Don Juan eût fait fureur aux soupers du régent, et les débauchés du Palais-Royal eussent admiré et copié, comme leur maître à tous, ce vicieux si élégant, si poli, si froid, si égoïste, si incrédule ; il a au suprême degré une noble qualité, la bravoure audacieuse, ‘ qui reste encore debout dans les âmes françaises les plus dévastées par le vice ; et il est bien près de sa fin, quand cette dernière trace de la vertu oubliée, le point d’honneur, disparaît après tout le reste. […] Ici, c’est assez de montrer que Molière, en nous divertissant, pense et nous fait penser qu’il faut être vertueux, non-seulement par intérêt, mais pour la vertu même et pour Dieu qui nous la commande ; non-seulement pour nous, mais pour tous ceux qui nous entourent et dont nous sommes, responsables. […] Il ne les déteste pas seulement comme fait le monde, en admettant de temps en temps une trêve à la guerre, et en signant quelque traité furtif avec l’ennemi : il les hait pour elles-mêmes, pour être honteuses et dégradantes, pour leurs suites inévitables, pour conserver à son cœur cette sensibilité de vertu qu’elles émoussent promptement ; il les hait pour sa famille, pour ses enfants et pour ses serviteurs ; il les hait pour l’honneur, et pour n’être pas réduit par elles à revêtir la robe de Tartuffe, et à se perdre absolument par l’hypocrisie, ce dernier et irréparable vice après lequel on ne peut plus se repentir. […] Jusque dans les conceptions les plus hardies et les situations les plus hasardeuses, il garde un bon sens qui l’empêche de mettre sur la scène ces accouplements monstrueux de vice et de vertu, ces criminels sublimes, ces brigands héroïques qui remplissent tant de drames modernes, et habituent nécessairement le spectateur à s’imaginer que, même dans l’excès des passions les plus funestes, il peut y avoir quelque chose d’excusable et de grand111. […] Ces hommes, qui avoient abusé de la vertu même, quoiqu’elle soit le plus grand don des dieux, étoient punis comme les plus scélérats de tous les hommes… Les trois juges des enfers l’avoient ainsi voulu, et voici leur raison : c’est que les hypocrites ne se contentent pas d’être méchants comme le resta des impies ; ils veulent encore passer pour bons, et font, par leur fausse vertu, que les hommes n’osent plus se fier à la véritable. » (Télémaque, liv.
« Nous reconnoissons toujours les hommes dans les héros des tragédies, soit que la scene soit à Rome ou à Lacédémone, parceque la tragédie nous dépeint les grands vices & les grandes vertus. Or, les hommes de tous les pays & de tous les siecles sont plus semblables les uns aux autres dans les grands vices & dans les grandes vertus, qu’ils ne le sont dans les coutumes, dans les usages ordinaires, en un mot, dans les vices & les vertus, que la comédie peut copier : ainsi les personnages de comédie doivent être taillés, pour ainsi dire, à la mode du pays pour lequel la comédie est faite. […] Ils ont une ame magnanime, De l’honneur, des vertus, & je sais de leurs traits... […] Il ne doit voir dans tout l’Univers que deux peuples, les hommes bons & les hommes méchants ; donner les vertus des uns pour exemple, faire la guerre aux vices des autres, mais toujours sans égard à la distance des lieux & aux circonstances qui les séparent de lui.
Belle, froide, tour à tour orgueilleuse et méprisante, souple et câline, faussement emportée, Angélique s’entend à conserver toutes les apparences de la pudeur et de la vertu. […] Ceux qui se sont efforcés systématiquement de représenter Molière comme le défenseur immoral de l’instinct contre la vertu semblent oublier cette scène touchante de L’École des maris où la jeune fille exprime sa tendresse pour un vieillard. […] Sachez que d’une fille on risque la vertu Lorsque, dans son hymen, son goût est combattu. […] Je ne respecte, dit-il, ni fausse science, ni fausse pudeur, ni la naissance où la vertu n’est pas, ni la piété feinte, celle qui nous écarte de nos devoirs envers la famille et l’humanité. […] C’est cette relativité dans la conception d’une vertu humaine qui me semble donner à la morale de Molière une valeur incomparable et définitive au point de vue positif.
Le patriotisme était la seule vertu et la seule passion d’un bon citoyen romain. […] La vertu romaine, virtus romana, était contraire au développement de l’art dramatique, autant que la vertu grecque l’αρετή des héros y avait été favorable. […] À quoi bon mettre constamment en regard de la sottise la sagesse, et à côté du vice la vertu ? […] La satire, qui retrace avec d’énergiques couleurs le tableau du monde réel dans son opposition avec la vertu, nous en donne une preuve manifeste. […] Chez d’autres, la satire n’est qu’un parallèle entre le vice et la vertu.
Dans une mesure fixée par son goût, il outre les vertus ou les vices humains, afin d’attacher les regards par des traits saillants, et de remuer les âmes par des émotions supérieures. […] Comment nier l’influence morale d’un spectacle qui, en animant les vices ou les vertus personnifiées, nous les fait voir avec la même émotion que nous causeraient des personnes vivantes ; qui, en répandant la grâce, sait nous séduire jusqu’à la passion, et, en déversant la moquerie, nous obliger à nous moquer malgré nous ? […] C’est une erreur que d’avoir cherché dans ses pièces des types absolus de vice et de vertu. […] X : « Molière est un sage… Grand homme, qui a reçu du ciel le don puissant de corriger les vices et les ridicules, et qui, habile à emmieller les bords du vase, nous mène à la vertu par le plaisir même. » 9. […] « Un autre défaut de Molière, que beaucoup de gens d’esprit lui pardonnent et que je ne puis lui pardonner, c’est qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu. » Fénelon, Lettre à l’Académie françoise, VII. — Voir aussi J.
le voici : L’hôtel de Rambouillet nous offre d’abord le spectacle d’une société qui, sous les auspices d’une femme jeune, belle, spirituelle, de naissance illustre, épouse et mère d’une vertu exemplaire, se distingue par la pureté, la décence, la délicatesse de ses mœurs, et se sépare de la cour et des gens du monde de la capitale, tous plus ou moins entraînés dans des habitudes de dissolution et effrontée. […] Nous voyons en quatrième lieu les nouvelles combinaisons de personnes y produire cette jouissance nouvelle si féconde en autres jouissances, si féconde surtout en talents et en vertus, cette jouissance enviée à la France par foules les nations civilisées, celle de la conversation.
