Les nobles ni ne gouvernent plus ni ne conspirent plus. […] Oui, ridiculiser « le Bourgeois gentilhomme » c’est bien ridiculiser un préjugé, le préjugé de la gentilhommerie, le préjugé qui consiste à croire qu’à être noble on est quelque chose de plus que si on ne l’était pas. […] Il s’ensuit que les idées moyennes de tous les temps conduisent à une morale qui n’est point absolument méprisable, rosis qui n’a rien d’héroïque, ni de noble, ni d’élevé, ni même de véritablement respectable. […] Oui, cette passion, de toutes la plus belle, Traîne dans un esprit cent vertus après elle ; Aux nobles actions elle pousse les cœurs, Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs. […] Monsieur Jourdain, fils de gros marchand de draps, homme riche et presque noble homme, ne sait pas la différence de la prose d’avec les vers et même ne sait pas ce que veut dire le mot prose ; Arnolphe a de la littérature, mais il en est encore aux quatrains de Pibrac et du conseiller Mathieu ; Chrysale n’a qu’un livre, le Plutarque d’Amyot, qu’il n’a jamais lu et qui ne lui a jamais servi qu’à mettre ses rabats.
Il lui prête tous les défauts de bon ton, tous ceux qu’on serait bien fâché de ne pas avoir, les défauts charmants, comme l’impertinence ; quand il place le bourgeois et le noble en face l’un de l’autre, le bourgeois est toujours accablé ! […] Le bourgeois de Molière n’accepte pas qu’on doive défendre son honneur domestique ; un personnage de Molière dit quelque part qu’il n’y a que les nobles à qui il appartienne de venger de tels affronts. […] C’est encore Armande qui lui inspire dans le rôle d’Alceste cette peinture de l’amour noble, élevé, et, quant à son objet, fourvoyé, qui ne peut éviter par moments une teinte de ridicule, qui est comme l’empreinte de l’indigne objet auquel il s’attache. […] Sa sœur est très malheureuse, son désespoir s’exprime dans la pièce de la façon la plus touchante et la plus noble ; elle se retire dans un couvent pour y mourir ; elle est blessée jusqu’au fond du cœur de l’affront que lui a fait Dom Juan. […] La morgue des pairs accablait le simple duc ; les gentilshommes de province déclamaient contre les courtisans, et, tandis que la noblesse de robe enrageait de n’être point d’épée, les financiers et les bourgeois se demandaient ce qu’il y avait de noble dans un « robin » dont ils avaient connu l’aïeul Mascarille ou Gros-Jean.
C’est pourquoi, ajoûte l’Auteur, il seroit très-difficile dans une galanterie si confuse de dire qui en étoit le pere ; tout ce qu’on en sçait est que sa mere assûroit que dans son dereglement, si on en exceptoit Moliere, elle n’avoit jamais pu souffrir que des gens de qualité, & que pour cette raison sa fille étoit d’un sang fort noble ; c’est aussi la seule chose que la pauvre femme lui a toûjours recommandée, de ne s’abandonner qu’à des personnes d’élite.
Son faste, Sa fierté, ses hauteurs font un parfait contraste Avec les qualités de son humble rival, Qui n’oseroit parler, de peur de parler mal, Qui, par timidité, rougit comme une fille, Et qui, quoique fort riche, & de noble famille, Toujours rampant, craintif, & toujours concerté, Prodigue les excès de sa civilité : Pour les moindres valets rempli de déférences, Et ne parlant jamais que par ses révérences.
En tête du volume, il y a une lettre de Francesco Andreini, comico Geloso detto il capitano Spavento, dans laquelle il fait l’éloge de son compagnon, « qui ne dérogea pas à la noblesse de sa naissance en s’adonnant au noble exercice de la comédie » ; il rappelle le succès que ces pièces ont eu pendant de longues années, et promet une seconde série non inférieure à la première ; mais il ne paraît pas que celle-ci ait jamais vu le jour.
Dans notre désir de rendre hommage à cette noble entreprise littéraire sans trop sortir du cadre de nos études habituelles, nous avons essayé de rechercher dans ces trois chefs-d’œuvre la pensée philosophique et morale qui les anime ; et, de même que nous nous étions occupé naguère de la psychologie de Racine1, nous tenterons d’exposer dans les pages qui suivent ce que l’on peut appeler la philosophie de Molière. […] S’il est vrai que le rire n’est pas toujours mauvais signe lorsqu’il ne s’adresse qu’à des travers légers et peu importants, et surtout à des travers qui viennent d’un cœur noble et généreux, cela est surtout vrai lorsqu’il a sa source dans les circonstances et dans les conditions du dehors plus que dans le fond du caractère lui-même, et c’est ce qui a lieu dans Le Misanthrope. […] Célimène, c’est le monde lui-même dans ce qu’il a de plus exquis et de plus perfide, la beauté sans la bonté, l’esprit sans le cœur, la richesse et tous les dons du dehors sans aucun des dons de l’âme ; c’est l’élégance et la grâce, le bon goût irréprochable, la diction juste, fine, perçante, la repartie implacable, la cruauté enjouée, la fierté feinte : c’est la coquette idéale, usant et abusant de tous ses dons, déchirant le plus noble cœur avec une grâce homicide, victime à la fin de ses ruses, mais prête à recommencer, n’ayant rien à craindre tant qu’elle aura vingt ans.