/ 211
23. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. » pp. 274-278

L’amour, pour l’ordinaire, est peu fait à ces loix, Et l’on voit les amants vanter toujours leurs choix : Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable, Et dans l’objet aimé tout leur devient aimable : Ils comptent les défauts pour des perfections, Et savent y donner de favorables noms. […] La passion aveugle les amants & leur montre des perfections qui n’existent pas. Un objet vieux & difforme captive leur cœur & fixe leur hommage : ils ont beau se railler les uns des autres & conseiller à leurs amis d’appaiser Vénus qui les a affligés d’une passion avilissante, ils ne voient pas qu’ils sont eux-mêmes victimes d’un choix souvent plus honteux.

24. (1870) La philosophie dans le théâtre de Molière (Revue chrétienne) pp. 326-347

Il y avait aussi quelque chose de plus chez elle : un amour, une passion. […] Cette passion remplit, à cette époque, le cœur et l’âme d’un homme célèbre, Gui Patin. […] Les passions qui devaient plus tard troubler sa vie, commençaient à s’agiter dans son sein, essayant de s’échapper et de se satisfaire, sans que la satisfaction eût encore amené avec elle le dégoût et l’ennui. […] Il ne devait l’atteindre que rarement, dans ces jours où brisé par la lutte, le choc même de ses passions venait illuminer comme d’un éclair le fond de son cœur, et lui laisser enfin apercevoir le vide désespérant qu’il ne pouvait combler. […] Il faut vivre le plus doucement possible, cédant et résistant tour à tour aux passions qui nous sollicitent et nous entraînent ; tel est bien le résumé de son théâtre, mais dans l’ensemble seulement.

25. (1874) Leçon d’ouverture du cours de littérature française. Introduction au théâtre de Molière pp. 3-35

Nul, en effet, Messieurs, n’a mieux connu que Molière nos préjugés, nos défauts, nos passions; nul ne les a traduits sur une scène plus vivante. […] Il y a, Messieurs, pour l’histoire de notre vieux théâtre, une date importante et fort connue : c’est celle de 1402, année où furent données par Charles VI les lettres-patentes qui autorisaient les représentations des confrères de la Passion. […] Nulle part, je l’avoue, je n’ai vu les preuves qu’il existât réellement un théâtre français avant l’époque, des confrères de la Passion, c’est-à-dire avant la dernière moitié du XIVe siècle et les commencements du XVe. […] Dans; le mystère de la Conception, Passion et Résurrection, il y avait cent personnages: il fallait donc non une simple troupe, mais une confrérie pour suffire à la tâche. […] Aux plus terribles moments de la passion, à l’agonie du Jardin des Olives et pendant les souffrances même de la croix, les joies du ciel et ses concerts adoucissent et, suivant l’expression d’Aristote, purifient le sentiment douloureux du spectateur.

26. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Cet homme avare faisait pitié, cette passion faisait peine à voir. […] À quoi bon ranimer ces passions inertes ? […] « Un acteur est pris de passion pour une actrice. […] Et d’ailleurs la passion de ce temps-là n’a pas une autre allure. […] Molière… en l’aimant avec passion, tenait son peuple à distance.

27. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

En vain Ménandre, en vain Térence et Molière ont apporté à cette œuvre brutale, les élégances de leur génie et la politesse de leur esprit, l’œuvre en elle-même est restée une œuvre un peu au-dessous de la philosophie et de la morale la plus facile, c’est-à-dire une œuvre ouverte aux plus violentes et aux plus irrésistibles passions. […] Ils savent trop bien leur métier, les poètes dramatiques surtout, qui sont obligés de plaire aux instincts, aux passions, aux penchants de la multitude, et qui savent que, surtout dans l’art de la comédie, il arrive souvent que celui-là ne prouve rien, qui veut trop prouver. […] Vous voyez bien cet histrion qui joue la femme, il copie à ravir les passions impudiques, et ce mensonge aussitôt devient un feu terrible dans l’âme de l’auditoire. » Ainsi parlait un païen converti, un avocat de Rome devenu chrétien, Minutius Félix ! […] Le bel enfant anime de sa passion naissante cet acajou massif ; peu à peu l’enfant grandit, et sa passion avec elle ; la comédie de société s’empare de cette comédienne de quinze ans : du théâtre de société au Théâtre-Français, il n’y a qu’un pas ; — le pas est franchi ! […] Jamais comédiens plus heureux et plus illustres n’occupèrent un théâtre. — Eux-mêmes ils étaient, dans ce monde à part, une passion nouvelle, quelque chose d’inconnu dont on s’approchait avec un plaisir mêlé d’un certain effroi.

28. (1862) Molière et ses contemporains dans Le Misanthrope (Revue trimestrielle) pp. 292-316

Il est ennemi de la flatterie... et je suis persuadé que s’il eût été amoureux de quelque dame, qui eût eu quelques légers défauts ou en sa beauté ou en son esprit, ou en son humeur, toute la violence de sa passion n’eût pu l’obliger à trahir ses sentiments. » Si l’on en croit Tallemant des Réaux, Mme de Rambouillet, sa belle-mère, elle-même, aurait fait de Montausier ce portrait peu flatteur : « Il est fou à force d’être sage. […] Il lui raconta, avec des accents si vrais et si douloureux qu’ils pénétrèrent le cœur de Chapelle, sceptique en amour comme en toutes choses, ses tristes désillusions, ses vains efforts pour ramener à des sentiments sérieux ce cœur léger et frivole, et les chagrins que lui causa‌ la folie passion d’Armande pour le comte de Guiche. […] Et cette Célimène, qui se rit de l’amour qu’elle inspire et ne répond à une passion profonde que par l’indifférence et la sécheresse du cœur, n’est-ce pas Armande Béjart, cette femme si frivole et si coquette, qui n’a jamais compris quel noble cœur elle avait blessé à mort ? […] Génin, voulut une fois épancher noblement la douleur qui navrait son âme : de là vient que le Misanthrope, sans action, est si intéressant; c’est le cœur du poëte qui s’ouvre, c’est dans le cœur de Molière que vous lisez sans vous en douter; tout cet esprit si fin, cette délicatesse élevée, cette jalousie vigilante et confuse d’elle-même; cette fière vertu, rebelle à la passion qui la dompte, c’est Molière, c’est lui qui se plaint, qui se débat, qui s’indigne ; c’est lui que vous aimez, que vous admirez, de qui vous riez d’un rire si plein de bienveillance et de respect46.  […] « Elle (Mme de Longueville) ne médisait jamais de personne et elle témoignait toujours quelque peine quand on parlait librement des défauts des autres, quoique avec vérité ; c’était au contraire faire sa cour auprès d’elle que de parler de tt le monde avec équité et sans passion, et d’estimer en eux tout ce qu’ils pouvaient avoir de bon. » Ce manuscrit est attribué à Nicole.

29. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXV » pp. 259-278

Ce fut alors que le désir de la conserver et de retendre devint en elle une passion qui a formé le trait saillant de son caractère. […] Toutefois, le secret de madame de Maintenon ne réside pas uniquement dans son mérite et dans ses charmes ; il faut aussi reconnaître en elle deux autres principes de conduite qui mirent en valeur tous ses avantages : ce furent deux passions que madame de Maintenon ressentit au plus haut point ; savoir : Un amour vif pour Louis XIV, et un grand respect pour elle-même. […] L’amour de la considération est, comme l’amour de la gloire, une passion peu définissable, La considération, comme la gloire, n’a ni bornes, ni contour, ni confins, ni domaines déterminés. […] Il inspire les passions profondes. […] Il offre tant de sympathies diverses à satisfaire, il soumet les sympathies physiques à tant de sympathies morales et intellectuelles, il présente tant de points de défense et d’attaque en même temps, il fait naître tant désirs au-delà du désir même, il offre tant à conquérir au-delà de la dernière conquête, il donne tant de jeu aux craintes, aux espérances, il arrête les progrès si près du but et y rappelle si puissamment par l’effort même qui en éloigne, enfin il y a tant de distance entre les voluptés que l’art le plus exercé ou le naturel le plus aimable peuvent donner à l’abandon et le charme de cette retenue mystérieuse qui arrête les mouvements d’un cœur passionné, que rien n’est impossible à une grande passion dans le cœur d’une telle femme.

30. (1898) Molière jugé par Stendhal pp. -134

Quelle passion nous fera éloigner le voyage ? […] Peinture vraie du commencement d’une passion. […] Le ridicule viendra donc de la déroute de cette passion. […] On ne peut être ridicule que par l’effet qu’on croit produit par sa passion : ici il peut y avoir désapointement. […] Cela seul fait que le ballet peut peindre très peu de passions, et encore très grossièrement.