L’élite des courtisans se compose d’hommes puissants, au moins indépendants ou par leur fortune, ou par leur rang, ou par l’éminence de leurs talents, même par l’éminence de leurs vertus, l’élévation de leur caractère, et la grandeur de leurs desseins. […] Un de leurs artifices de courtisan fut de condamner les vices du roi par l’éloge de ses propres vertus. […] Racine était courtisan quand Titus, se séparant de Bérénice, retraçait à Louis XIV le courage qu’il avait montré, l’empire qu’il avait eu sur lui-même, en éloignant Marie Mancini, dont il était fort amoureux et qu’il avait en la fantaisie l’épouser ; mais par cet acte de courtisan, il remplissait habilement un devoir de citoyen, et concourait avec Bossuet à dégager le jeune prince des chaînes de madame de Montespan, et à l’armer de sa propre vertu contre une passion désordonnée.
Sur ce théâtre, la raison, les bons conseils, l’esprit de conduite, la modération, l’indulgence, enfin toutes les vertus paternelles sont l’apanage des vieux garçons. […] Des domestiques si précieux et si rares, s’ils existent, sont produits lentement, à force de soins et d’exemples, par l’esprit de famille : c’est un fruit que les enfants doivent aux vertus des parents, aux traditions d’ordre et de bonté des aïeules et des mères ; et si l’on n’en trouve plus de tels aujourd’hui, c’est que l’esprit de famille s’en est allé de notre société, par notre faute, et aussi par celle de Molière. […] Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. Aussi, nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler ; et cet éclat de leurs actions qu’ils répandent sur nous nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leur vertu, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. […] Cette tirade, qui date de février 1665 au plus tard (la première représentation est du 15 février 1665), donna à Boileau l’idée de sa Satire V, qui fut composée la même année, et qui avait d’abord pour titre : Discours sur la noblesse dépourvue de vertu.
Si le divin philosophe peut avoir oublié, dans l’extase de la vertu idéale, la limite où l’on sort de l’humanité pour s’envoler dans la chimère sublime, il n’est pas étonnant que l’aigle chrétien, dans son vol céleste, à force de fixer l’éternel soleil, n’ait plus voulu que les yeux s’affaiblissent à regarder les lumières terrestres. […] Rousseau, qui, non content de trouver Molière « inexcusable » d’avoir joué dans le Misanthrope « le ridicule de la vertu, » se permet « d’accuser cet auteur d’avoir manqué dans cette pièce de très-grandes convenances, une très-grande vérité, et peut-être de nouvelles beautés de situation ; » après quoi il veut bien indiquer longuement comment la pièce aurait pu être moins mauvaise815. […] Il faut se demander d’abord quels étaient les sentiments moraux de Molière, ce qu’il pensait lui-même du vice, de la vertu, du devoir. Certes, il a aimé l’honnêteté et l’honneur : son honnête homme est accompli de cœur et d’esprit ; il pousse la délicatesse de la vertu jusqu’à l’extrême, et la minutie du devoir jusqu’au détail le plus puéril en apparence ; son horreur du vice est vigoureuse, et en même temps sa charité indulgente. […] Mais cette illusion n’est qu’une preuve de plus de la haute honnêteté de Tau-peur : souvent, une plaisanterie un peu libre et qu’on croit sans conséquence peut faire plus de mal que n’a fait de bien un beau discours sur la vertu.
C’est que Molière fut éminemment doué de cette vertu singulière que l’on pourrait appeler le don des métamorphoses. […] Il y put rencontrer le germe de la scène où la vertu d’Elmire est mise à l’épreuve. […] Sa vertu, elle la fait même payer assez cher à Chrysale pour qu’il n’en doute pas. […] Or, elle est une vertu d’obligation, une sorte de pain quotidien. […] Dans cette vieillesse idéale nous trouvons une Célimène qui a le cœur, la raison et les vertus d’Éliante.
Marton se connoît mieux, & dit qu’on est sage quand on le peut : sa vertu a couru de grands risques ; &, si elle a triomphé, c’est de si peu de chose, qu’elle ne doit pas en être vaine. […] Lisban se trouve bien bon de venir causer avec sa femme ; il lui demande si elle ne rougit pas de l’aimer si constamment, & de désespérer pour lui tous ses amants : il est vrai qu’il compte moins sur la vertu de sa femme que sur son étoile ; elle ne permet pas qu’on lui fasse des infidélités : il est si sûr de son fait, qu’il offre de sortir, si sa femme a donné rendez-vous à quelqu’un. […] J’avoue que, si j’étois à sa place, je laisserois bien vîte cette Bélise si sévere s’ennuyer avec sa vertu : car enfin, la sagesse est bonne quelquefois ; mais toujours de la sagesse ! […] Non, Madame, disoit l’Abbé de Châteauneuf à la vieille Marquise de Lisban, je ne puis croire que ce qu’on appelle vertu dans une femme soit aussi rare qu’on le dit ; & je gagerois, sans aller plus loin, que vous avez toujours été sage. — Ma foi, mon cher Abbé, peu s’en faut que je ne vous dise comme Agnès : Ne gagez pas. — Perdrois-je ? […] Tu le peux ; je n’en serai pas moins tranquille. — Vous vous prévalez de ma vertu. — De ta vertu ?
