Espece de drame composé ordinairement par des especes d’Auteurs, joué par des especes de comédiens, trouvé sublime par des especes de connoisseurs, & qui ameute contre les véritables drames, contre les véritables auteurs, contre les véritables acteurs, des censeurs d’autant plus dangereux, qu’ils se mettent en comparaison.
Ce n’est, comme le dit Molière, qu’un homme de maintenant qui traverse la foule héroïque et pittoresque du drame et de la comédie, et qui vient célébrer pour la première fois, sous la forme directe de la prose, celui qui fut un grand poète de la prose et des vers. […] Il voit aux prises la nature et la société, il devine l’éternel drame des passions mêlé aux passagères comédies de son temps.
Ajoutez à ces habiletés merveilleuses, l’harmonie et l’éclat de la parole, la grâce et la force du langage, la véhémence de la passion, l’intérêt de l’action coupée avec art, et cette heureuse façon d’amonceler, sur un point donné, tous les mérites du héros de la comédie ou du drame, à condition que tous ces mérites si divers, se feront sentir, en même temps et tout à la fois . […] Essayez, par exemple, en fait d’étonnements et de surprises, d’aller plus loin que La Tour de Nesle et les drames de M. […] » De ces changements divers dans la comédie et dans le drame, la critique aura grand soin de tenir compte et d’en signaler les effets. Les Romains, qui savaient merveilleusement désigner les diverses œuvres de l’esprit, et ce fut un grand avantage de leur critique sur la nôtre, avaient des noms pour distinguer entre elles, les diverses comédies représentées sur leurs théâtres : satyres, drames, comédies — præxtextæ, togatæ, palliafæ ; comédies vêtues à la grecque, à la façon des nobles ; vêtues à la romaine, à la façon du peuple. […] Il n’est pas fâcheux, chemin faisant à travers les comédies et les drames, de rencontrer des préceptes et des exemples dont la critique, attachée à son œuvre, puisse faire son profit. — Entre l’ignorance et le défaut d’esprit, il y a encore ce danger : le trop d’esprit !
Rien n’est plus singulier que les contradictions des gens de lettres sur toutes les parties des drames. […] Un soir, après avoir assigné à chaque Auteur mort sa véritable place sur le Parnasse, & distribué aux vivants les premiers fauteuils vacants à l’Académie, on parla des drames en général, de toutes leurs parties en particulier, & sur-tout du juste embonpoint d’une piece. […] Dans le temps où les drames n’avoient pour but & pour sujet que la gloire de Bacchus, Phrinicus, disciple de Thesphis, & quelques autres, à l’exemple de leur maître, insérerent dans leurs pieces des vers qui n’étoient point à la louange de Bacchus. […] Rappellons nous seulement celles que nous avons déja citées, afin de prouver par-là même, qu’en manquant dans un drame à l’une des regles établies par le bon sens, & par conséquent essentielles, on peche en même temps contre plusieurs.
Ce que les drames et les comédies de Shakespeare en contiennent, on l’a dit à cette place, il y a déjà bien des années1. […] « La musique des drames de Shakespeare », 15 janvier 1835.
Celui qui, au lieu de placer le dénouement à la fin d’un drame, ou n’en fait point, ou le met au milieu de la piece, fait voir une statue sans tête, ou une tête très mal placée. […] Supposons présentement un comédien qui ait obtenu tous les dons naturels, & à qui l’art ait découvert tous les secrets dont nous venons de parler, il sera encore loin de la perfection, s’il ne connoît pas le méchanisme d’une piece, s’il ne sent, non seulement les détails, mais l’ensemble d’un drame. […] Saura-t-il distinguer & saisir les ressorts principaux d’un drame pour les rendre avec plus de force, & les faire sentir davantage, à mesure qu’ils sont plus nécessaires à l’intelligence, à la marche, au dénouement de la grande machine ? […] Nous traiterons ainsi toutes les diverses parties du drame comique jusqu’au dénouement inclusivement ; & nous appuierons nos raisonnements par des exemples pris chez les meilleurs Auteurs comiques.
C’est ainsi qu’on a exhumé la longue suite des précurseurs du Dante ; qu’on a retrouvé les germes déjà puissants des drames de Shakespeare. […] Ils connaissent admirablement tous les ressorts capables d’imprimer au drame une marche rapide.
« Du moins, ajoutera-t-on, vous ne pouvez pas disconvenir que ce qu’on dit, que ce qu’on fait dans les pieces larmoyantes & dans les drames ne soit dans la Nature ». […] Il est donc faux qu’on ne veuille plus que du larmoyant & des drames. […] Je pense, n’en déplaise à nos dramatiques larmoyants, que voilà des choses dignes de figurer avec les situations dont ils remplissent leurs drames. […] Peut-être même les acteurs qui jouent nos drames les embellissent encore en y faisant les beaux bras & en contrefaisant les zélés convulsionnaires de St.
