La farce fit écouter la Comédie. […] Molière l’écouta avec beaucoup d’attention ; et, quinze jours après, Angélo fut surpris de voir dans l’affiche de la Troupe de Molière, la Comédie du Misanthrope annoncée et promise ; et trois semaines, ou tout au plus tard un mois après, on représenta cette Pièce.
Quant à Aubry, contrairement à toute attente, il était déclaré convaincu d’avoir écouté la proposition et promis de s’y employer, pourquoi il était condamné, lui aussi, à l’amende honorable et à l’admonestation. […] Écoutez Chamfort sur ce point : le spirituel écrivain va répondre à l’objection que me fait M. du Boulan, quand il refuse d’admettre que la donnée philosophique du Misanthrope soit une grande leçon de tolérance sociale.
Le comte du Broussin, pour faire sa cour au commandeur de Souvré qui n’approuvait pas L’École des femmes, sortit un jour au second acte, en disant tout haut qu’il ne savait pas comment on avait la patience d’écouter une pièce on l’on violait ainsi les règles.
Quelques auteurs voulurent critiquer, mais à peine furent-ils écoutés.
La farce fit écouter la comédie : on commença de la goûter ; le nombre des spectateurs augmenta ; on vint exprès pour Le Misanthrope, et les applaudissements qu’il reçut dans la suite réparèrent l’injustice qu’il avait d’abord essuyée ; sa réputation n’a fait que s’accroître depuis ; il passe pour le chef-d’œuvre de l’auteur, et maintenant nous sentons une espèce d’indignation contre nos pères, qui ne surent point reconnaître dans les écrits de Molière les beautés qui excitent si justement notre admiration. » M. de Visé, qui, malgré sa jalousie contre le mérite de Molière, avait fait représenter quelques pièces de sa composition sur le théâtre du Palais-Royal, M. de Visé, dis-je, crut devoir signaler son zèle pour Molière en publiant une Lettre sur le Misanthrope, où il en rendait compte acte par acte. […] Ce volume est rempli de notes manuscrites de la main de M. de Tralage, voici ce que c’est : « Le sieur Angelo, (docteur de l’ancienne troupe italienne) m’a dit (c’est ce M. de Tralage qui parle) que Molière, qui était de ses amis, l’ayant un jour rencontré dans le jardin du Palais-Royal, après avoir parlé des nouvelles de théâtres et d’autres, le même sieur Angelo dit à Molière qu’il avait vu représenter en Italie (à Naples) une pièce intitulée Le Misanthrope : et que l’on devrait traiter ce sujet ; il le lui rapporta tout en entier, et même quelques endroits particuliers qui lui avaient paru remarquables, et entre autres ce caractère d’un homme de cour fainéant, qui s’amuse à cracher dans un puits pour faire des ronds ; Molière l’écouta avec beaucoup d’attention, et quinze jours après, le sieur Angelo fut surpris de voir dans l’affiche de la troupe de Molière la comédie du Misanthrope annoncée et promise, et trois semaines, ou tout au plus tard un mois après, on représenta cette pièce.
Écoutons sur ce point Ménage lui-même : « On veut me faire accroire, dit-il, que je suis le savant qui parle d’un ton doux : c’est une chose cependant que Molière désavouait. » Molière, sans trahir la vérité, a pu nier que Vadius fût Ménage, par la raison que le rôle du premier n’offre aucun trait qui soit entièrement propre et particulier à la personne du second.