Verrons-nous l’impudence d’un côté, la résignation de l’autre, se tendre une main aussi familière que serait celle d’une franche amitié dans une parfaite parité de condition, de vertu et d’honneur ? […] Le P. de La Chaise est un honnête homme ; mais l’air de la cour gâte la vertu la plus pure, et adoucit la plus sévère. » M. de Beausset, dans son Histoire de Bossuet, voit avec peine que madame de Maintenon se soit montrée en cette occasion peu équitable envers Bossuet. […] Bossuet, au contraire, par la rectitude de sa conduite, par ses utiles instructions, et surtout par ce caractère de vertu et de sagesse qui ne l’abandonnait jamais dans les circonstances les plus difficiles et les plus délicates, vit enfin ses vœux couronnés. […] Toute la suite de sa vie a montré qu’en cette occasion sa peine la plus sensible fut la perte des espérances qu’elle avait déjà conçues de ramener le roi à une conduite plus conforme aux sentiments de religion et de piété dont elle était pénétrée. » M. de Beausset se fonde sur les Mémoires de Saint-Simon, et il en cite l’extrait suivant : « Bossuet était un homme dont les vertus, la droiture et l’honneur étaient aussi inséparables que la science et la vaste érudition.
Devant mes yeux, seigneur, a passé votre enfance, Et j’ai de vos vertus vu fleurir l’espérance... […] Quoi que puisse dire l’ami des arts et de la poésie, l’ami de la vertu ne peut approuver un seul pas sur une pente si fleurie et si glissante. […] Si les arts ont un pouvoir funeste, c’est de rendre séduisant, entraînant, irrésistible, ce qui tout d’abord aurait révolté la vertu. […] J’aime mieux un vice commode Qu’une fatigante vertu. […] Rousseau (voir plus haut, p. 170, note 5), dit avec beaucoup de justesse : « Le vice d’Angélique n’est que spirituel ; dans Julie, il est intéressant, ennobli par la passion ; il emprunte les dehors de la vertu, tout au plus est-il présenté comme une faiblesse rachetable… La Nouvelle Héloïse a fondé celte école de l’adultère sentimental, qui de nos jours a envahi le roman, le théâtre, et jusqu’à certaines théories philosophiques. » 619.
S’ils refusent de croire aux vertus des hommes, ils ajouteront foi, je l’espère, aux faits et aux dates. […] Ne l’est-il pas, au contraire, de confondre ce qu’elle sépare, et d’envelopper dans un même blâme le vice et la vertu dont elle a si bien assigné les différences ? […] Mais c’est particulièrement sous l’empire du christianisme que, la piété devenant une vertu plus difficile, plus haute et conséquemment plus honorée, le vice qui la contrefait est devenu plus profitable et nécessairement plus commun. […] Ses penchants vicieux ont quelquefois plus de force en lui qu’il ne peut leur opposer de résistance, précisément parce qu’ils ont été plus longtemps contraints et comprimés sous l’apparence des vertus contraires. […] Cette règle exclut la perfection du vice, aussi bien que celle de la vertu.
La sensibilité humaine est le principe d’où part la tragédie : le pathétique en est le moyen ; l’horreur des grands crimes & l’amour des sublimes vertus sont les fins qu’elle se propose. […] La sagesse & la vertu de Socrate étoient parvenues à un si haut point de sublimité, qu’il ne falloit pas moins qu’un opprobre solennel pour en consoler sa patrie. […] Telle étoit la comédie à Athenes, dans le même tems que Sophocle & Euripide s’y disputoient la gloire de rendre la vertu intéressante, & le crime odieux, par des tableaux touchans ou terribles. […] Quel fonds de philosophie ne faut-il point pour saisir ainsi le point fixe de la vertu ! […] L’hypocrisie de la vertu est-elle moins facile à démasquer que l’hypocrisie de la dévotion ?
Sigismond est frappé de sa beauté, il s’écrie : Elle a dans un instant changé mon caractere : Le seul son de sa voix a dompté ma fureur ; La douceur de ses yeux a passé dans mon cœur : Elle vient de verser dans mon ame charmée Le desir de la gloire & l’oubli de mes maux ; Pour la seule vertu je la sens enflammée : Et d’un tyran, en moi, l’amour fait un héros. […] Il raconte à Clotalde tout ce qui a frappé ses yeux, & ce fidele sujet saisit cette occasion pour lui reprocher l’abus odieux qu’il a voulu faire de sa puissance ; il lui dit qu’un Roi ne doit jamais avoir, même en songe, des pensées qui puissent faire rougir sa vertu. […] Et la vie est un songe trompeur : La vertu seule est constante & réelle : Le vrai bonheur est dans le bien, Tout le reste est compté pour rien. […] Il se jette aux pieds du Roi, qui, vivement touché du repentir de son fils, s’accuse d’avoir trop légérement ajouté foi aux prédictions des astres que la vertu sait toujours démentir. […] Soit que j’aime Carlos, soit que par simple estime Je rende à ses vertus un honneur légitime, Vous devez respecter, quels que soient mes desseins, Ou le choix de mon cœur, ou l’œuvre de mes mains.
