La moitié de cet acte renferme à-peu-près tout ce qui est dans le drame françois ; mais le fils de Béverley ne paroît pas.
L’année suivante n’amènera pas encore le dénouement de ce drame, mais y jettera des incidents propres à en ranimer l’intérêt.
On ne voulut pas sentir que, dans un-genre de drame destiné à peindre la vie commune, le langage mesuré ne pouvant être une condition essentielle et rigoureuse, puisqu’il établit nécessairement une différence entre l’image et le modèle, il est seulement l’objet d’une espèce de convention ou, si l’on veut, de concession aux avantages de laquelle l’artiste peut renoncer, s’il les remplace par des avantages équivalents ; que, d’ailleurs, le vers, dans nos comédies, n’est autre chose qu’une imitation de l’usage antique, et que toutefois notre vers alexandrin, le même qui sert pour l’épopée et pour la tragédie, est beaucoup moins propre à exprimer la liberté des entretiens familiers, que le système métrique des comiques grecs et latins, système large et presque irrégulier qui leur permettait d’employer des vers de toute espèce et de toute mesure, dont la structure est encore aujourd’hui un sujet de dissentiment parmi les érudits. […] La leçon donnée par le poète serait donc incomplète, insuffisante, si l’avare n’avait point d’enfants qu’il pût rendre victimes de ses mauvais traitements, pour devenir victime à son tour de leurs sentiments dénaturés ; et le drame serait invraisemblable, si, l’avare étant père de famille, ses enfants, réduits par lui aux plus dures et aux plus humiliantes privations, n’en étaient pas moins tendres et respectueux.
Pour la forme, c’est l’allégorie extravagante, la caricature monstrueuse, la parodie burlesque, la bouffonnerie cynique, l’insulte aux hommes et aux dieux, l’absence de toute raison, de toute règle dans la conduite du drame ; et tout cela mêlé des saillies de l’esprit le plus fin, des traits de la gaieté la plus franche, et des grâces du langage le plus exquis. […] Cette comédie (car tel est le nom générique donné à une si singulière espèce de drame) n’est pas sans doute une peinture de la société espagnole ; mais elle est du moins un genre de plaisir approprié à son génie et à son goût. […] Les tragédies et les drames historiques de Shakespeare admettent le mélange du comique et même du bouffon. […] Vinrent ensuite les moralités, pièces ordinairement allégoriques, qui avaient pour but de combattre le vice et d’exciter à la vertu ; ce fut le drame de l’époque. […] Molière n’est point allé jusqu’au drame, comme le lui a reproché un auteur hétérodoxe du dernier siècle ; mais il a fait plus, il a fait mieux : il a montré, dans le chef-d’œuvre de Tartuffe, comment, sans faire grimacer l’aimable visage de Thalie, on peut à la fois faire naître le rire et couler les pleurs, obtenir la pitié que sollicite l’infortune et provoquer la moquerie que mérite le ridicule ; comment surtout, en peignant un scélérat, on peut tempérer l’horreur que cause la hideuse dépravation de son âme, par la gaieté qu’excite la plaisante difformité de son masque.
Car, après le sel un peu gros, mais bien gaulois, de Sganarelle (1660)16, et le drame un peu pâle de Don Garcie de Navarre (1661), il se produisit avec autant de vérité que de gaieté dans L’École des maris (1661)17, L’École des femmes (1662), La Critique de l’École des femmes 18, Le Festin de Pierre ou Don Juan (1665), Le Misanthrope (4 juin 1666), Le Médecin malgré lui, le Tartuffe (5 août 1667)19, Amphitryon (16 janvier 1668), L’Avare (9 septembre 1668), Le Bourgeois gentilhomme (1670) et Les Femmes savantes (1672)20. […] Il n’y a pas une langueur dans la conduite de ce drame dont l’exposition est aussi heureuse121 que son dénouement nous paraît logique et nécessaire, oui, nécessaire, et non pas artificiel, comme on l’a prétendu122 : car une peste publique devait être légitimement punie par la Puissance publique. […] » Cependant, ce n’était pas la première fois que le poète faisait infidélité à l’alexandrin : car il l’avait déjà délaissé dans La Princesse d’Élide, et le drame de Don Juan 132. […] Dans L’Aululaire, ce n’est pas le vice d’Euclion qui produit les péripéties du drame ; car cet indigent qui a trouvé de l’or est victime d’une sorte de fatalité : il subit la vengeance du Dieu Lare qui a voulu châtier en lui l’oubli de ses devoirs religieux. […] L’odieux et le comique Mais jusqu’à présent le drame ne se serait point engagé si l’avarice d’Harpagon ne se compliquait d’un amour sénile, qui va le rendre le rival de son fils.
L’attachante simplicité du drame français a remplacé la fatigante complication de l’imbroglio espagnol ; à de longues conversations où la subtilité s’unit à l’emphase, a été substitué un dialogue précis, simple et naturel ; des invraisemblances de caractère ou de situation ont disparu ; enfin, un dénouement, qui choque à la fois la raison et les convenances, habilement modifié, est devenu un dénouement nouveau, où sont ménagées toutes ces délicatesses de sentiment et toutes ces bienséances de mœurs qui embellissent la passion de l’amour.