J’ai peint à la vérité d’après nature ; j’ai pris un trait d’un côté et un trait d’un autre, et de ces divers traits, qui pouvaient convenir à une même personne, j’en ai fait des peintures vraisemblables, cherchant moins à réjouir les lecteurs par la satire de quelqu’un, qu’à leur proposer des défauts à éviter et des modèles à suivre ».
Tartuffe, lui, n’aura garde ; avec lui point de bruit ; des faits : l’autel peut être tranquille ; il ne dit que des messes basses ; et il se penche à l’oreille d’Elmire, plus onctueux que jamais, avec le regard de côté de ses yeux dévots, ses lèvres grasses troussées par un sourire d’intelligence, et il promet De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur… Dans tout cela l’intention comique est évidente ; elle éclate dans le contraste entre cette langue angélique et le gaillard au teint de rubis qui la parle ; dans l’inaltérable confiance avec laquelle il offre son cœur, dans cette naïveté de prêtre avec laquelle promettant du plaisir, du plaisir sans crainte, il se croit dès lors irrésistible ; dans l’admirable choix des mots et des rimes : car quoi de plus drôle que ces expressions : les vains efforts de mon infirmité, les tribulations de votre esclave indigne , et cette fin de déclaration : Et je vais être enfin, par votre seul arrêt, Heureux si vous voulez ; malheureux s’il vous plaît ; dont la dernière syllabe ne peut pas se dire autrement que la bouche bée ? […] Ne nous attardons pas aux petits côtés de la question : au guichet du confesseur, par exemple, ouvert sur l’alcôve même. […] Certes, il y a un côté ridicule dans le dévot prêchant une doctrine d’abstinence alors que lui ne se refuse rien ; mais Molière ne s’est pas borné à mettre en scène cette éternelle antithèse, un des mystères joyeuxde l’Église ; il a montré aussi comment le même homme, restant homme après tout, peut confondre, à son insu peut-être, les intérêts de son Dieu et les siens propres ; il a indiqué quels ravages peut faire dans une conscience cette conviction qu’on est le fondé d’affaires du ciel, revêtu de ses pouvoirs et, par suite, doué de privilèges particuliers ; il a signalé la soif de domination, l’orgueil immense de l’homme qui se croit sacré.
La comédie voulait pourtant qu’il y eût du ridicule dans la pièce ; Molière l’a mis tout entier du côté des dupes de Tartufe ; mais, comme pour ajouter à la force du préservatif, ce ridicule est à la fois si honteux et si odieux, qu’il a désormais contre lui notre conscience et notre vanité. […] Un an après, il mettait dans la bouche de la Climène des Fâcheux une vigoureuse apologie des jaloux, défendant ainsi son propre penchant, ou peut-être, par un scrupule d’honnête homme, voulant se montrer avec ses défauts à cette fille, à laquelle il avait fait voir ses beaux côtés dans le rôle d’Ariste. […] Tout ce que Cléante dit du faux dévot, Alceste des méchants, Chrysale du bel esprit, Célimène, qui a son bon côté, des sots qui lui font la cour ; tout ce qui sent la haine des méchants, le mépris des gens à la fois malhonnêtes et ridicules, l’amour du bien, du naturel, du vrai ; tout ce qui est, soit une maxime de devoir, soit un conseil de bienveillance, tout cela est sorti du cœur de Molière ; et tel est, sous ce convenu de l’art des vers, le tour naïf, la facilité, le feu, l’entraînement de ce langage, qu’il semble entendre Molière lui-même, et qu’au plaisir de voir des personnages peints au vrai, se joint je ne sais quelle affection tendre pour celai qui les a créés.
Comme je ne veux point être accusé de ne présenter que le côté favorable à mon opinion, je vais prendre pour un moment les armes contre moi, & mettre en usage les plus fortes.
que nous sert d’avoir du bien s’il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d’en jouir, & si, pour m’entretenir même, il faut que maintenant je m’engage de tous côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours les secours des Marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ?
Nous remarquerons encore sur-tout que Regnard, si inférieur à Moliere du côté du style, des plans, des dénouements, de la morale, des caracteres, du comique même, ne marche, de l’aveu de tout le monde, immédiatement après lui que parcequ’il l’a singé, qu’il a déridé le front de ses auditeurs.