Souhaitez bien plutôt que son cœur, en ce jour, Au sein de la vertu fasse un heureux retour, Qu’il corrige sa vie en détestant son vice757. […] si la vraie piété est la vertu surhumaine qui ravit l’homme jusqu’à Dieu, et si une foi sincère est ce qu’il y a au monde de plus respectable, quel service n’est-ce pas rendre à la foi et à la piété que de mettre au pilori ceux qui empruntent un masque sacré pour satisfaire les deux plus honteuses passions, celle de l’or et celle de la chair ? […] On l’a déjà dit799 : l’homme qui fuit le vice uniquement par crainte des moqueries d’autrui, tombe dans le défaut de l’amour-propre, et sa vertu n’est qu’une hypocrisie : il est impossible d’admettre que le ridicule puisse servir d’une manière quelconque à sanctionner la morale, ni que des gens vertueux par amour propre soient des honnêtes gens. […] La sanction de la morale de Molière est dans le sentiment de joie et de dignité qu’inspire le devoir accompli ; dans l’estime de soi-même et des autres consciencieusement acquise ; dans l’espoir du bonheur pur et sans remords que la vertu seule peut donner ; dans la sérénité d’âme et la tranquillité de cœur que porte en soi le seul honnête homme. […] En vain d’un lâche orgueil leur esprit revêtu Se couvre du manteau d’une austère vertu ; Leur cœur, qui se connoit et qui fuit la lumière, S’il se moque de Dieu, craint Tartuffe et Molière.
Quand des imitateurs dédaignant le sentier Tu voulus nous montrer Molière tout entier ; Quand, dans le Misanthrope, on vit ton éloquence En corrigeant Alceste, essayer sa défense, Et, sans désespérer de sa conversion, Blâmer de la vertu l’exagération ; Quand ta brillante verve exposa sur la scène La prude Arsinoé, la folle Célimène ; Pour la première fois quand tu mis au grand jour La sottise et l’orgueil des beaux esprits de cour, Que tu fus grand ! […] vertu des belles âmes ! […] Dépourvu de talents, de vertus et d’honneur, Et ne sachant que faire, il s’est fait délateur : Métier noble, du reste, et, bien que l’on en glose, Facile, et sûr du moins pour être quelque chose. […] Près de lui Dorval, fier de ses douze quartiers, Méprisant de Mondor les vices roturiers, Se rit des parvenus ; mais, grâce à sa naissance, De vertus, comme lui, Monseigneur se dispense.
Tu honorais la vertu en lui donnant une leçon, et Montausier a répondu il y a longtemps à l’orateur genevois. […] Je dis plus : si ce ridicule tombait sur la vertu même, il ne serait pas supporté; l’auteur le plus maladroit ne l’essaierait pas. […] Aurait-il ignoré le respect que tous les hommes ont pour la vertu? […] Est-ce la vertu d’Alceste, ou sa mauvaise humeur si mal placée, et son amour si mal entendu pour la vérité ? […] Un honnête homme faussement accusé ne tiendrait jamais ce langage; mais aussi Orgon n’est pas un homme qui connaisse le langage de la vertu et de la probité.
Aussi le peuple restait-il dans l’ignorance de ses propres vertus ; excepté les statues de quelques-uns de ses rois, la sculpture ne lui racontait rien de son histoire : les beaux-arts n’avaient point encore personnifié la France dans ses grands hommes. […] Là se trouvent aussi les statues de Fénelon, de La Fontaine, de Racine : on y voit Catinat et Duquesne, Buffon et Linné, Bernard Palissy, ce pauvre potier qui fut martyr de la science, et Descartes dont la méthode a sauvé une seconde fois le monde ; enfin toutes les gloires utiles, toutes les infortunes glorieuses, car tel est le sort de l’humanité qu’il n’y a pas un monument élevé au génie et à la vertu qui ne réveille le souvenir de quelque grande douleur. […] D’abord elle rappelait les beaux-arts à leur plus haute mission, celle d’instruire les peuples de leur histoire, et par leur histoire, de la vertu. […] Que les hautes intelligences apparaissent à l’orient ou à l’occident, n’importe, les idées n’ont point de patrie : Télémaque et l’Esprit des Lois appartiennent à la France par la langue ; ils appartiennent au monde par le bien qu’ils ont fait au monde, et Dieu a voulu que les fruits de la vertu et du génie fussent le patrimoine de l’humanité. […] ce fut un jour glorieux pour le pays que celui où le premier corps littéraire de l’Europe, une assemblée d’hommes également illustres par la vertu et par le génie, après une étude consciencieuse de la vie et des ouvrages de Molière, vint dire à la France : cet homme qu’on abreuva de mépris, cet homme dont on outragea les cendres, nous appelons sur lui la reconnaissance du monde et nous proclamons son éloge.
Un autre défaut de Molière, que beaucoup de gens d’esprit lui pardonnent, et que je n’ai garde de lui pardonner, est qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu. Je comprends que ses défenseurs ne manqueront pas de dire qu’il a traité avec honneur la vraie probité, qu’il n’a attaqué qu’une vertu chagrine, et qu’une hypocrisie détestable.
Assurément ce n’est pas là le commencement d’un amour romanesque, à moins qu’on n’appelle ainsi un amour né du respect le plus profondément senti et d’une vive sympathie de vertu. […] Les plus grands orateurs de la chaire sacrée, Fléchier et Bossuet, en ont fait le sujet de leurs plus éloquentes oraisons funèbres ; un siècle après sa mort, l’Académie française aussi appelé sur ses hautes vertus l’éloquence philosophique ; le prix qu’elle offrit au meilleur éloge, fut partagé entre MM.
Ces modestes vertus, la gracieuse Henriette tient à honneur de les pratiquer. […] Pour que Tartuffe, si aveuglé qu’il fut par la passion et par son outrecuidance, pût concevoir la possibilité d’abuser d’Elmire, il fallait qu’elle eût une certaine dose de coquetterie ; d’un autre côté, pour que le spectateur ne pût un seul instant admettre cette possibilité, il fallait que sa vertu apparût si ferme qu’elle fut une garantie de l’insuccès et de la punition de l’imposteur. […] Et combien cette étrange situation est rendue plus piquante encore par le contraste, des scènes si comiques entre Cléanthis et Mercure sous la forme de Sosie, puis Sosie lui-même, cette prude et grondeuse Cléanthis à qui Mercure dit : La douceur d’une femme est tout ce qui me charme, Et ta vertu fait un vacarme Qui ne cesse de m’assommer. […] Quel langage plein de force et de raison elle sait lui tenir pour le détourner d’un mariage aussi odieux que ridicule : Sachez que d’une fille on risque la vertu, Lorsque dans son hymen son goût est combattu ; Et qui donne à sa fille un mari qu’elle hait Est responsable au ciel des fautes qu’elle fait.