31. (1861) Molière (Corneille, Racine et Molière) pp. 309-514

La passion éclaire parfois, la bassesse jamais. […] On objecte que la soif de l’or est un bon préservatif contre toute autre passion. […] La passion n’aveugle pas toujours; elle éclaire parfois. […] De plus, la passion inspire. […] Elles ont l’emportement des passions démagogiques.

32. (1879) Les comédiennes de Molière pp. 1-179

Pour jouer les passions, il faut bien avoir passé par les passions. […] Elle avait été touchée au front du rayon de la passion. […] Elle avait bien voulu laisser cueillir l’heure, mais elle ne voulait pas s’attarder dans une passion. […] Vingt-deux rôles où ce merveilleux comédien montrait vingt-deux figures, toute la gamme des passions et du caractère. […] Marie Ragueneau représentait les femmes revenues des passions, mais elle y allait toujours.

33. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VIII. Le Mariage. » pp. 145-165

En vain les débauchés comme don Juan persiflent la constance ridicule « de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux507 ; » en vain les hypocrites comme Tartuffe disent : Le ciel défend, de vrai, certains contentements, Mais on trouve avec lui des accommodements... […] Mais ces félicités ne sont guère durables, Et notre passion, alentissant son cours, Après ces bonnes nuits donne de mauvais jours. […] Si le mariage n’a d’autre mobile que la volupté, il devient semblable aux mariages de don Juan, où « lorsqu’on est maître une fois, il n’y a plus rien à souhaiter, et tout le beau de la passion est fini525. » Si on y est poussé par l’orgueil d’une noble alliance, il tourne comme le mariage de George Dandin, « qui est une leçon bien parlante526. » Si l’on épouse par intérêt d’argent, les maris sont des Trissotins et des Diafoirus 527, les femmes des Dorimènes et des Angéliques 528. […] sans doute, ceux qu’une passion déraisonnable fait passer outre à ces indispensables conditions, sont souvent bien innocents et bien excusables : Molière en fut lui-même un exemple531 ; et il y a un stoïcisme amer dans la façon joviale dont il essaye de prouver qu’on doit porter en galant homme de certaines disgrâces 532. […] Ce qu’on y veut, c’en est le mal ; ce qu’on y appelle les belles passions, sont la honte de la nature raisonnable ; l’empire d’une fragile et fausse beauté, et cette tyrannie, qu’on y étale sous les plus belles couleurs, flatte la vanité d’un sexe, dégrade la dignité de l’autre, et asservit l’un et l’autre au règne des sens (chap.

34. (1910) Rousseau contre Molière

Quand elles y lisent mal, c’est leur faute, ou quelque passion les aveugle. […] Il n’y a que des forces de la nature luttant l’une contre l’autre : passion de possession chez Dandin, passion d’indépendance et de jouissance chez Angélique. […] La passion de possession qui est chez Dandin ? […] Cette passion est si naturelle qu’on la trouve à tout instant dans le peuple. […] Point ; c’est la passion elle-même, c’est la vanité.

35. (1769) Éloge de Molière pp. 1-35

La force de cette éducation philosophique influa sur sa vie entière ; et lorsque dans la suite il fut entraîné vers le Théâtre, par un penchant auquel il sacrifia même la protection immédiate d’un grand Prince, il mêla les études d’un Sage à la vie tumultueuse d’un Acteur, et sa passion pour jouer la Comédie tourna encore au profit de son talent pour l’écrire. […] Corneille, par un effort de génie, avait pris l’intérêt dans les passions. […] Serait-ce que les grands vices, ainsi que les grandes passions, fussent réservés à notre sexe, ou que la nécessité de haïr une femme fût un sentiment trop pénible, et dût paraître contre nature ? […] Ce génie si élevé était accompagné d’une raison toujours sûre, calme et sans enthousiasme, jugeant sans passion les hommes et les choses ; c’est par elle qu’il avait deviné Racine, Baron, apprécié La Fontaine, et connu sa propre place. […] Mais sa philosophie, ni l’ascendant de son esprit sur ses passions, ne purent empêcher l’homme qui a le plus fait rire la France, de succomber à la mélancolie : destinée qui lui fut commune avec plusieurs Poètes comiques ; soit que la mélancolie accompagne naturellement le génie de la réflexion, soit que l’observateur trop attentif du cœur humain, en soit puni par le malheur de le connaître.

36. (1706) Addition à la Vie de Monsieur de Molière pp. 1-67

Mais il y a des règles pour les conduire, selon les parties qui composent la Pièce, selon les passions qui y règnent, selon les figures qui l’embellissent, selon les personnages qu’on introduit sur la Scène. […] Peu attentifs à leur jeu, ils expriment souvent l’emportement, comme la tendresse ; le récit, comme le commandement : En un mot ils ne daignent pas sortir du ton qui leur est naturel pour entrer dans la passion. […] Mais avons-nous des points pour toutes les passions, pour toutes les figures ? […] Pour réciter cette action il faut avoir la voix grave, noble, sublime ; et prononcer d’un ton proportionné à l’élévation des personnes qu’on met sur la Scène, et aux passions que l’on représente, ou que l’on veut inspirer. […] Cette action demande une voix ordinaire, mais agréable, et un ton moins élevé, parce que la passion, le caractère, le sentiment qu’on exprime appartiennent à des personnes communes.

37. (1697) Poquelin (Dictionnaire historique, 1re éd.) [graphies originales] pp. 870-873

La jalousie reveilla dans son ame la tendresse que l’étude avoit assoupie ; il courut aussi-tôt faire de grandes plaintes à sa femme, en lui reprochant les grands soins avec lesquels il l’avoit élevée ; la passion qu’il avoit étouffée ; ses manieres d’agir, qui avoient été plûtôt d’un amant que d’un mary ; & que pour recompense de tant de bontez, elle le rendoit la risée de toute la Cour. […] Pour moi, lui dit-il, je vous avouë que si j’estois assez malheureux pour me trouver en pareil état, & que je fusse fortement persuadé que la personne que j’aimerois accordât des faveurs à d’autres, j’aurois tant de mepris pour elle, qu’il me gueriroit infailliblement de ma passion : encore avez vous une satisfaction que vous n’auriez pas si c’étoit une maitresse, & la vengeance qui prend ordinairement la place de l’amour dans un cœur outragé, vous peut payer tous les chagrins que vous cause vôtre épouse, puis que vous n’avez qu’à la faire enfermer ; ce sera même un moyen assûré de vous mettre l’esprit en repos. […] Je ne vous rapporterai point une infinité d’exemples, qui vous feroient connoître la puissance de cette passion ; je vous ferai seulement un recit fidelle de mon embarras, pour vous faire comprendre combien on est peu maître de soi, quand elle a une fois pris sur nous l’ascendant que le temperament lui donne d’ordinaire. […] Mais si vous sçaviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi : ma passion est venuë à un tel point, qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses interéts ; & quand je considere combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps, qu’elle a peut-être la même difficulté à détruire le penchant qu’elle a d’être coquette, & je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blâmer.

38. (1819) Notices des œuvres de Molière (IV) : La Princesse d’Élide ; Le Festin de Pierre pp. 7-322

Louis XIV, dans toute l’ardeur de sa passion pour mademoiselle de La Vallière, voulut donner aux deux reines une fête dont sa maîtresse pût recevoir en secret l’hommage, et Molière fut chargé d’y contribuer. […] L’attachante simplicité du drame français a remplacé la fatigante complication de l’imbroglio espagnol ; à de longues conversations où la subtilité s’unit à l’emphase, a été substitué un dialogue précis, simple et naturel ; des invraisemblances de caractère ou de situation ont disparu ; enfin, un dénouement, qui choque à la fois la raison et les convenances, habilement modifié, est devenu un dénouement nouveau, où sont ménagées toutes ces délicatesses de sentiment et toutes ces bienséances de mœurs qui embellissent la passion de l’amour. […] À considérer le fond du sujet, un jeune prince, obligé de feindre l’insensibilité, pour vaincre celle de la beauté qu’il aime, n’a rien de commun avec Louis XIV, faisant partager à mademoiselle de La Vallière, sans ruse et sans effort, la passion qu’il a conçue pour elle, et n’employant dans ses amours d’autre dissimulation que celle qui pouvait en dérober quelque temps le secret à des yeux jaloux, et en augmenter le charme par le mystère. […] Ce gouverneur d’Euryale, qui, au lieu de blâmer ou de réprimer les tendres sentiments de son élève, les justifie et les encourage, lui confesse qu’il s’inquiétait jusque-là de voir qu’un jeune prince, en qui brillaient tant de belles qualités, ne possédât pas la plus précieuse de toutes, ce penchant à l’amour, qui peut tout faire présumer d’un monarque, et auquel les héros doivent leurs plus grandes actions, mais lui déclare que, rassuré par la passion dont il vient de lui faire l’aveu, il le regarde à présent comme un prince accompli  ; cet Arbate, dont le langage convient si peu à son grave emploi, parle en courtisan de Louis XIV, charmé des faiblesses de son maître, et empressé de les flatter, dans l’espoir d’en tirer parti pour sa fortune, ou du moins pour ses plaisirs. La passion du roi pour mademoiselle de La Vallière avait donné à toute sa cour le signal de la galanterie et de la volupté ; parmi les jeunes seigneurs, quelques-uns étaient ses confidents, tous étaient ses imitateurs ; et, dans toutes les fêtes données par le monarque, les poètes chargés de les embellir de leurs talents, offraient l’histoire fidèle de ces nobles amours sous le voile des plus transparentes allégories.

