Enfin les Comédiens doublent le prix des places, & malgré cela la piece est jouée quatre mois de suite.
Jeune, il alla voir sans doute les troupes italiennes qui se succédaient à Paris, aussi souvent que les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne.
Molière fut avant tout un comédien. […] Ce comédien intrépide, dont la vie fit un penseur, eut sur les gens de lettres et sur les intellectuels de son temps une influence moins aisée à déterminer que celle de Descartes ; mais cette influence dut être considérable sur l’ensemble du public, pour qu’elle liguât contre lui des catholiques convaincus, d’esprit aussi différent que le prince de Conti, la duchesse de Longueville, le docteur janséniste Arnauld et le jésuite Bourdaloue, et lui valût d’autre part cette précieuse protection du roi Louis XIV, qui, selon l’expression de Comte, « ne résulta pas seulement des goûts personnels d’un dictateur alors progressif, mais aussi de la tendance d’une telle critique à seconder rabaissement de l’aristocratie et même du clergé ». […] Molière, comédien, atteignit mieux que le plus puissant théoricien ce milieu des prolétaires et des femmes qui, « pour être peu apte aux inductions générales et aux déductions fort prolongées, est d’ordinaire mieux disposé à sentir cette combinaison de la réalité avec l’utilité qui caractérise la positivité », ce milieu dont l’esprit se trouve naturellement disposé à la saine philosophie qui exige une attention désintéressée, sans indifférence.
Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages. […] L’actrice qui excellait à l’exprimer sur la scène, et qui passait même pour l’inspirer à l’auteur, était la Champmeslé, comédienne excellente, mais courtisane dangereuse qui avait séduit le jeune Sévigné, dont elle dérangeait la fortune, en donnant des soupers où Racine et Boileau se trouvaient.
S’ils étaient moins savants et moins raffinés que leurs rivaux, s’ils n’étaient pas aussi riches en inventions galantes ou burlesques, les comédiens français de la rue Mauconseil avaient pourtant leurs verves, comme disait Montaigne, et, dans leurs batelages, perçait parfois un génie comique qui promettait de dépasser la commedia dell’arte elle-même.
Le succès de cet ouvrage, que l’auteur reconnaît être fort défectueux, « fut, dit-il, surprenant ; il donna lieu à l’établissement d’une nouvelle troupe de comédiens malgré le mérite de celle qui était en possession de s’y voir l’unique ».