Quelquefois Thalie empruntant la voix, les gestes & le ton d’un jeune étourdi, lui fait avouer des impertinences qu’il érige en vertus, & critique par-là tous les fous de son espece. […] Qui ne compteroit du moins sur un portrait frappant des vices que la flatterie érige en vertus dans les Cours ? […] Des hommes honnêtes, & très sensés d’ailleurs, ont cependant la foiblesse de se croire déshonorés, parcequ’une femme, qui leur a paru la vertu même jusqu’au moment de leur mariage, se démasque après la noce, & leur fait des infidélités. […] Enfin Moliere enfante le Tartufe, cette piece incomparable, qui est une leçon continuelle de morale, dans laquelle chaque mot est l’éloge de la vertu & la satyre du vice. […] de Voltaire, que les discours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie & éclairée est opposée à la dévotion imbécille d’Orgon, sont, à quelques expressions près, le plus fort & le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue : & c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui parlaient moins bien dans la chaire, que Moliere au théâtre.
Je serai le vengeur de la vertu opprimée, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux de zélés indiscrets qui, sans connaissance de cause, crieront contre eux, qui les accableront d’injures et les damneront hautement de leur autorité privée. […] Mais ce qui achèvera de peindre la secte, c’est cette autre scène où un des personnages examine l’action du Tartuffe sous le rapport moral ; il soutient que Molière, en faisant arrêter l’hypocrite, a outragé la vertu, et qu’en assurant le triomphe d’Orgon, il a donné gain de cause au vice. […] Ce petit trait de satire enflammait encore plus le courroux de madame Pernelle ; et Cléante, continuant comme s’il ne s’en fût pas aperçu, opposait à l’éloge d’une bigote que venait de faire la vieille les portraits de plusieurs personnes vraiment pieuses ; il en citait tour à tour six ou sept qu’il montrait comme réunissant tous les caractères d’une vertu solide. […] Où a-t-il trouvé cette peinture si énergique et si profonde de l’hypocrisie et du fanatisme, ce secret de forcer l’imposture jusque dans ses derniers retranchements, d’arracher la vérité au mensonge même, et de faire jaillir du choc des plus viles passions le triomphe de la vertu ? […] Qui n’est involontairement frappé de cette conformité de langage avec celui de tant d’hypocrites de royalisme que nous avons entendus ériger l’ingratitude en devoir et la délation en vertu ?
Sans doute de grands malheurs ont nécessité de grands sacrifices, car la fortune publique est livrée à des parvenus grossiers ; des laquais enrichis foulent aux pieds toutes les lois de l’honneur ; l’honnêteté, la pudeur sont bravées ; la vertu n’est plus qu’un vain mot !!! […] Tu n’as signalé qu’un hypocrite de religion ; tu en apercevrais aujourd’hui bien d’autres ; tu pourrais presque faire un Tartuffe pour toutes les vertus ! Le monde où nous vivons ne t’offrirait plus le modèle de ton Alceste, et peut-être jugerais-tu inutile de prouver à notre siècle que la vertu peut avoir ses excès ?
Tiens, mon ami, reprit Molière, en voilà un autre. »Puis il s’écria : « Où la vertu va-t-elle se nicher ? […] L’auréole de la vertu efface sur son front la tache d’une mésaventure bizarre. […] Ma vertu réfutait tes injures. […] Hé bien, je m’en irai accompagnée de ma vertu. […] On aimait à trouver en lui un fonds solide de vertus; mais toutes ses vertus devaient avoir bonne façon, et être accompagnées de délicatesse.
En pleurant ce prince, on lui reprocha sa mort même ; ce furent en effet son malheureux amour pour la femme de son neveu, la persécution du jeune époux, et les préparatifs d’une guerre sans autre objet que celui de tirer la belle Charlotte de la cour de Bruxelles où le prince de Condé l’avait conduite, qui rallumèrent cet esprit de la Ligue que Henri alors dans sa sagesse et dans sa vertu avait pris tant de soin à calmer et à éteindre, cet esprit qui arma un bras fanatique contre lui4. […] Quelle que soit la corruption générale d’une grande nation, même d’une grande cour, il s’y trouve toujours quelques familles où se conserve l’honnêteté des mœurs, où la raison, le droit sens, la bienséance exercent leur légitime empire, où les bons principes sont héréditaires, comme certaines conformations : ici est d’ordinaire le privilège des familles nombreuses qui s’entretiennent, par les sympathies mutuelles de leurs membres, dans les traditions de vertus où elles sont nées. […] À ces causes s’en joignait une autre encore plus pressante, c’était l’émulation établie entre les sexes par leur mélange dans les sociétés particulières, depuis que Louis XII et Anne de Bretagne avaient relevé les femmes de cette infériorité qui subsiste encore en Angleterre et en Allemagne ; émulation de mérite et de vertu pour les nobles héritières des traditions d’Anne de Bretagne ; émulation de galanterie pour les élèves de l’école de François trop bien soutenue par ses successeurs.
Vous dites que le Misanthrope est ridicule, et vous vous écriez : « Voilà donc la vertu ridicule ! » Vous vous trompez, la vertu d’Alceste n’est pas ridicule. […] Quant à insulter la vertu dans la personne d’Alceste, nous respectons trop Molière pour le défendre contre cette injuste accusation du grand rhéteur. […] Alceste, à force de vertu inquiète et turbulente, est brouillé avec toutes les justices. […] Et comme il faut qu’en effet Elmire soit une femme de bon goût et de sincère vertu, pour que, non seulement M.
