Il demande encore conseil à Pancrace, Philosophe Aristotélicien ; celui-ci, tout échauffé d’une dispute qu’il vient d’avoir pour savoir s’il faut dire la forme ou la matiere d’un chapeau, ne l’écoute pas d’abord, & l’impatiente ensuite en lui demandant en quelle langue il veut lui parler, & en ne lui donnant pas le temps de dire un mot. […] Oui, je te soutiendrai par vives raisons, je te montrerai par Aristote, le Philosophe des Philosophes, que tu es un ignorant, un ignorantissime, ignorantifiant & ignorantifié par tous les cas & modes imaginables. […] C’est peut-être d’après cela que le Bourgeois Gentilhomme de Moliere veut que le Philosophe la lui montre. […] Au lieu de mettre dans les notes de sa piece, Sganarelle est impatienté par le Philosophe, il ferme avec sa main la bouche du Philosophe, il pousse le Philosophe dans sa maison, &c. il a constamment écrit, Sganarelle, impatienté par le Docteur, ferme avec sa main la bouche du Docteur ; il pousse le Docteur dans sa maison, &c.
Lysidas a, comme moi, le plus profond respect pour l’antiquité, surtout pour son plus grand philosophe, l’auteur de cette vénérable Poétique. […] Qui me garantit que j’ai raison de croire avec le sens commun que ce philosophe n’est qu’un fat ? […] Par la culture et l’exercice, elle s’est fait une esthétique plus fine que celle des philosophes. […] Ces raffinés ne sont pas seulement nos philosophes allemands. […] Notre philosophe est ici le précurseur de l’école historique.
On a beaucoup disserté sur le but de la comédie ; des philosophes du siècle dernier l’ont regardée comme la seule école de la sagesse ; des critiques de nos jours, au contraire, la représentent comme fatale aux mœurs et à la religion. Mais les philosophes n’étaient pas tout à fait sages, les critiques ne sont pas tout à fait religieux. […] Denys, tyran de Syracuse, s’étant adressé à Platon, afin d’avoir une idée positive du gouvernement et du peuple d’Athènes, le philosophe, pour toute réponse, lui envoya le théâtre d’Aristophane. […] On rougit des affections les plus douces, on est honteux des liens les plus sacrés, et le Philosophe marié met à cacher son bonheur le soin que Tartuffe prenait pour dissimuler ses vices. […] mais tu démasquerais ces prétendus misanthropes qui refusent les emplois qu’on ne leur accorde pas, ces indépendants qui sollicitent sans cesse, et ces philosophes disgraciés, qui se retirent à deux lieues de Paris, pour éviter la ville, le monde et la cour.
Le plus grave et le plus savant d’entr’eux, Bernier, auteur d’un abrégé de la philosophie de Gassendi, était surnommé le joli philosophe et faisait les délices de la société du Temple. […] Le restaurateur de la philosophie d’Épicure, Gassendi vivait comme un anachorète, il ne buvait que de l’eau, ne mangeait que quelques légumes et jamais de viande, pratiquant fidèlement le principe que l’usage de la viande est contre-nature, au sujet duquel il avait eu une curieuse polémique contre le philosophe mystique, Jean-Baptiste Van Helmont. […] Il raconte même que Molière, afin que tout le monde pût reconnaître Rohault, lui aurait fait demander son chapeau, qui était d’une forme particulière, pour l’acteur qui devait jouer ce rôle, et que Rohault n’aurait pas été assez philosophe pour le prêter, instruit de l’usage qu’on voulait en faire. […] Le philosophe se plaint des coups qu’il vient de recevoir, mais, à son tour, Sganarelle le reprend et lui rappelle qu’il ne doit pas dire j’ai été battu, mais il me semble que j’ai été battu. […] Daniel tourne cette mode en ridicule, en faisant dire par Aristote à Descartes, que la mode d’être philosophe ne serait pas plus durable parmi les dames françaises que toutes les autres modes3.
Il importe évidemment de se garder de considérer l’auteur des Fourberies de Scapin comme un austère philosophe, mettant au service de quelque conception morale abstraite et a priori les intarissables ressources de sa verve et de son haut comique. […] Soyez simples, dit Molière aux philosophes et aux médecins, soumettez à l’expérience les règles de la science, songez à la perfectionner sans cesse ; ne vous payez pas, et ne nous payez pas de mots, qu’ils soient latins ou grecs ; enfin, commencez moralement et physiquement par nous guérir, et nous ne manquerons pas de vous rendre grâce. […] Ici, le grand poète, obéissant à son désir de peindre, de mettre en scène les hommes et les femmes livrés aux épreuves de la vie, aux luttes de conscience, et de faire sortir de leur exemple des leçons pour l’Humanité, se trouve réaliser instinctivement la haute pensée que des moralistes, comme Adam Smith, des philosophes, comme Comte, conçurent de nos jours à l’état abstrait. […] Le moraliste et le grand philosophe, comprenant l’un et l’autre la nécessité permanente d’accommoder, avec l’opinion humaine qui évolue, l’appréciation des actes des hommes qui se répètent en somme à travers les siècles sans grand changement, remettent aux meilleurs de nos contemporains le soin de juger de notre conduite. […] Sosie lui-même, qui est un politique et un philosophe, s’écrie, après la mésaventure de son maître : Sur telles affaires toujours Le meilleur est de ne rien dire… Mais ces vers ne signifient en aucune façon que : Le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on en fait.
Ce Maître, si heureux en Disciples, était Gassendi, vrai Sage, Philosophe pratique, immortel pour avoir soupçonné quelques vérités prouvées depuis par Newton. […] C’est la représentation naïve d’une action plaisante, où le Poète, sous l’apparence d’un arrangement facile et naturel, cache les combinaisons les plus profondes, fait marcher de front d’une manière comique le développement de son sujet et celui de ses caractères mis dans tout leur jour par leur mélange et par leur contraste avec les situations, promenant le spectateur de surprise en surprise, lui donnant beaucoup et lui promettant davantage, faisant servir chaque incident, quelquefois chaque mot, à nouer ou à dénouer, produisant avec un seul moyen plusieurs effets tous préparés et non prévus, jusqu’à ce qu’enfin le dénouement décèle par ses résultats une utilité morale, et laisse voir le Philosophe caché derrière le Poète. […] S’il a peint des mœurs vicieuses, c’est qu’elles existent ; et quand l’esprit général de sa Pièce emporte leur condamnation, il a rempli sa tâche, il est un vrai Philosophe et un homme vertueux. […] C’est ce désir d’être utile qui décèle un Poète philosophe. […] Homme de Lettres, il connut le monde et la Cour ; ornement de son siècle, il fut protégé ; Philosophe, il fut Comédien.