Enfin, chacun d’eux pourrait dire, comme Alceste : Par la sambleu ! […] Alceste tout entier m’est connu par cette seule boutade. […] Alceste, parce qu’il a été joué par une coquette, sent augmenter sa haine contre les humains, et court s’enfoncer dans un désert. […] Mais il fallait bien que Chapelle fut Philinte, puisque Molière est Alceste. Molière, Alceste !
L’indulgent Philinte qui, sans aimer ni censurer les hommes, souffre leurs défauts, uniquement par la nécessité de vivre avec eux, & par l’impossibilité de les rendre meilleurs, forme un contraste heureux avec le sévére Alceste, qui, ne voulant point se prêter à la foiblesse de ces mêmes hommes, les hait & les censure parce qu’ils sont vicieux. L’intrigue n’est pas vive, mais il ne falloit que réunir avec vraysemblance quelques personnages, qui, par leurs caractéres opposés ou comparés à celui d’Alceste, pûssent mettre en jeu, d’une façon plus ou moins étenduë, la médisance, la coquéterie, la vanité, la jalousie, & presque tous les ridicules des hommes. […] Moliere, en exposant l’humeur bizarre d’Alceste, n’a point eu dessein de décréditer ce qui en étoit la source & le principe ; c’est sur la rudesse de la vertu peu sociable & peu compatissante aux foiblesses humaines, qu’il fait tomber le ridicule du défaut dont il a voulu corriger son siécle. […] A la premiére représentation, après la lecture du sonnet d’Oronte, le parterre applaudit ; Alceste démontre dans la suite de la scéne, que les pensées & les vers de ce sonnet étoient « De ces colifichets dont le bon sens murmure. […] & Alceste passa à la faveur de Sganarelle.
Otez à Alceste sa passion amoureuse pour la franche coquette qui le domine, & nous ne le connoîtrons qu’à demi. […] Il voulut d’abord suivre la carriere de Melpomene ; mais sa tragédie d’Admete & d’Alceste ayant été mal reçue, il se tourna vers Thalie, qui le traita plus favorablement.
Moliere s’étoit copié lui même en quelques endroits de sa Comédie du Misanthrope, sur tout dans la Scene où Oronte fait des protestations d’amitié & de grandes offres de service à Alceste ; & ou Alceste répond à chaque fois, d’un air froid & embarrassé : Monsieur.....
Sa vertu, douce et cachée, n’est pas pour cela moins ferme que l’intraitable vertu d’Alceste. […] Là encore est la morale du Misanthrope, aussi forte et aussi délicate que celle qui ressort du caractère d’Alceste.
Si je jouais le rôle d’Alceste, je me rappellerais que Grandval, dès son premier pas sur la scène, se trouvait en action, et son moyen le voici. […] peut-il entrer dans la tête d’un acteur versé dans son art, que la situation d’Alceste lui permette de plaisanter ? […] Fier de ce triomphe, je jette le gant aux fanatiques admirateurs de l’Alceste qui, non content de faire la faute dont nous venons de parler, la double en parodiant, dans la même scène, la façon de rire et le ton de fausset de Clitandre son rival. […] Le spectateur, forcé d’écouter Alceste, pour rire ensuite avec le fagotier, sentit peu à peu tout le mérite du premier, et le philosophe moral lui parut enfin digne d’occuper la scène, sans le secours du bouffon. […] Ne pourrait-on pas leur demander pourquoi ils ne traitent pas avec les mêmes égards les Alceste, les Clitandre, etc. ?