39. (1812) Essai sur la comédie, suivi d’analyses du Misanthrope et du Tartuffe pp. 4-32

S’il est un art digne d’attirer notre admiration, de plaire à notre esprit, et de charmer en même temps notre cœur, c’est celui qui, dissipant les épaisses ténèbres qui enveloppent le cœur humain, découvre ses pensées les plus secrètes, pénètre dans ses mystères les plus intimes, découvre à l’homme la marche de ses passions, tantôt l’instruit, l’amuse, tantôt lui cause les émotions les plus fortes et lui fait verser les larmes les plus délicieuses : tel est l’art dramatique. […] D’un côté, il attaqua les vices des grands, toujours exposés aux regards de la multitude, et que remarquent avidement ceux nés dans la classe ordinaire ; de l’autre, par la représentation des grandes infortunes et des excès affreux auxquels conduisent ordinairement les passions, il sut émouvoir. […] La seconde partie, appelée tragédie, si féconde en grands effets, resta uniquement destinée à montrer les grands coups du sort, ces passions terribles qui portent tour à tour dans l’âme la pitié et la terreur. […] Telles sont : l’avarice, l’hypocrisie, l’orgueil, la jalousie, la misanthropie, la méchanceté, la passion du jeu1 ; toutes ont fourni le sujet de comédies de caractères, qui sont les chefs-d’œuvre de notre scène. […] Se parant du langage de la vertu, elle cache sous cette égide sacrée tout ce que la méchanceté, la bassesse et la perfidie ont de plus odieux, couvre ses crimes, son infamie des dehors les plus respectables, satisfait impunément ses passions, ses désirs, dispute souvent le prix à la vertu et le lui arrache quelquefois.

40. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE II. La Débauche, l’Avarice et l’Imposture ; le Suicide et le Duel. » pp. 21-41

Le don Juan qui débute sur la scène par enlever done Elvire à un couvent44, et qui se lasse si vite du touchant amour qu’il lui inspire45, passe aussitôt, de cette affection où il pouvait y avoir quelque chose de noble et de vrai, à la grossière passion qui lui fait séduire deux pauvres paysannes a la fois46, au moment même où il a failli périr en voulant enlever une jeune mariée47. […]   C’est encore au point de vue de l’influence du vice qu’on doit étudier l’Avare 92, moins pour la banale vérité qu’il ne faut pas trop aimer les écus, que pour le spectacle de toutes les conséquences que traîne avec soi cette passion sordide. […] Car la passion qui a conduit Tartuffe à jouer son rôle scélérat, est autant cupidité que luxure : chez Harpagon, l’amour de l’argent n’aboutit qu’à la honte ; chez Tartuffe, il atteint au crime ; et la pente est facile, de l’usurier qui prête au denier trois 109, à l’imposteur qui capte le bien des familles110 ; aussi facile que celle qui entraîne don Juan de la débauche à la mort. […] Jusque dans les conceptions les plus hardies et les situations les plus hasardeuses, il garde un bon sens qui l’empêche de mettre sur la scène ces accouplements monstrueux de vice et de vertu, ces criminels sublimes, ces brigands héroïques qui remplissent tant de drames modernes, et habituent nécessairement le spectateur à s’imaginer que, même dans l’excès des passions les plus funestes, il peut y avoir quelque chose d’excusable et de grand111. Pour Molière, ces passions sont contraires à la raison, à la nature ; ce sont d’affreuses maladies de l’âme, qui la rendent méconnaissable ; et il n’admet pas le moyen d’émotion, tant exploité de nos jours, qu’on peut appeler le genre crime et le genre suicide 112.

41. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [76, p. 115-117] »

Molière décida qu’il fallait conserver la première façon : « Elle est, leur dit-il, plus naturelle ; et il faut sacrifier toute régularité à la justesse de l’expression : c’est l’art même qui doit nous apprendre à nous affranchir des règles de l’art. » Molière était alors de leur société, dont étaient encore La Fontaine et Chapelle, et tous faisaient de continuelles réprimandes à Chapelle sur sa passion pour le vin. […] Boileau, en s’animant dans son discours contre la passion du vin buvait avec lui, jusqu’à ce qu’enfin le prédicateur et le nouveau converti s’enivrèrent.

42. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. M. DIDEROT. » pp. 317-332

On n’y parloit que de l’homme rare qui avoit eu dans un même jour le bonheur d’exposer sa vie pour son ami, & le courage de lui sacrifier sa passion, sa fortune, & sa liberté. […] D’Orval parle à Rosalie pour son ami ; elle lui déclare qu’elle en aime un autre, & lui laisse entrevoir qu’il est l’objet de sa nouvelle passion. […] D’Orval paroît ; il éleve l’ame de Rosalie jusqu’au point de la faire consentir à renoncer à sa passion & à donner la main à Clairville. […] Cependant Lélio, sentant qu’il ne peut éteindre sa passion pour Flaminia, ni éviter les persécutions de Silvia, se résout à mourir plutôt que de trahir son ami & de lui enlever sa maîtresse : il charge son valet de se préparer secrètement à partir de Milan ; mais différents obstacles l’empêchent d’exécuter ce dessein.

43. (1853) Des influences royales en littérature (Revue des deux mondes) pp. 1229-1246

Aussi les rôles les plus animés chez Racine sont-ils des rôles de femmes ; ils ont tous cette vigueur fiévreuse que donnent les crises de la passion, et qui peut s’allier très bien avec l’habitude de la faiblesse. […] Quant à Boileau, qui s’était déjà, comme Racine, annoncé sous Mazarin, mais qui ne publia que plus tard ses principaux ouvrages, c’est avant tout un critique, épris d’une double passion, l’horreur des mauvais vers, l’amour des bons, se préoccupant uniquement de la poésie, et surtout des finesses et des secrets du métier. […] C’est que, bien qu’on en puisse dire, la pensée, a besoin, pour développer toute sa puissance, d’être soutenue par les préoccupations politiques ou religieuses, d’être animée par la passion. […] Les écrivains ont agi, ont souffert ; ils ont vu les grandes catastrophes, ils ont connu les passions qui vivifient l’intelligence et l’expérience qui l’éclaire. […] La facilité de gagner augmente chez nos contemporains la passion de s’enrichir : l’art d’écrire est trop souvent devenu une industrie où beaucoup de talent se perd, se gaspille chaque jour.

44. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

c’est mieux que le diable ; il est cent fois plus dangereux ; il a en partage l’esprit, la grâce, la repartie, le courage, l’épée, la main blanche, l’ironie, la générosité, le sang-froid uni à la passion. […] Prenez toutes les pièces de Shakespeare, et dans pas une de ces tragédies, qui embrassent le ciel et la terre, vous ne trouverez plus d’espaces, et plus convenablement remplis par la passion, par le rire et par la terreur. […] — Et quand nous passions du sceptique à l’amoureux, notre étonnement redoublait. […] Il était vif, mélodieux, câlin, railleur, avide d’argent et de renommée, dormant peu, ne rêvant jamais, composant toujours, et aussi content de trouver une idée, par la toute-puissance du hasard qui est le vrai dieu des musiciens, que de la rencontrer dans sa passion ou dans son génie.  […] L’auteur n’entend guère plus les passions qu’il ne sait l’histoire, et il se perd lui-même dans un chaos d’événements.

45. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLII. De l’art d’épuiser un Sujet, un Caractere. » pp. 493-503

Il en est de l’âge comme des conditions : la même passion, le même vice, le même ridicule agissent plus ou moins sur un homme, selon qu’il est plus ou moins âgé. Nous avons dit ailleurs qu’un Auteur devoit donner à son héros l’âge où sa passion, son vice, son ridicule ont ordinairement le plus de force ; mais ne pourroit-on pas aussi, à l’exemple des Italiens qui font plusieurs pieces sur le même sujet pour suivre une intrigue, ne pourroit-on pas, dis-je, faire plusieurs pieces pour épuiser un caractere, en nous peignant sa naissance, ses divers progrès, & sa fin ? […] Je ne me suis engagé ni à faire les comédies dont je viens de parler, ni à fournir les matériaux suffisants ; mais, je le répete, je suis fermement persuadé qu’on pourroit donner dans plusieurs pieces suivies l’histoire d’une passion, d’un vice, d’un ridicule, &c.

46. (1882) Molière (Études littéraires, extrait) pp. 384-490

Passion malheureuse. […] Comment d’ailleurs ne serait-elle point flattée par la nouveauté si rare d’une passion vraie ? […] Sous sa philosophie si éthérée couve l’ardeur d’une passion vague qui cherche fortune ; elle n’est donc point aussi dégagée des sens qu’elle voudrait le faire croire. […] Ajoutez à ce trait l’expérience personnelle des passions. […] Il arrive tous les jours qu’un esprit possédé de sa passion ou de son vice ne voit, n’entend rien en dehors de cette préoccupation.

47. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

L’auteur annonce, au début, qui y reprend ce qui a déjà été dit entre eux, pour en faire un tout avec ce qu’il va ajouter, « La gloire et les triomphes de Rome, lui dit, l’auteur, ne suffisent pas à votre curiosité ; elle me demande quelque chose de plus particulier et de moins connu ; après voir vu les Romains en cérémonie, vous les voudriez voir en conversation et dans la vie commune… Je croyais, en être quitte pour vous avoir choisi des livres et marqué les endroits qui pouvaient satisfaire votre curiosité ; mais vous prétendez que j’ajoute aux livres… La volupté qui monte plus haut que les sens, cette volupté toute chaste et tout innocente, qui agit sur l’âme sans l’altérer, et la remue ou avec tant de douceur qu’elle ne la fait point sortir de sa place, ou avec tant d’adresse qu’elle la met en une meilleure, cette volupté, madame, n’a pas été une passion indigne de vos Romains. […] La passion du bon langage doit être une passion nationale.

48. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE V.*. Destouches imitateur, comparé à Moliere, Plaute, Regnard, Shakespeare, &c. » pp. 185-218

Il crut qu’une résistance de trois jours, avec de perpétuels combats, suffisoit pour l’affranchir des devoirs de l’amitié ; & ne trouvant plus de raison qu’à aimer la plus aimable personne du monde, il franchit entiérement le pas, & fit connoître à Camille la violence de sa passion. […] Il avoue sa faute à Camille, la rejette sur l’excès de sa passion ; Camille la lui pardonne, & projette de la tourner au profit de leur amour. […] L’exposition de l’intrigue est adroitement filée dans la Nouvelle : elle eût été trop languissante dans la piece si nous eussions vu naître la passion de Damon : mais aussi, n’y est-elle pas un peu trop brusquée ? L’Auteur auroit peut-être pu supposer que Damon avoit jadis été charmé de Julie, & qu’il se croyoit guéri ; par là il eût été moins criminel en acceptant la proposition de son ami ; par là le spectateur auroit joui du plaisir de voir renaître sa passion, & de son embarras pour l’accorder avec l’amitié. […] Julie, froide, insipide, ne se réchauffe que pour faire le dénouement : Evandra, la sensible Evandra, est toujours attachante ; elle respire continuellement l’amour le plus pur, la tendresse la plus délicate ; c’est la passion elle-même qui parle par sa bouche, elle la fait passer dans l’ame du spectateur ; tous desirent une maîtresse qui lui ressemble.

49. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Qui ne serait charmé de voir les lettres qu’elle écrivait étant encore mademoiselle de Chantai, à Ménage, son maître de latin et d’italien, qui était devenu amoureux d’elle, et dont elle ne voulait ni enivrer la folle passion ni rebuter les soins dignes de sa reconnaissance ? […] « Madame d’Albret, dit-elle, eut le secret de s’attacher madame Scarron, que le maréchal avait connue chez son mari. » La maréchale d’Albret était une excellente personne de peu d’esprit, très dévote ; mais sa bonté jointe aux dignités du maréchal, à sa passion pour le bel esprit, au grand état de sa maison, y attirait la meilleure compagnie. […] Segrais y trouva plus tard un asile, quand mademoiselle de Montpensier l’éloigna d’elle comme désapprobateur de sa passion pour le duc de Lauzun.

50. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLIII. Du But Moral. Philosophie de Regnard comparée à celle de Moliere. » pp. 504-548

Démocrite est amant, & il est maltraité : n’a-t-on pas droit de s’attendre à des scenes qui, en nous faisant voir les combats que l’amour & la raison se livrent dans l’ame d’un Philosophe, nous peindront une passion par ses beaux & ses mauvais côtés ? […] Je consens qu’une femme ait des clartés de tout : Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d’être savante ; Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait, Elle sache ignorer les choses qu’elle sait. […] La rime n’est pas riche, & le style en est vieux ; Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux Que ces colifichets dont le bon sens murmure, Et que la passion parle là toute pure :   « Si le Roi m’avoit donné, &c. […] La jalousie est une passion qui aveugle l’homme, qui lui fait prendre la moindre apparence de possibilité pour la certitude même. […] Tout homme frémira de se laisser vaincre par le démon de l’avarice, quand il verra le malheureux Harpagon livré aux inquiétudes continuelles de perdre son trésor, redoutant jusqu’à ses enfants qu’il regarde comme autant d’ennemis, & se laissant aveugler par sa malheureuse passion, jusqu’au point de renoncer à toutes les loix de la probité, & de se déshonorer en faisant l’infame métier d’usurier.

51. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Qu’on se figure, dans la position de madame de Maintenon, une femme d’un autre caractère : elle mettra en jeu tout ce que l’art de la galanterie aura de plus raffiné, d’abord pour nuire à sa rivale, ensuite pour plaire toujours plus qu’elle-même : elle disputera sa possession autant qu’il faudra pour en exalter le désir jusqu’à la passion. […] La fermeté tranchante du duc de Montausier pouvait n’être pas déplacée dans un homme de sa profession et surtout de son caractère ; mais la longue expérience de Bossuet et sa profonde connaissance du cœur humain lui avaient appris que la douceur, la patience et les exhortations évangéliques sont les véritables armes a un évêque pour combattre les passions et qu’elles servent plus souvent à en triompher que ces décisions brusques et absolues qui obtiennent rarement un si heureux succès. […] « Mais on serait également injuste envers madame de Maintenon, si on se plaisait à attribuer le chagrin de voir madame de Montespan revenir à la cour, à des motifs peu dignes d’elle, et à ces petites passions qu’on retrouve si souvent dans la société.

52. (1825) Notice sur Molière — Histoire de la troupe de Molière (Œuvres complètes, tome I) pp. 1-

Ce n’était pas seulement lui qui était dévoré par la passion du théâtre ; la France entière était alors avide de cet amusement, à la fois le plus innocent et le plus instructif des plaisirs. […] Madame Béjart n’avait pas seulement un penchant irrésistible pour le théâtre ; cette passion était légitimée par un beau talent. […] Dans Le Misanthrope et L’Avare, le caractère se trouve aux prises avec la passion : Alceste et Harpagon non seulement sont amoureux, mais encore l’un aime une coquette et l’autre une fille pauvre. […] Ces trois passions lui firent une réputation assez désavantageuse ; et les dettes qu’il laissa après sa mort ne purent être acquittées parce qu’elles montaient à plus de vingt mille livres au-delà de sa succession. […] Il était surprenant qu’un enfant de dix ou onze ans, sans avoir été conduit dans les principes de la déclamation, fit valoir une passion avec autant d’esprit qu’il le faisait.

53. (1852) Légendes françaises : Molière pp. 6-180

Molière s’était dit qu’il fallait mettre plus en relief les passions de ses personnages, et entasser sous leur pas moins d’aventures romanesques. […] S’il donnait la comédie aux autres, la contemplation de ses propres passions la lui donnait à lui-même bien autrement profonde! […] Qu’enfin dans la passion d’Arnolphe, c’était sa propre passion qu’il exposait aux rires de la foule ! […] Toutefois, cette passion de Baron et de la Molière dura peu. […] Il ne se pouvait plus passer de cet épanchement entier de lui-même ; sa passion pour le théâtre n’avait fait qu’augmenter à mesure que tout le reste lui avait manqué.

54. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. » pp. 180-200

Les rivaux de Don Carlos arrivent en faisant part de leur passion au Comte de Barcelone, pere de Diana. […] Don Carlos, loin de combattre les sentiments de Diana, lui annonce qu’il pense comme elle ; qu’il ne lui donne des fêtes que pour lui prouver son respect, & non la sincérité d’une passion qu’il n’a jamais sentie, qu’il ne sentira jamais, quand même le Ciel, pour le toucher, formeroit une beauté chez qui toutes les graces des autres seroient réunies. […] Le caractere de l’héroïne est beau : les motifs & les moyens principaux y sont puisés dans le sentiment : les degrés des passions y sont traités avec des nuances très fortes & même très délicates ; elles annoncent, dans l’Auteur, toutes les finesses de son art : les situations sont intéressantes : il y a des scenes où le cœur de l’homme est développé en entier. […] Oui, cette passion, de toutes la plus belle, Traîne dans un esprit cent vertus après elle : Aux nobles actions elle pousse les cœurs, Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs.

55. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Dans la même année, il écrivait à madame de La Sablière :                  « Les pensers amusants,                  « Les romans et le jeu, « Cent autres passions des sages condamnées « Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. » Il finit par s’exhorter, il est vrai, sans grande espérance de succès, à embrasser un autre genre de vie : « Que me servent ces vers avec soin composés ? […] Dans la même année, il montra dans Titus la vertu triomphant d’une passion désordonnée ; c’était encourager le roi à la vertu par son propre exemple et rappeler à l’adorateur de madame de Montespan, le sacrifice qu’il avait pu faire de Marie de Mancini. […] Aux Perrins, aux Coras, est ouverte à toute heure : Là du faux bel esprit se tiennent les bureaux, Là tous les vers sont bons pourvu qu’ils soient nouveaux ; Au mauvais goût public, la belle y fait la guerre, Plaint Pradon opprimé des sifflets du parterre ; Rit des vains amateurs du grec et du latin, Dans la balance met Aristote et Cottin ; Puis, d’une main encor plus fine et plus habile, Pèse sans passion Chapelain et Virgile, Remarque en ce dernier beaucoup de pauvretés ; Mais pourtant confessant qu’il a quelques beautés, Ne trouve en Chapelain, quoi qu’ait dit la satire, Autre défaut, sinon qu’on ne le saurait lire, Et pour faire goûter son livre à l’univers, Croit qu’il faudrait en prose y mettre tous les vers. […] Il avait été frappé du plaisir qu’elle avoue avoir éprouvé à la lecture d’une critique de Bérénice, et n’avait pas remarqué que ce qu’elle appelle la folle passion de cette pièce lui déplaisait non seulement par sa folie, mais aussi parce que Bérénice rappelait cette Marie Mancini, nièce de Mazarin, que Louis XIV avait voulu épouser, et qui était odieuse à la société fréquentée par madame de Sévigné, Il n’avait pas lu ce qu’elle dit de Bajazet : La pièce m’a paru belle ; Bajazet est beau, mais Racine n’ira pas plus loin qu’Andromaque.

56. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Le marquis d’Urfé devait en grande partie sa célébrité à sa longue et merveilleuse passion pour Diane de Châteaumorand, personne d’une admirable beauté, d’une grande fortune, toute occupée de ses charmes, et pénétrée du respect pour elle-même, au point d’avoir refusé à un neveu de s’arrêter une nuit dans un château qu’il avait sur une route où elle passait, parce qu’on y avait remplacé des vitres de cristal par du verre. […] Les dernières amours de Henri IV, à cinquante-six ans, sa malheureuse passion pour Charlotte de Montmorency, qu’il avait mariée au prince de Condé, les jalousies de Marie de Médicis, les intrigues de sa cour contre les maîtresses du roi, le souvenir d’une guerre qu’on avait vue prête à s’allumer contre la maison d’Autriche pour ravoir la princesse de Condé, que son mari avait conduite à Bruxelles, dans la vue de la soustraire aux poursuites du roi, tout cela avait inspiré à toutes les âmes délicates un profond dégoût pour cette scandaleuse dissolution, dont la cour et la capitale offraient le spectacle, et les avait disposées à favorablement accueillir la continuation de L’Astrée.

57. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Ce fut la première troupe de comédiens autorisée par le pouvoir royal, et le Théâtre-Français d’aujourd’hui remonte en ligne directe jusqu’aux confrères de la Passion. Leurs pièces appelées mystères, avaient principalement pour sujets la passion de Jésus-Christ et les martyres des saints : c’était la tragédie du temps. […] Les passions sont aussi une source féconde de ridicules, et elles ont ordinairement pour principe l’amour de nous-mêmes. […] Au contraire, les mots naïfs, les mots arrachés par la situation au caractère ou à la passion d’un personnage, conserveront toujours le droit de plaire par le naturel et la vérité. […] On en peut dire autant de toutes les autres passions.

58. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XLI. Des Episodes. Maniere de les lier aux Caracteres principaux, & de placer les Caracteres accessoires. Embonpoint d’une Piece. » pp. 475-492

On pourroit la supprimer sans déranger la machine ; mais ce seroit bien dommage, puisqu’elle décele les indignes ressources des joueurs de profession, & qu’elle les décele aux yeux d’un pere alarmé par la malheureuse passion qui maîtrise son fils, & que cette scene augmente ses inquiétudes. […] Ils paroissent plus souvent ; ils font rire plus que les principaux personnages : mais ils ne contribuent pas un seul instant à nous faire connoître ni le Joueur, ni les dangers de sa passion. […] Il faut, pour acquérir cette science, savoir pénétrer dans les replis de l’ame, & y lire quels sont les vices, les défauts, quelquefois les vertus, qui accompagnent une passion parvenue à un certain degré ; sans cela l’on risque d’unir deux contraires ensemble.

59. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE III. L’Honnête Homme. » pp. 42-64

Non : l’homme, être perfectible, n’est honnête homme qu’en s’appliquant de toutes ses forces à régler en soi les passions excessives, à se rendre meilleur de toutes façons, par le travail, par la science, par la charité, par les manières même et par la politesse, par l’esprit et par le corps, enfin à s’approcher autant que possible du type idéal de l’humanité ; en sorte qu’il réalise le vœu de Platon, qui demande que la vie du sage soit un effort pour se rendre semblable à Dieu 124, ou plutôt qu’il obéisse au commandement du Christ : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait 125. » Ce n’est pas seulement en gros et dans les circonstances importantes qu’il faut être vertueux : l’honnêteté consiste à se perfectionner en tout genre, à poursuivre le bien en toutes choses, à fuir, après les vices, les défauts, les travers, les ridicules même, et toutes les misères adhérentes à l’humanité, qui rendent quelquefois les petites vertus plus difficiles à pratiquer que les grandes. […] Mais, dans tous les plaisirs permis, utiles même, tant qu’ils ne deviennent pas des passions, c’est l’excès seulement que Molière condamne avec une verve sans pareille, en montrant combien deviennent maniaques et ridicules ceux qui, même dans leurs divertissements, se laissent aller au delà de la juste mesure. […] Il doit résister à tous les mouvements violents par lesquels une passion, même honorable, peut conduire à la colère208. […] XXVI, v. 75. — « Mais le coup de maître est d’avoir fait-Alceste amoureux, d’avoir courbé cette âme indomptée sous le joug de la passion, et montré par là surtout que le plus sage ne peut être complètement sage,   Et que dans tons les cœurs il est toujours de l’homme.

60. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Elle voltige au-dessus du monde réel, et glisse, sans jamais s’y abattre, sur nos misères et nos passions. […] Je sais bien que ces comédies, si légères et si aériennes, ont un contrepoids assez lourd qui tend à les ramener vers la terre et vers le sérieux ; je veux parler des personnages publics et des passions poétiques. […] Elle exclut toute autre passion, mais surtout celle-là, et un vieil avare amoureux est une contradiction dans les termes ou un contre-sens de la nature. […] sans doute, le combat ne peut manquer d’être fort plaisant entre l’amour et l’avarice, entre la plus généreuse et la plus égoïste des passions ; mais on oublie une chose, c’est qu’un tel combat est impossible. […] Le répertoire comique serait bientôt épuisé, s’il n’y avait qu’un seul caractère pour chaque passion.