II est très remarquable qu’il n’eut point de hautes vertus, mais qu’il n’eut point de ridicules. […] Il y a dans votre irritation contre les hommes de la vertu véritable et une certaine hauteur d’estime où vous êtes de vous. […] ciel, que de vertus vous me faites haïr ! […] Et c’est bien là ce milieu entre le vice et la vertu dont parle Mousseau, trop sévèrement du reste. […] L’amour de soi est une vertu.
Car enfin je m’imagine que ce qu’on appelle vertu dans les femmes, est comme ces pieces fausses qui ont tout l’éclat de l’or ou de l’argent, mais que la coupelle dissipe en fumée. Ce mot de vertu est un nom spécieux & une belle apparence qui couvre souvent de grandes foiblesses ; & je crois qu’on ne peut appeller vertueuses que celles qui ne sont tentées ni par les promesses ni par les présents, & que les larmes & la persévérance d’un amant n’ont jamais émues... […] Mais si tu es assuré de sa vertu, que te faut-il davantage, & qu’est-ce que mes soins ajouteront à son mérite ? […] Le mari se félicite d’avoir la plus fidelle des femmes, & le meilleur des amis : il dit à ce dernier qu’il n’y a désormais qu’à faire des vers pour chanter la vertu de Camille. […] Timon est forcé de convenir que l’univers n’est pas sans vertu : il montre son trésor à Evandra, lui déclare qu’il veut sans cesse le tenir caché pour prévenir les maux dont on le feroit l’instrument.
La vertu qui ne sait pas se poser, et qui ne représente pas, le laisse passablement froid. […] Elle est surtout dans les joies, dans les soucis, et jusque dans les tristesses du foyer domestique ; dans ce drame long, monotone et doux de la vie de famille ; dans le retour régulier de ce qu’attend une espérance modeste; dans les épisodes gracieux, sombres eu touchants que la Providence entremêle à l’épopée de chacune de nos vies ; dans le souvenir respectueux des vertus réelles et pratiques des ancêtres; dans l’estime plus que dans la gloire ; dans un amour intime de la terre natale, de tous ses enfants, de tous ses intérêts; dans la vie intérieure du cœur, vaste et profond théâtre où, dans un demi-jour solennel, se meuvent tant d’idées et de sentiments, d’images et de réalités, de souvenirs et d’espérances ; dans la religion enfin, sans laquelle toute poésie est menteuse ou mutilée, et qui, seule, donnant une valeur impérissable à ce qui ne parait pas, en enlève d’autant à tout ce qui parait et qui éclate. […] On aimait à trouver en lui un fond solide de vertus; mais ces vertus devaient avoir bonne façon et être accompagnées de délicatesse. […] La France a poussé à l’extrême quelques-unes des vertus et des qualités sociales, mais non sans cultiver aussi, et avec un succès trop réel, des vices correspondants.
Leur passion sera d’autant plus vive et plus belle, qu’ils seront plus parfaits ; car toute vertu, toute intelligence, toute grâce les rendront plus propres à éprouver et à inspirer l’amour. […] La prude Arsinoé ne peut pas davantage connaître l’amour dans la coquetterie de vertu que son âge lui impose466. […] Et, sous toutes les convenances de la comédie, il fait entrevoir où ira la prude quarantenaire, avec son amour pour les réalités 473 : Rien n’égale en fureur, en monstrueux caprices, Une fausse vertu qui s’abandonne aux vices474. […] Oui, cette passion, de toutes la plus belle, Traîne dans un esprit cent vertus après elle ; Aux nobles actions elle pousse les cœurs, etc.
En vain m’offrirez-vous un appât enchanteur : Ma chere Béverley, je ne veux de bonheur Que celui d’adorer tes vertus & tes charmes. […] Jarvis réfléchit sur les vertus de sa maîtresse, sur le bonheur dont son maître eût pu jouir : il le voit venir pâle, défiguré. […] Madame Béverley a mal fait d’annoncer au troisieme acte que la vertu seroit récompensée.
« … Que la vertu seule anime ce dessein553 : » « Quand on ne prend en dot que la seule beauté, Le remords est bien près de la solennité554. » XII. […] … Il doit tâcher à contenter ses vœux, Des moindres libertés ne point faire des crimes, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne lui point faire peur571. » XXI. […] , Et veux une vertu qui ne soit point diablesse584. » 496.
Tu honorais la vertu en lui donnant une leçon, et Montausier a répondu, il y a long-temps, à l’orateur Génevois. […] Nos mœurs sont plus corrompues, et nous aimons qu’on nous parle de vertu.
Sous des apparences d’humilité, elle change la religion en astuce et se rend maîtresse des biens, de l’honneur et de l’esprit des gens… C’est un beau trait que celui du démon se faisant adorer comme un saint… Ceux qui me nourrissent, je les loue de leurs œuvres pies, de leurs vertus, de leur charité ; je les rassure sur leurs débauches, sur leurs usures ; rentrant la tête dans les épaules avec un petit ricanement, j’allègue la fragilité de la chair. […] La libéralité est comme la substance de la vertu du magnanime.
Mais les nouveaux champions d’une vertu fort problématique n’ont pas l’honneur de la démonstration. […] Jamais, en effet, la vertu d’Armande n’a été attaquée que par des ennemis ou des intéressés, et toujours dans les termes les plus vagues. […] Enfin, le jugement rendu contre le président Lescot montre l’estime dont la Molière était l’objet ; on n’aurait pas condamné le président pour une peccadille s’il avait adressé ses hommages et plus tard ses injures à une femme de vertu suspecte. […] Dans la magistrature, dans la noblesse, dans le clergé même, les hommes a principes sévères, les esprits sérieux, les âmes inflexibles cherchèrent une sorte de régénération sociale dans la pratique des vertus vraiment chrétiennes. […] C’est, sans compromettre le respect dû à la droiture et à la vertu, de démontrer que ces qualités ne valent que par la mesure ; qu’elles sont inutiles et même nuisibles quand cette mesure leur fait défaut, car l’excès gâte les meilleures choses.