Un de leurs drames ne réussissoit-il pas sur un théâtre, ils le portoient à l’autre ; & le plus grand succès les a plusieurs fois consolés d’une honte passagere qu’ils ne méritoient pas. […] Mais nous avons tout lieu d’espérer que la derniere de ces révolutions s’opérera bientôt : à la Cour, Jupiter, Hébé, les Graces veulent rire à la comédie, & pleurer à la tragédie : à la Ville les drames ont désormais besoin de s’étayer de la musique & de toutes les contorsions d’une pantomime ridicule. […] Les drames qui ne se traîneroient qu’avec peine jusqu’à la troisieme représentation, seroient retirés pour toujours ; ceux qui fourniroient franchement cette courte carriere, seroient suspendus jusqu’à l’hiver. […] Qu’on cesse d’y représenter ces drames étonnants qui blasent le goût, & produisent sur le public l’effet des liqueurs fortes sur les palais délicats ; qu’on ne s’y borne pas à rouler sur sept ou huit canevas, tandis qu’on a le fonds le plus riche ; qu’on y reprenne ces parodies si propres à corriger les ridicules, si nécessaires pour la police du Parnasse ; qu’on y parle enfin plus au cœur & à l’esprit qu’aux oreilles : alors tout Paris dira avec Fontenelle en y courant : Je vais au grenier à sel.
La pièce italienne avait été traduite ou plutôt imitée du drame espagnol, de frà Gabriel Tellez, par Onofrio Giliberti de Solofra. […] « Le drame s’ouvre par un entretien que le roi veut bien accorder au valet de Don Juan : Sa Majesté paraît choquée du libertinage de ce jeune seigneur. […] » Tel est le singulier travestissement sous lequel apparut d’abord parmi nous le fameux Convié de pierre, qui devait si merveilleusement inspirer le drame, la poésie et la musique.
La Fronde, dans ses jeux parodiant la Ligue, Jusques au dénouement de sa bizarre intrigue Déroula devant toi son long imbroglio, Spectacle pour Thalie apprêté par Clio, Et de ton Étourdi dans ce drame frivole Tu vis plus d’un acteur anticiper le rôle. […] Dresse ton monument près du funèbre lieu Où deux modestes sœurs, deux servantes de Dieu, Seules, la nuit, témoins de ton heure dernière, À ta voix expirante unirent leur prière, Quand des jeux de la scène au drame du trépas Tu passais tout d’un coup, et devais faire, hélas !
On me dira peut-être que le grand art d’un Auteur est de savoir plaire, & que, puisque les scenes amoureuses ravissent, enchantent, nos poëtes font très bien d’en larder plusieurs dans leurs drames, & de faire même des pieces exprès pour en amener. […] Qu’on parcoure tous ses ouvrages : quand une fois la fable de ses drames est en train, il n’en interrompt jamais la marche rapide par la conversation de deux amants assez désœuvrés pour faire des dissertations sur l’amour ; ou lorsqu’il a mis des scenes amoureuses dans ses pieces, il a trouvé l’art de les animer. […] Ses drames triomphants sont le Babillard, les Dehors trompeurs, le François à Londres.
Comment donc, ces rhéteurs donnent au drame son droit de bourgeoisie ! […] Certes, j’imagine qu’il y avait de quoi attendre impatiemment le dénouement d’un pareil drame, à une époque où l’on n’avait encore abusé de rien dans l’art poétique. […] Aussitôt, en l’absence de ces jeunes fous qui se battaient là-bas de si bon cœur, le vieux parti royaliste et dévot se réveille, il s’oppose à ce qu’on joue ce drame que déjà il sait par cœur. […] Tout ce qu’on demandait à cet homme, on était sûr de l’obtenir sur-le-champ ; rire ou larmes, comédie ou drame ; poésie, satire, morale, bouffonnerie. […] Oui, c’est là, sinon une belle comédie, au moins un beau drame.
Il m’importe peu, quand je lis un roman, de m’intéresser pour le pere, pour le fils, la grand-mere, trente personnes si l’on veut ; tout m’est égal, pourvu que je m’amuse : c’est un défaut, à la vérité, mais il ne tire pas à conséquence comme dans un drame. […] Ce sont les prologues qui exposent les caracteres de tous les personnages du drame, qui les mettent en action, & qui font marcher l’intrigue & l’intérêt de façon qu’ils en font un véritable premier acte. […] César gémissoit de voir les drames de Térence dénués de cette force comique qui distinguoit Plaute ; il s’écrioit : Utinam scriptis adjuncta foret vis comica !