61. (1809) Cours de littérature dramatique, douzième leçon pp. 75-126

Tous les incidents ne servent qu’à faire passer l’avare par une suite d’inquiétudes toujours croissantes, où se déploie sa triste passion. […] Le répertoire comique serait bien vite épuisé, s’il n’y avait en effet qu’un seul caractère pour chaque passion. […] Mais d’ordinaire l’avarice est un bon préservatif contre les autres passions. […] L’auteur connaissait par expérience la passion du jeu et la vie qu’elle fait mener ; aussi sa pièce est-elle un tableau d’après nature, peint avec force, quoique sans exagération. […] De petites passions sont mises en jeu par de petits ressorts, soumises à de petites épreuves, et l’on avance à petits pas vers le dénouement.

62. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Horace est un type charmant de jeunesse et de passion. […] A quoi tiennent les passions ? […] Toutes ses héroïnes, dont le cœur insensible se prend en un jour, et va jusqu’à l’extrême de la passion, sont sorties de là. […] On sait que Molière avait fait une rude expérience de cette passion. […] La passion de Mlle Molière pour le comte de Guiche, puis pour Lauzun, puis pour beaucoup d’autres, avait amené une séparation.

63. (1885) La femme de Molière : Armande Béjart (Revue des deux mondes) pp. 873-908

D’abord, Armande était une Béjart, c’est-à-dire qu’elle avait dans le sang la passion et l’instinct du théâtre. […] Mais je n’eus que trop de moyens de m’apercevoir de mon erreur ; et la folle passion qu’elle eut, peu de temps après, pour le comte de Guiche, fit trop de bruit pour me laisser dans cette tranquillité apparente. […] Mais elle n’eut pas la pudique réserve d’Éliante, son intervention dans une passion troublée fut moins irréprochable ; enfin sa liaison avec Molière ne saurait leur valoir à l’un et à l’autre une sympathie sans mélange. […] Durant les représentations de Psyché, au carnaval de 1671, elle se serait éprise d’une passion violente pour le très jeune Baron, qui faisait l’Amour, et ils auraient continué leur rôle hors du théâtre. […] Mais il était encore bien jeune : il avait à peine dix-sept ans et Armande n’était pas assez âgée elle-même pour rechercher les passions d’adolescens ; les Rosines ont passé la trentaine lorsqu’elles font chanter la romance aux Chérubins.

64. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

À les en croire, l’homme trouble l’harmonie de l’univers, plus qu’il n’en fait partie ; il a sur ses actions, ses passions, ses œuvres un pouvoir absolu, et ses déterminations ne relèvent que de son arbitre ; la Nature, de son côté, est sans lois ; non seulement l’homme lui échappe, mais elle peut, en quelque façon, s’échapper à elle-même ; les accidents historiques ne sont pas des phénomènes naturels, et les phénomènes naturels ne sont point des faits nécessaires. […] Sans doute l’individu est un, bien qu’il soit composé de facultés diverses, rempli d’idées contradictoires, combattu de passions opposées, et sollicité souvent en sens contraire par sa naissance et par son éducation ; de même la société est une, bien que ses membres soient en lutte d’intérêts, de passions et d’idées les uns contre les autres ; de même aussi l’humanité est une, bien que les peuples qui la composent soient si différents, que la guerre entre eux semble être l’état de nature. […] Mais dans les statues de la Renaissance, je voyais déjà la passion soulever, pour ainsi dire, et faire éclater la forme. […] En l’année 1667442, commence un fait important dans l’histoire du dix-septième siècle, curieux pour celle du théâtre de Molière, la passion de Louis XIV pour madame de Montespan. […] Aussi ne l’a-t-on jamais soupçonné de l’être de personne, et je suis persuadé que s’il eût été amoureux de quelque dame qui eût eu quelques légers défauts, ou en sa beauté, ou en son esprit, ou en son humeur, toute la violence de sa passion n’eût pu l’obliger à trahir ses sentiments.

65. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXI. De l’Amour. » pp. 367-384

Otez à Alceste sa passion amoureuse pour la franche coquette qui le domine, & nous ne le connoîtrons qu’à demi. […] Le public est-il une fois instruit de la pureté, de la vivacité de leur tendresse, qu’ils cessent de disserter sur leur passion, qu’ils en prouvent la violence en agissant ou en faisant agir tout ce qui les entoure pour parvenir à l’hymen qui doit combler leurs vœux. […] Cet amant, de vos vœux jaloux au dernier point, Souhaite qu’à lui seul votre cœur s’abandonne ;  Et sa passion ne veut point  De ce que le mari lui donne.

66. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre III. La commedia dell’arte en France » pp. 31-58

Quand on sait les préoccupations et les passions qui agitaient alors ces députés, on conçoit difficilement qu’ils trouvassent beaucoup d’attraits aux jeux des Pantalon et des Zanni. […] Aussi, les confrères de la Passion, qui continuaient à jouer leurs Farces, leurs Soties et leurs Moralités à l’Hôtel de Bourgogne, et qui jouissaient d’un privilège en vertu duquel il était fait défense à tous autres de représenter des jeux dramatiques dans la ville, faubourgs et banlieue de Paris, s’émurent de la redoutable concurrence que leur faisaient les nouveaux venus. […] Les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, à qui les Confrères de la Passion avaient cédé leur privilège, n’étaient plus en mesure de faire une sérieuse opposition aux étrangers protégés par la faveur royale ; ils s’arrangèrent avec eux.

67. (1850) Histoire de la littérature française. Tome IV, livre III, chapitre IX pp. 76-132

On ne songeait pas à leur donner des caractères ; l’intérêt, dans ces sortes de pièces, ne consiste pas dans la contrariété du caractère et de la passion, mais dans les complications qui séparaient les deux amants. […] De même, au lieu d’événements naturels où les personnages sont engagés par leur passion ou par leurs travers, je vois le plus souvent des incidents artificiels, tout de l’invention du poète. […] Enfin, le langage, au lieu d’être un art, n’est plus que la nature elle-même parlant par la bouche des personnages, selon le sexe, le caractère, la passion, la condition. […] Il y a plus d’intérêt, plus d’action, plus de passion. […] Dans une contrariété vive et présente, on peut tirer quelque soulagement d’une autre passion ; mais un aphorisme de morale n’y peut rien.

68. (1692) Œuvres diverses [extraits] pp. 14-260

Sans ce métier fatal au repos de ma vie, Mes jours, pleins de loisir couleraient sans envie, Je n’aurais qu’à chanter, rire, boire d’autant ; Et comme un gras Chanoine, à mon aise, et content, Passer tranquillement, sans souci, sans affaire, La nuit à bien dormir, et le jour à rien faire, Mon cœur exempt de soins, libre de passion, Sait donner une borne à son Ambition, Et suivant des grandeurs la présence importune, Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune : Et je serais heureux, si, pour me consumer, Un destin envieux ne m’avait fait rimer. […] Il faut que ses Acteurs badinent noblement : Que son nœud bien formé se dénoue aisément : Que l’Action marchant où la raison la guide, Ne se perde jamais dans une Scène vide : Que son style humble et doux se relève à propos : Que ses discours partout fertiles en bons mots Soient pleins de passions finement maniées ; Et les scènes toujours l’une à l’autre liées.

69. (1730) Poquelin (Dictionnaire historique, 4e éd.) [graphies originales] pp. 787-790

La jalousie reveilla dans son ame la tendresse que l’étude avoit assoupie ; il courut aussi tôt faire de grandes plaintes à sa femme, en lui reprochant les grands soins avec lesquels il l’avoit élevée ; la passion qu’il avoit étouffée ; ses manieres d’agir, qui avoient été plûtot d’un amant que d’un mary ; & que pour recompense de tant de bontez, elle le rendoit la risée de toute la Cour. […] Pour moi, lui dit-il, je vous avouë que si j’estois assez malheureux pour me trouver en pareil état, & que je fusse fortement persuadé que la personne que j’aimerois accordât des faveurs à d’autres, j’aurois tant de mépris pour elle, qu’il me gueriroit infailliblement de ma passion : encore avez vous une satisfaction que vous n’auriez pas si c’étoit une maitresse ; & la vengeance, qui prend ordinairement la place de l’amour dans un cœur outragé, vous peut payer tous les chagrins que vous cause vôtre épouse, puis que vous n’avez qu’à la faire enfermer : ce sera même un moyen assûré de vous mettre l’esprit en repos. […] Je ne vous rapporterai point une infinité d’exemples, qui vous feroient connoître la puissance de cette passion ; je vous ferai seulement un recit fidelle de mon embarras, pour vous faire comprendre combien on est peu maître de soi, quand elle a une fois pris sur nous l’ascendant que le temperament lui donne d’ordinaire. […] Mais si vous sçaviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moi : ma passion est venuë à un tel point, qu’elle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses interéts ; & quand je considere combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en même temps, qu’elle a peut-être la même difficulté à detruire le penchant qu’elle a d’être coquette, & je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blâmer.

