Elle apprend à connaître, à juger les peuples ; elle est pour les moralistes ce que les médailles sont pour les antiquaires. […] Un auteur qui parvint à la célébrité en immolant à la risée publique les grands hommes de son temps, vivait à coup sûr chez un peuple ombrageux, ingrat et jaloux. […] Denys, tyran de Syracuse, s’étant adressé à Platon, afin d’avoir une idée positive du gouvernement et du peuple d’Athènes, le philosophe, pour toute réponse, lui envoya le théâtre d’Aristophane. […] Les comédies de Molière ont dû être écrites pour un peuple éclairé ; celles de Lachaussée, de Diderot, de Voltaire, l’ont été pour un peuple raisonneur. […] On trouvera mon système plus spécieux que solide ; on pourra l’attribuer à mon enthousiasme pour un art auquel je dois l’honneur de siéger parmi vous ; mais je rappellerai l’hypothèse dans laquelle je me suis placé ; et je répondrai d’ailleurs que l’histoire de certains peuples de l’antiquité repose sur des traditions bien plus incertaines et sur des conjectures bien moins vraisemblables.
Tous ceux qui travaillent péniblement pour gagner le pain de chaque jour, et qui accomplissent en silence, par une lutte humble et continue, les obscurs devoirs de la vie, le peuple en un mot, a besoin de divertissement. […] On se dit que ses grandes comédies sont décidément un divertissement moral ; qu’il serait à souhaiter que nos spectacles n’offrissent jamais aux passions populaires que des œuvres de cette nature, sinon de ce mérite ; et qu’après tout il y aurait avantage à ce que notre peuple allât souvent au théâtre de Molière. […] On s’occupe du peuple pour ce qui est de son bien-être matériel ; on s’occupe de lui pour ce qui est de son instruction littéraire ; mais on ne s’occupe pas assez de son perfectionnement moral. […] si le peuple était instruit moralement d’une manière suffisante ; si chaque homme dans son cœur portait, avec la volonté. de bien faire, une connaissance assez nette de ce qui est bien ou mal pour rester maître de son jugement au milieu du plaisir, et discerner avec calme ce qu’il doit fuir ou imiter ; s’il avait depuis l’enfance une habitude constante et forte de l’honnête, alors ou dirait avec confiance au peuple : Allez au théâtre de Molière. Mais il est à craindre que, longtemps encore, le théâtre de Molière, pour le peuple, ne soit le vin pur pour les enfants.
Mais qui peut ignorer les raisons que Moliere a euës de donner dans quelques-unes de ses Pieces quelques Scenes burlesques & d’un Comique un peu trop boufon : il falloit faire subsister une troupe de Comédiens, & attirer le Peuple & l’homme qui ne cherche qu’à rire : les personnes d’érudition & d’un discernement juste & délicat sont en petit nombre, & ne sont pas souvent les mieux traitez de la fortune, & par conséquent hors d’état de faire vivre les Comédiens en allant souvent aux Spectacles occuper les premieres places. Moliere fut obligé de se servir quelquefois d’un plaisant un peu outré, pour attirer un certain monde, & le Peuple, qui venoit en foule apporter un argent très-necessaire à sa Troupe. D’ailleurs dans les Spectacles n’est-il pas juste de donner quelque chose au Peuple & aux personnes qui ne se piquent point de bel esprit ? Mais dans quelques Pieces où Moliere a voulu satisfaire le Peuple, n’y trouve-t’on pas des Scenes & même des Actes entiers, qui charment l’homme d’esprit ? […] a On pourroit partager & distinguer les pieces de Moliere en trois classes ; la premiere seroit pour des genies superieurs & des Maîtres de l’Art ; la seconde, pour des personnes nées avec un goût naturel pour les bonnes choses, & qui ont la pratique du beau monde ; la troisiéme, pour la bonne Bourgeoisie & pour le Peuple : cependant on dira aussi en même tems que les personnes d’un genie superieur & du meilleur goût trouveront toûjours quelques beautez, jusques dans les Pieces qu’on pourroit mettre dans la troisiéme classe.
ce Peuple si enjoué, si enclin à la plaisanterie, n’aurait pu se glorifier d’une seule Scène de bon comique. […] Les différents états de la société, leurs préjugés, leurs prétentions, leur admiration exclusive pour eux-mêmes, leur mépris mutuel et inexorable, sont des puérilités réservées aux Peuples modernes. […] Telle est la fécondité de ces proverbes, telle est l’étendue de leur application, qu’elle leur tient lieu de noblesse aux yeux des esprits les plus élevés, chez lesquels ils ne sont pas moins d’usage que parmi le Peuple. […] Point de ces supercheries sans vraisemblance, de ces faux contrats qui concluent les mariages dans nos Comédies, et qui nous feront regarder par la postérité comme un Peuple de dupes et de faussaires. […] Les découvertes nouvelles faites sur le cœur humain par La Bruyère et d’autres Moralistes, le comique original d’un Peuple voisin qui fut inconnu à Molière, ne donneraient-ils pas de nouvelles leçons à un Poète comique ?
Ce n’était pas le mépris des humains33 que Molière professait en s’adressant à elle : c’était, au contraire, le respect pour cette majorité des hommes, le peuple, à qui il voulait parler sa langue. […] Ses œuvres ne se sont pas insinuées, comme la plupart des ouvrages de l’esprit, seulement dans l’aristocratie privilégiée des âmes instruites et raffinées ; mais elles ont pénétré la masse d’un grand peuple. Il vivait sous la monarchie et dînait à la table d’un roi : cependant il pressentait que notre nation est peuple ; il respectait cette puissance, et il savait qu’en France c’est au peuple qu’on doit parler34. […] Mais quoiqu’on doive marquer chaque passion dans son plus fort degré et par ses traits les plus vifs pour en mieux montrer l’excès et la difformité, on n’a pas besoin de forcer la nature et d’abandonner le vraisemblable. » Fénelon, Lettre à l’Académie-françoise, VII. — C’est son amour absolu du vrai qui a fait dire à Boileau : C’est par là que Molière illustrant ses écrits Peut-être de son art eût remporté le prix, Si, moins ami du peuple, en ses doctes peintures, Il n’eut point fait souvent grimacer ses figures. […] IX, v. 177), qui applaudissait le plus franchement Molière ; et Boileau lui reproche d’avoir été trop ami du peuple (Art poét.
Monnard, qui joignait à une connaissance raisonnée de sa langue maternelle une connaissance approfondie des langues anciennes et de celles des principaux peuples de l’Europe, avait fait de ses cours une étude comparée des littératures diverses, l’expression des développements divers de la nature humaine. […] Il trahit l’empire de la partie sensitive de l’être sur la partie spirituelle. « Un peuple théâtral, disait le professeur de Lausanne, porte partout la soif des impressions sensibles et de la représentation. […] « L’histoire d’un tel peuple est un long drame, où il compte avec complaisance les coups de théâtre sous le nom de journées. […] Chaque peuple en exprime une idée, chaque homme une lettre ; aucune voix ne J’achève. […] Le poète entonne, dit-il, mais il faut que le peuple se mêle à ses chants et répète ses refrains.