1775, Anecdotes dramatiques, tome I, p. 559 On sait que les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier*, renommé pas ses mœurs austères, et sa vertu sauvage, que c’était lui que Molière jouait dans le Misanthrope.
En vertu, en honneur véritable, il n’avait rien à envier à Alceste : s’il lui cédait en quelque chose, c’était en excès et en travers ; il n’y avait pas de quoi être jaloux. […] Si le vertueux Montausier eut l’air de croire qu’on l’honorait trop en le comparant à Alceste, on a vu plus tard un philosophe prétendre sérieusement que Molière, en créant ce personnage, avait voulu tourner la vertu en ridicule : accusation fausse et presque calomnieuse que tous les prestiges d’une éloquence sophistique n’ont pu soutenir contre les plus simples lumières de la raison. […] Il est aujourd’hui démontré à tous les bons esprits que Rousseau, confondant très mal à propos, dans le personnage d’Alceste, la vertu qui le fait estimer, avec la morosité qui le rend insociable, a fort inutilement voulu venger l’une des traits qui n’étaient dirigés que contre l’autre et ne tombaient que sur elle. […] Rousseau n’avait pu venger le sauvage Alceste des prétendus outrages que Molière avait faits à la vertu dans sa personne, sans lui immoler l’homme du monde, le sage et doux Philinte : il avait proposé ses idées pour une nouvelle comédie du Misanthrope, mais en avertissant qu’il serait impossible qu’elle réussît.
Il est inutile d’examiner ici en détail les beautés de ce chef-d’œuvre de l’esprit, et de montrer avec quel art un homme, qui pousse la vertu jusqu’au ridicule, est si rempli de faiblesse pour une coquette ; de remarquer la conversation, le contraste charmant d’une prude, avec cette coquette outrée. […] Molière, en exposant l’humeur bizarre d’Alceste, n’a point eu dessein de discréditer ce qui en était la source et le principe ; c’est sur la rudesse de la vertu peu sociable, et peu compatissante aux faiblesses humaines, qu’il fait tomber le ridicule du défaut dont il a voulu corriger son siècle. […] Où la vertu va-t-elle se nicher ? […] Grimarest aurait pu aisément dire où Molière plaça ces vers, puisqu’ils se trouvent à la fin du prologue des Amants magnifiques ; voici les deux derniers : Mais contre ma puissance, on n’en murmure pas, Et chez moi la vertu ne fait jamais naufrage. […] Tout le monde lui fit compliment sur ce succès ; ses ennemis même lui en témoignèrent de la joie, et étaient les premiers à dire que Le Tartuffe était de ces pièces excellentes qui mettaient la vertu dans son jour.
Si on lui avait dérangé un livre, c’en était assez pour qu’il ne travaillât de quinze jours ; il y avait peu de domestiques qu’il ne trouvât en défaut ; et la vieille servante Laforest y était prise aussi souvent que les autres, quoiqu’elle dût être accoutumée à cette fatigante régularité que Molière exigeait de tout le monde, et même il était prévenu que c’était une vertu ; de sorte que celui de ses amis qui était le plus régulier, et le plus arrangé, était celui qu’il estimait le plus.
Ma fille est d’une race trop pleine de vertu pour se porter jamais à faire aucune chose dont l’honnêteté soit blessée ; &, de la maison de la Prudoterie, il y a plus de trois cents ans qu’on n’a point remarqué qu’il y ait eu une femme, Dieu merci, qui ait fait parler d’elle. […] & Mad. de Sotenville exaltent moins la vertu des héroïnes de leur famille, le trait n’est plus rien ; preuve qu’il doit tout à la situation, & qu’il tient tout-à-fait à la scene.
Imitons-le, s’il nous est possible ; mais, avant que de l’entreprendre, songeons que Zeuxis, pour réussir, a sans doute fait tous ses larcins chez des beautés du même âge à-peu-près, & de la même condition ; parceque la beauté d’une femme de vingt ans & celle d’une femme de trente, les charmes d’une villageoise ou d’une princesse, ont un ton tout-à-fait différent, & qu’il en est ainsi des vices, des travers, des ridicules, de la vertu même des hommes, si l’on veut. […] Il n’est point jusqu’à Madame Elmire qui n’ait sa dévotion, celle de toute femme estimable : elle n’arme point la vertu de griffes & de dents.
Est-ce la vertu, la beauté ou l’esprit, lui dit-il, qui vous font aimer cette femme-là ?
Oui, cette passion, de toutes la plus belle, Traîne dans un esprit cent vertus après elle : Aux nobles actions elle pousse les cœurs, Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs. Devant mes yeux, Seigneur, a passé votre enfance, Et j’ai de vos vertus vu fleurir l’espérance : Mes regards observoient en vous des qualités Où je reconnoissois le sang dont vous sortez ; J’y découvrois un fonds d’esprit & de lumiere ; Je vous trouvois bien fait, l’air grand & l’ame fiere ; Votre cœur, votre adresse éclatoient chaque jour : Mais je m’inquiétois de ne point voir d’amour. […] Tous les deux traitent l’amour avec la même gentillesse, tous les deux l’érigent en vertu, tous les deux conseillent à leurs éleves de se livrer aux charmes de l’empire amoureux : mais ce qui est un agrément dans une comédie ou dans un poëme épique, peut fort bien être déplacé dans une tragédie.
C’est l’erreur que je fuis, c’est la vertu que j’aime. […] Dans la même année, il montra dans Titus la vertu triomphant d’une passion désordonnée ; c’était encourager le roi à la vertu par son propre exemple et rappeler à l’adorateur de madame de Montespan, le sacrifice qu’il avait pu faire de Marie de Mancini.