70. (1873) Le théâtre-femme : causerie à propos de L’École des femmes (Théâtre de la Gaîté, 26 janvier 1873) pp. 1-38

Il ressuscite la vérité morte ; il nous rend par la magie d’une langue éternellement neuve, la vie même de nos pères, si différente de la nôtre, et pourtant, si semblable : passions, travers, physionomies, grimaces ; notre sottise d’autrefois, encore si bien portante aujourd’hui, et notre esprit de toujours, le talisman de la féerie gauloise, votre esprit à vous, l’esprit français, composé de bon sens, de bonne foi, de bon cœur, l’esprit de Rabelais, d’Henri IV et de Voltaire : notre esprit historique, national, qu’on nie de temps en temps chez nous, quand c’est la mode, mais que l’étranger nous envie toujours, — ce piquant, ce charme particulier de nos femmes, qu’elles soient la reine Marguerite, Sévigné, la marquise, ou Jenny l’ouvrière, — cette gaîté robuste et en quelque sorte fatale qui force le grand Corneille à écrire le Menteur, une fois en sa vie, et Racine à interrompre Andromaque pour lancer l’éclat de rire des Plaideurs, — cette immortelle bonne humeur, enfin, qui vit de nos gloires, qui survit à nos désastres et qui, loin d’abaisser notre caractère, est le meilleur argument de notre éloquence et Tarme la plus fidèle de notre valeur. […] Cependant un seul de ces faits, le plus considérable, la Passion de Notre-Seigneur, dominant tous les autres, s’empara de notre scène naissante, à tel point que tout ce qui tenait au théâtre, d’alors, auteurs et acteurs, empruntèrent leur nom à ce fait et s’appelèrent les Frères de la Passion. […] Le mot passion étant pris ici dans le sens biblique de supplice. […] Jamais plus la tragédie ne s’éveillera tout à fait, — à moins que, par un miracle ardemment souhaité, la tragédie ne s’éveille un jour moderne, française, chrétienne, priant du blasphémant le vrai Dieu cherchant son amour et sa haine, trouvant son héroïsme et ses fureurs, toute sa passion, toute sa fièvre dans les entrailles de notre histoire.

71. (1856) Molière à la Comédie-Française (Revue des deux mondes) pp. 899-914

Sans les révélations de Damis, elle n’imaginerait pas de cacher Orgon, et de l’obliger à entendre de ses oreilles l’aveu d’une passion coupable. […] La vertu qui se défend ainsi, qui attise la passion, en se réservant l’honneur d’une facile victoire, est bien près de ressembler au vice. […] Soyons de bonne foi : un homme qui voit sa femme prodiguer les avances pour encourager une passion adultère peut-il être bien sûr de sa vertu ? […] Quand il abandonne Armande pour se tourner du côté d’Henriette, il s’attache avec une singulière obstination à peindre la passion qu’il ne ressent plus.

72. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

Corneille, entraîné par l’exemple de ceux qui avaient pris sa place, crut devoir s’y conformer, et tempérer le sujet plein d’horreur et d’effroi qu’il avait choisi par la passion de l’amour, qui en général est toujours du goût des spectateurs. […] Molière commença par mettre au théâtre les passions qui avaient déjà été traitées ; mais il les donna en divers temps, et sous des formes différentes, afin que ce même public, comparant ce qu’il avait vu à ce qu’on lui présentait, en distinguât mieux la manière, et sentît la préférence qu’il devait donner au nouveau système sur l’ancien. » Ce ne fut ni sans peines ni sans essuyer un nombre infini de critiques que Molière parvint à faire goûter la bonne comédie. […] La passion du bel esprit, ou plutôt l’abus qu’on en fait, espèce de maladie contagieuse, était alors à la mode. » « 1Il régnait dans la plupart des conversations un mélange de galanterie guindée, de sentiments romanesques et d’expressions bizarres, qui composaient un jargon nouveau, inintelligible et admiré ; les provinces, qui outrent toutes les modes, avaient encore enchéri sur ce ridicule ; les femmes qui se piquaient de cette espèce de bel esprit s’appelaient précieuses : ce nom, si décrié depuis par la pièce de Molière, était alors honorable, et Molière même dit dans la préface que les véritables précieuses auraient tort de se piquer, lorsqu’on joue les ridicules qui les imitent mal. […]       La troupe des comédiens Que Monsieur avoue être siens, Représentant sur leur théâtre, Une passion assez folâtre, Autrement un sujet plaisant, À rire sans cesse induisant, Par des choses facétieuses, Intitulées Les Précieuses, Ont été si fort visités, Par gens de toutes qualités, Qu’on n’en vit jamais tant ensemble, Que ces jours passés, ce me semble, Dans l’Hôtel du Petit-Bourbon, Pour ce sujet mauvais ou bon, Ce n’est qu’un sujet chimérique, Mais si bouffon, et si comique, Que jamais les pièces Du Ryer, Qui fut si digne de laurier, Jamais l’Œdipe de Corneille, Que l’on tient être une merveille, La Cassandre de Boisrobert, Le Néron de Monsieur Gilbert, Alcibiade, Amalasonte *, Dont la Cour a fait tant de compte, Ni le Fédéric de Boyer, Digne d’un immortel loyer, N’eurent une vogue si grande Tant la pièce sembla friande, À plusieurs, tant sages que fous ; Pour moi, j’y portai trente sous Mais oyant leurs fines paroles, J’en ris pour plus de dix pistoles. […] « [*]On remarqua, dans Le Cocu imaginaire, que l’auteur, depuis son établissement à Paris, avait perfectionné son style ; cet ouvrage est plus correctement écrit que ses deux premières comédies, mais si l’on y retrouve Molière en quelques endroits, ce n’est pas le Molière des Précieuses ridicules ; le titre de la pièce, le caractère du premier personnage, la nature de l’intrigue, et le genre de comique qui y règne, semble annoncer qu’elle est moins faite pour amuser les gens délicats que pour faire rire la multitude ; cependant on ne peut s’empêcher d’y découvrir en même temps un but très moral ; c’est de faire sentir combien il est dangereux de juger avec trop de précipitation, surtout dans les circonstances où la passion peut grossir ou diminuer les objets.

73. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. De l’Entr’acte. » pp. 289-308

Je ne saurois comprendre pourquoi tous les Auteurs qui ont mis des joueurs ou des joueuses sur le théâtre, ne les ont pas peints dans le moment où ils ont les yeux fixés sur une carte qui décide de leur sort & de celui d’une famille entiere, leur joie ou leur désespoir peindroit leur passion avec le crayon le plus énergique. […] Tartufe traverse leur passion ; la soubrette les sépare, & leur dit : Dorine, à Valere. […] Le traître Lord déguise son Intendant en Ministre, feint de s’unir par un lien sacré au sort d’Eugénie, satisfait sa passion, laisse la malheureuse Eugénie enceinte, & part pour Londres, où le Baron le suit bientôt avec sa fille & sa sœur, pour solliciter le jugement d’un procès.

74. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVI. M. DE BEAUMARCHAIS. » pp. 442-462

Le Lord Thatley est dans cet âge que l’on peut appeller l’orage des passions : il se promene dans son parc après avoir fait un dîner agréable avec ses amis, entre chez un de ses fermiers nommé Adams, est frappé d’une figure céleste. […] Un de ses amis, nommé Thoward, rit de sa passion, propose au Fermier de céder sa fille au Lord moyennant une somme : le pere frémit d’indignation : le Lord désavoue son indigne ami : sa tendresse prend de nouvelles forces : il ne peut vivre s’il ne possede Fanni, il la demande au vertueux Adams qui lui oppose la distance qu’il y a de son maître à sa fille. […] Thowart trouve, dit-il, un bon expédient pour accorder l’honneur de son ami avec la jouissance de Fanni : il lui conseille de ne faire avec elle qu’un mariage simulé, qu’il pourra rendre plus valable si sa passion subsiste après le bonheur.

75. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVIII. Les Caracteres des hommes n’ont pas plus changé que ceux des professions. » pp. 303-311

La raillerie échauffoit mes adversaires ; ils ramassoient leurs forces & pensoient me laisser sans réplique, en me disant « que si nos avares ressembloient intérieurement à Harpagon, ils lui étoient tout-à-fait opposés par l’extérieur, puisqu’ils cachoient leur avarice sous un faux air de magnificence, qui, contrastant toujours avec leur passion, pouvoit les rendre très plaisants, sur-tout si un Auteur avoit l’adresse de les mettre dans une situation où ils fussent contraints à faire beaucoup de dépense pour ne pas démentir leur masque ». […] On se trompe : le masque ne servira qu’à dérober aux yeux des spectateurs la force de la passion qui le domine, à diminuer son expression, à lui donner une uniformité ennuyeuse.

76. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre IV » pp. 38-47

Le roi eut successivement deux passions assez vives, mais réputées chastes, d’âme à âme, et ne s’accordant que des jouissances toutes virginales. […] Ce fut en 1607 que la marquise eut sa cinquième fille, Julie, devenue depuis si célèbre par la passion du duc de Montausier, et sa guirlande, par ses places à la cour, par sa mort, dont la cause est aussi honorable que le reste de sa vie.

77. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXIX » pp. 319-329

Sa piété est douce, gaie, point fastueuse ; mais il veut une vie chrétienne et active ; c’est un homme admirable ; je vous l’enverrai, si vous souhaitez, à vous et à Guébriant, Il commence pars emparer des passions, il s’en rend maître, et il y substitue des mouvements contraires, il m’a ordonné de me rendre ennuyeuse en compagnie, pour modifier la passion qu’il a aperçue en moi, de plaire par mon esprit.

78. (1845) Œuvres de Molière, avec les notes de tous les commentateurs pp. -129

Une étude plus importante encore, c’est de chercher les passions et la vie d’un auteur dans ses propres ouvrages. […] Il était surprenant qu’un enfant de dix ou onze ans, sans avoir été conduit dans les principes de la déclamation, fît valoir une passion avec autant d’esprit qu’il le faisait. […] « Je ne vois point, ajouta Molière, de passion plus indigne d’un galant homme que celle du vin : Chapelle est mon ami, mais ce malheureux penchant m’ôte tous les agréments de son amitié. […] Cependant on remarquait un défaut en lui, qui était d’avoir un visage riant dans les passions les plus furieuses et les situations les plus tristes. […] Cette passion n’est point propre au théâtre comique.

79. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Non, j’entends une passion sérieuse, un amour vrai et profond. […] Il voit grandir et se développer au cœur de l’enfant cette passion dont les suites l’inquiètent. […] Quel analyste des passions humaines que ce Molière !  […] Je serai donc enchantée de vous donner cette main que vous sollicitez, et d’éviter avec vous les périls des passions violentes. […] Il a une passion vraie, un culte sincère pour nos vieux classiques.

80. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

De quelle façon pourrez-vous éviter par-là dans vos jugements littéraires (car vous jugez aussi) l’étroitesse, l’exclusisme et la passion ? […] Tout fait a sa cause, et toute littérature, toute œuvre d’art est un fait dont il suffît de chercher, dont il faut sans passion chercher la cause dans les mœurs, les idées et les goûts de la société qui l’a produite, dans l’esprit du siècle qui l’a inspirée, dans le génie de la nation qui lui a donné son caractère général, dans le tempérament, les habitudes et la vie de l’auteur original qui lui a imprimé son cachet particulier.

81. (1865) Les femmes dans Molière pp. 3-20

Armande, on le voit, avait dû être merveilleusement douée ; les avantages qu’elle avait reçus de la nature primait même assez ceux de sa sœur Henriette, pour que ce fut à elle, Armande, que se fussent adressés tout d’abord les hommages de Clitandre, homme de cœur et de mérite ; mais ses manières hautaines son dédain affecté des sentiments les plus doux et les plus naturels : ses prétentions à une philosophie creuse, toute de montre et de pédantisme, et ses indécentes déclamations contre le mariage, et ses nœuds de chair, ses chaînes corporelles avaient fini par éteindre dans le cœur de son amant la passion que sa beauté y avait fait naître et c’est, blessé de ses mépris, qu’il avait reporté toutes ses affections vers la moins belle, mais plus aimable Henriette. On comprend dès lors ce langage de Clitandre : … Les femmes docteurs ne sont pas de mon goût, Je consens qu’une femme ait des clartés de tout ; Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d’être savante ; Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait Elle sache ignorer les choses qu’elle sait : De son étude enfin je veux qu’elle se cache, Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache, Sans citer les auteurs, sans dire de grands mots, Et clouer de l’esprit à ses moindres propos. […] Pour que Tartuffe, si aveuglé qu’il fut par la passion et par son outrecuidance, pût concevoir la possibilité d’abuser d’Elmire, il fallait qu’elle eût une certaine dose de coquetterie ; d’un autre côté, pour que le spectateur ne pût un seul instant admettre cette possibilité, il fallait que sa vertu apparût si ferme qu’elle fut une garantie de l’insuccès et de la punition de l’imposteur.

82. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE PREMIER. Part de la Morale dans la Comédie de Molière. » pp. 1-20

Comment nier l’influence morale d’un spectacle qui, en animant les vices ou les vertus personnifiées, nous les fait voir avec la même émotion que nous causeraient des personnes vivantes ; qui, en répandant la grâce, sait nous séduire jusqu’à la passion, et, en déversant la moquerie, nous obliger à nous moquer malgré nous ? […] Enfin, son grand sens, sa délicate sensibilité, son observation pénétrante, toutes ses éminentes facultés pouvaient-elles s’appliquer à la peinture d’un caractère, à l’intrigue d’une passion, à la composition d’une scène de mœurs, sans y laisser jamais percer l’expression d’une opinion intime ou d’une émotion personnelle ? […] Mais quoiqu’on doive marquer chaque passion dans son plus fort degré et par ses traits les plus vifs pour en mieux montrer l’excès et la difformité, on n’a pas besoin de forcer la nature et d’abandonner le vraisemblable. » Fénelon, Lettre à l’Académie-françoise, VII. — C’est son amour absolu du vrai qui a fait dire à Boileau :   C’est par là que Molière illustrant ses écrits Peut-être de son art eût remporté le prix,   Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures,   Il n’eut point fait souvent grimacer ses figures.

83. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE V. L’Éducation des Femmes. » pp. 83-102

Or, au milieu de tant de perfection intellectuelle et de génie en toutes choses, régnait, au sujet de la femme, je ne sais quel faux goût, qui fut cause que ni le sublime Corneille ni même le tendre Racine ne firent tout à fait ce qu’on pouvait attendre d’eux : c’est seulement dans l’excès de la passion dramatique que Pauline, Hermione et Phèdre trouvèrent ces accents poignants et simples qui sont des cris de génie. […] Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d’être savante ; Et j’aime que souvent, aux questions qu’on fait, Elle sache ignorer les choses qu’elle sait. […]   Pèse sans passion Chapelain et Virgile, etc.

84. (1825) Notices des œuvres de Molière (IX) : La Comtesse d’Escarbagnas ; Les Femmes savantes ; Le Malade imaginaire pp. 53-492

Son mari, qui était dévoré de la même passion, mais qui la croyait peu compatible avec la destination naturelle d’une femme, avait obtenu de la sienne qu’elle ne se livrât pas, comme auteur, aux jugements du public. […] Le premier, répandu dans le monde, a une vanité sournoise et jalouse qui ne loue que pour être louée, et une galanterie intéressée qui ne feint la passion que pour arriver à la fortune ; le second, vivant dans la poussière de ses livres grecs et latins, a une brutalité d’orgueil et de colère, qui rappelle les injurieux démêlés des Scaliger et des Scioppius. […] Celui-ci, tout occupé du salut de son âme, croit attirer sur lui les bénédictions du ciel, en introduisant dans sa famille un misérable qui fait le saint homme ; celui-là, ne songeant qu’à la santé de son corps, espère se procurer des secours contre la maladie, et se trouver à la source des consultations, des ordonnances et des remèdes, en se donnant pour gendre un sot que le bonnet seul a fait docteur ; et chacun d’eux, par là, veut sacrifier sa fille à une passion qui se fonde uniquement sur son intérêt personnel. […] Instruments intéressés des passions des plaideurs, on les accuse de nourrir, d’envenimer, d’éterniser les procès, et de bâtir leur fortune sur la ruine de leurs clients. […] Il était, de plus, le mari très amoureux d’une femme fort coquette, dont il croyait pouvoir fixer l’inconstance, en multipliant les preuves de sa passion.

/ 211