation des œuvres d’art.

78. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE II. La Débauche, l’Avarice et l’Imposture ; le Suicide et le Duel. » pp. 21-41

Là-dessus, son sentiment n’est pas douteux, son influence est certaine. […] Je ne parle pas des filles mises à mal, c’est d’une vérité trop évidente ; mais ce valet, qui croit en Dieu au fond, qui voudrait avertir et retenir son maître, et à qui sa faible raison ne permet de défendre que ridiculement la cause de la vérité61 ; qui est forcé à mentir62, à insulter63, à cacher comme une honte les moindres bons sentiments64, à partager enfin toute la vie et tous les crimes de don Juan, « parce qu’un grand seigneur méchant homme est une terrible chose : il faut qu’on lui soit fidèle, en dépit qu’on en ait, et la crainte réduit d’applaudir bien souvent ce que l’âme déteste65 ; » ce valet, nous le voyons se gâter, s’endurcir, imiter l’escroquerie du maître66, engager le Pauvre à jurer un peu 67 ; et enfin, après le châtiment de don Juan, n’avoir d’autre sentiment en face de cette mort effrayante, que le regret des gages qu’il perd68 : ah ! […] Et au milieu du rire que soulève la scène des mains 94, celle de la tache d’huile et du haut de chausses troué, n’y a-t-il pas un grand sentiment de mépris et de pitié pour celui qui se laisse tomber si bas ?

79. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVI. De la Vraisemblance. » pp. 434-445

Présentement, que je crois mes lecteurs de mon sentiment sur les exemples que je viens de citer, je vais leur avouer mon secret, & leur dire où je veux en venir. […] Qu’ayant appris le désespoir Où j’ai précipité celui qu’elle aime à voir, Elle vient me prier de souffrir que sa flamme Puisse rompre un départ qui lui perceroit l’ame, Entretenir ce soir cet amant sous mon nom, Par la petite rue où ma chambre répond, Lui peindre, d’une voix qui contrefait la mienne, Quelques doux sentiments dont l’appât le retienne, Et ménager enfin pour elle, adroitement, Ce que pour moi l’on sait qu’il a d’attachement.

80. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXX. Des Surprises. » pp. 490-502

& c’est ainsi que vous dissimulez vos sentiments ! […] Il est, selon moi, une autre espece de surprise de situation, s’il m’est permis de risquer mon sentiment après Riccoboni, qui ne compte que deux especes de surprise, surprise de pensée & surprise d’action, & donne pour exemple de la derniere la scene XIV du second acte de l’Ecole des Maris.

81. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VIII. Du Genre gracieux. » pp. 91-102

Je ne le rapporterai pas, mais j’essaierai de peindre ce Philosophe singulier par des anecdotes qui, en amusant le lecteur, feront bien mieux connoître le cœur, l’esprit, les sentiments du héros. […] Quand il avoit dit son sentiment & ses raisons sur quelque chose, on avoit beau le contredire, il refusoit de se défendre, alléguant pour raison qu’il avoit une mauvaise poitrine.

82. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXII. Des Caracteres principaux ou simples, des Caracteres accessoires, des Caracteres composés. » pp. 337-349

Après les sentiments qu’il vous a fait connoître, Fâchez-vous, éclatez autant qu’il vous plaira, Il vous dira toujours, & vous répétera Que son amour pour vous est fondé sur l’estime ; Que la raison l’éclaire & la vertu l’anime ; Qu’elles l’ont affermi dans son culte secret, Et qu’il adore en vous un mérite parfait ; Qu’il l’avouera tout haut, qu’il s’en fait une gloire ; Qu’il fuit tout autre nœud ; que vous devez l’en croire ; Qu’il met à vous fléchir son bonheur le plus doux, Et qu’il sera constant, fût-il haï de vous. […] De pareils sentiments sont-ils d’un étourdi ?

83. (1801) Moliérana « Vie de Molière »

128 Cette pièce faite à la hâte, décèle la finesse dans le développement des sentiments du cœur, et l’art employé dans la peinture de l’amour-propre, et de la vanité des femmes. […] La scène du second acte entre Mirtil et Mélicerte, est remarquable par la délicatesse des sentiments, et par la simplicité de l’expression.

84. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIII » pp. 237-250

« On se moquait à la cour, dit madame de Caylus, de ces sociétés de gens oisifs, uniquement occupés à développer un sentiment et à juger d’un ouvrage d’esprit. […] « Elle craignait extrêmement la mort, et avait ce sentiment commun avec la princesse Parthénie son amie (madame la marquise de Sablé), qui avait des frayeurs de la mort au-delà de l’imagination.

85. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE II. De l’Etat, de la Fortune, de l’Age, du Rang, du Nom des Personnages. » pp. 39-75

Ce n’est pas l’amour, ce sont les amants, tels qu’ils sont pour la plupart, que je méprise, & non pas le sentiment qui fait qu’on aime, qui n’a rien en soi que de fort honnête & de fort involontaire. C’est le plus doux sentiment de la vie : comment le haïrois-je ? […] Mens alta, sublimis, superba : fille à grands sentiments, fiere, haute. […] Oui, ma vive tendresse Se complaît à le voir l’appui de ma vieillesse : Sentiments inconnus à votre mauvais cœur.

86. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

il me semble que je deviens plus cruel et moins accessible aux bons sentiments de l’humanité12 ?  […] Notre ami, tout rempli d’admiration pour cette comédie incomparable, disait cependant que les jeunes filles n’avaient rien à y voir, qu’elles étaient cruellement déplacées dans ce drame du plaisir et de la joie où l’amour et l’esprit se tiennent, si étroitement pressés, qu’il n’y a plus de place pour les plus simples sentiments du cœur ; il disait encore que la comédie de Molière, toute remplie de pères crédules, de vieillards amoureux, de jeunes gens éveillés, de soubrettes égrillardes, de valets goguenards, cette comédie où rien ne manque, pas même l’entremetteuse et l’escroc, n’était pas faite pour y faire apparaître des enfants frais et blonds. […] Voilà donc que, pour augmenter l’embarras de cette pauvre enfant, le même jour et pour ainsi dire à la même heure, et sans transition, vous la faites passer de L’École des femmes à L’Épreuve nouvelle, de l’Agnès qui se défend à l’Agnès qui attaque, des sentiments bourgeois aux sentiments raffinés, — de la chaise de paille à la chaise longue, du gros mot au mot à double sens, de l’ail au musc, de la bure à la soie !

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