En un mot, il aime l’argent plus que réputation, qu’honneur & que vertu : & la vue d’un demandeur lui donne des convulsions ; c’est le frapper par son endroit mortel ; c’est lui percer le cœur ; c’est lui arracher les entrailles. […] On sait que ce pied-plat, digne qu’on le confonde, Par de sales emplois s’est poussé dans le monde, Et que par eux son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite & rougir la vertu.
Sa personne en vertus est-elle plus brillante ? […] Après les sentiments qu’il vous a fait connoître, Fâchez-vous, éclatez autant qu’il vous plaira, Il vous dira toujours, & vous répétera Que son amour pour vous est fondé sur l’estime ; Que la raison l’éclaire & la vertu l’anime ; Qu’elles l’ont affermi dans son culte secret, Et qu’il adore en vous un mérite parfait ; Qu’il l’avouera tout haut, qu’il s’en fait une gloire ; Qu’il fuit tout autre nœud ; que vous devez l’en croire ; Qu’il met à vous fléchir son bonheur le plus doux, Et qu’il sera constant, fût-il haï de vous.
Il faut parmi le monde une vertu traitable ; A force de sagesse on peut être blâmable : La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l’on soit sage avec sobriété. Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siecle & les communs usages ; Elle veut aux mortels trop de perfection.
Où la vertu va-t-elle se nicher !
. — À la base de quelques-unes de leurs œuvres comiques les Français ont mis le sérieux du vice, et dans les autres ils ont supprimé la vertu et le vice, en faisant passer sur le vice, la vertu et toutes choses, l’esprit, ce niveleur universel158.
J’aime beaucoup les commentateurs s’acharnant à soutenir que Molière s’inspira, pour cette grande figure d’Alceste, des rudes vertus de M. de Montausier ! […] Il a, ce Molière, toute l’honnêteté bourgeoise, toute la probité, toute l’humeur laborieuse de sa famille ; il a la science, la mesure, le goût du beau, l’amour du bien, la soif inassouvie du bonheur, le courage dans la souffrance, il a surtout la pitié, cette vertu suprême, cette vertu des grands cœurs, et l’on ne peut s’empêcher de l’aimer après l’avoir admiré. […] Voilà Paris en ébullition, les ennemis sur pied, les dévots en armes, les fanfarons de vertu prêts au combat. […] L’auteur, faisant allusion à Molière, écrit qu’il « cache sous une fausse vertu tout ce que l’insolence a de plus effronté ». […] Et, au-dessus de leurs passions et de leurs vices, de leurs faiblesses et de leurs vertus, il semble qu’il ait proclamé avant tout cette vérité suprême : N’aime que le vrai, le simple, le bon, la clarté et le bon sens, tout ce qui fait la force et la vertu de notre vieille humeur française !
J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages, Je veux une vertu qui ne soit point diablesse (53). […] Ne refusons pas cependant de lui rendre justice lorsque nous le rencontrons tout seul, incomplet, et privé de ce qui en fait une vertu, la première des vertus. […] Alors, dans une heure de profonde mélancolie, en face d’une bonne action, comme s’il eût douté du bien même, il a dit avec étonnement : « Où la vertu va-t-elle se nicher » — Il a répété avec Hamlet : « Non, l’homme ne me fait pas plaisir à voir. » Bien plus : un jour il a vu avec douleur toute l’insuffisance de la morale qu’il avait jusque-là prêchée et pratiquée, de cette morale Qui prend tout doucement les hommes comme ils sont.
C’était remonter à deux cents ans ; c’était oublier que les mœurs d’un siècle sont incompatibles avec celles d’un autre, et que, par un certain enchaînement de vertus et de vices, il y a un progrès nécessaire de lumières comme de mœurs, auquel il est impossible de résister. » Qui ne rirait un peu d’entendre un rhéteur de nos jours reprocher à Molière, où de n’avoir pas bien connu les mœurs, les opinions, les préjugés de son siècle, ou d’avoir violé une des premières règles de son art, en introduisant dans une peinture contemporaine un personnage d’une autre époque, c’est-à-dire en manquant au costume, en faisant ce qu’on pourrait appeler un anachronisme dramatique ? […] C’est un fait connu de tout le monde, que la tendre amitié qui l’unissait à madame Necker, personne douée des plus hautes vertus, mais qui avait reçu, du côté de l’esprit, une éducation toute masculine, et avait apporté, au milieu de nos mœurs élégamment frivoles, les idées sévères et en même temps les manières raides et empruntées qu’on attribue aux femmes de son pays. […] Bien entendus, bien dirigés, ils produisent tous les arts utiles, et engendrent même quelques-unes de nos vertus. […] Rédacteurs et gardiens des actes qui assurent l’état et la fortune des particuliers, souvent même dépositaires de nos biens et chargés d’en diriger l’emploi, l’honorable importance de leurs fonctions leur inspire naturellement les vertus nécessaires pour les bien remplir. […] Procurer d’un même coup, et par le plus simple moyen, la manifestation du vice et celle de la vertu, la punition de l’un et le triomphe de l’autre, c’est un trait, de génie où Molière apparaît tout entier.
La vertu et la sagesse sont trop sévères, trop calmes, trop invariables dans leurs manifestations, et par conséquent trop monotones. En faisant de l’exposition de la vertu le but des comédies, le spectacle, manquant d’attrait, serait déserté. […] C’est en vain que Chrysalde lui démontre que ce ne sont ni l’ignorance, ni la sottise, qui sont les sauvegardes de la vertu de la femme. […] Cette comédie ne peut servir qu’à éclairer les personnes morales à cet égard, et à les empêcher de devenir les victimes des fripons qui chercheraient à les exploiter en simulant la vertu. […] Et à côté de cela, ne cesse-t-il pas de faire parler avec respect sur ce qui concerne la religion, les personnes qui, dans ses œuvres, représentent la raison et la vertu?