si l’on peut dire, aujourd’hui, comment Paris sera vu et jugé dans cent ans, nul ne peut savoir de quelle comédie il sera le héros, de quel drame il sera la victime ! […] Voilà, je l’espère, une comédie à faire, une étrange et agréable exploitation de l’homme par l’homme, un nouveau drame où le capital joue, en se moquant, le rôle ingrat 1 Eh bien ! […] Vous dites que vous avez assez de moi, c’est bien plutôt moi qui ne veux plus de vous ; de vous à qui j’ai consacré ma vie et mon génie et les chefs-d’œuvre des maîtres ; de vous à qui j’ai voulu plaire, même en faisant violence à ma vocation sur la terre ; de vous qui m’avez fait jouer, même des drames ; de vous qui avez mis le sanglot à ma voix, la pâleur à ma joue, le désordre à mes cheveux, le poison à mes lèvres, le poignard à ma main ! […] La femme est jeune, belle, intelligente, s’il en fut, et grande et bien taillée pour le drame ; l’homme est digne de sa femme, il est plein de verve et de passion, mais il ressemble un peu à un ours, à un ours qui saurait bien tenir la coupe empoisonnée ou le poignard. […] on était tenté de l’applaudir ; elle voulait être au courant de toutes choses, car elle s’occupait tout à la fois de sa fortune et du drame nouveau. — Où en sont mes terrains des Champs-Élysées ?
Il est déjà très corrompu au commencement du premier acte ; et pourtant, à mesure que le drame se développe, on voit sa corruption croître tellement, qu’il est impossible que ce spectacle ne fasse pas réfléchir à celte mystérieuse vérité morale, qu’une chaîne indissoluble lie tous les vices, et force presque nécessairement à rouler jusqu’en bas celui qui a commencé à descendre cette pente, insensible d’abord, qui devient un précipice à la fin : Dans le crime il suffit qu’une fois on débute : Une chute toujours attire une autre chute ; L’honneur est comme une île escarpée et sans bords : On n’y peut plus rentrer dès qu’on en est dehors43. […] Jusque dans les conceptions les plus hardies et les situations les plus hasardeuses, il garde un bon sens qui l’empêche de mettre sur la scène ces accouplements monstrueux de vice et de vertu, ces criminels sublimes, ces brigands héroïques qui remplissent tant de drames modernes, et habituent nécessairement le spectateur à s’imaginer que, même dans l’excès des passions les plus funestes, il peut y avoir quelque chose d’excusable et de grand111. […] Le suicide, qui tient tant de place dans nos romans et nos drames, paraissait à Molière une folie et un crime tel, qu’il ne le jugeait pas digne de faire un ressort de la comédie : il n’en parlait que pour rire.
Mais Chapelle, avec beaucoup d’esprit & d’agrément, ne se doutoit point de l’Art du Théatre ; il ne connoissoit ni la texture d’un Drame, ni la filiation des scènes, ni les différentes nuances des caracteres.
Dans L’Avare surtout, Grandmesnil allait jusqu’au drame. […] Armand, et — il en fit un drame, une comédie, une chose en l’air. […] Même dans une parole il devinait tout un drame. […] Le drame est là, caché sous les fleurs. […] Tel est ce petit drame, un drame tout fait, et d’une simplicité si grande, que Shakespeare ne s’est pas contenté des personnages indiqués par Boccace.
« Mais un moyen sûr de gâter un drame & de le rendre insoutenable à tout homme de goût, ce seroit d’y multiplier les contrastes. […] « D’ailleurs, si les deux personnages contrastants étoient dessinés avec la même force, ils rendroient le sujet du drame équivoque ».
Il ne faut pas oublier Corneille en cette éclatante manifestation de la comédie et du drame. […] C’est trop encombrer les premières années de notre poète, que d’en faire un des témoins de ce drame sanglant ; c’est faire un peu trop d’honneur au prince de Conti, que de le montrer, sitôt, protégeant Molière, son condisciple. […] Qui dirait, au récit charmant de cette Agnès, naïve autant que Charlotte et Mathurine, que tout à l’heure, évoqué des abîmes par la toute-puissance du drame aux mille aspects, Don Juan va paraître ? […] O drame étincelant des vérités les plus sévères !
« L’histoire d’un tel peuple est un long drame, où il compte avec complaisance les coups de théâtre sous le nom de journées. […] Elle est surtout dans les joies, dans les soucis, et jusque dans les tristesses du foyer domestique ; dans ce drame long, monotone et doux de la vie de famille ; dans le retour régulier de ce qu’attend une espérance modeste; dans les épisodes gracieux, sombres eu touchants que la Providence entremêle à l’épopée de chacune de nos vies ; dans le souvenir respectueux des vertus réelles et pratiques des ancêtres; dans l’estime plus que dans la gloire ; dans un amour intime de la terre natale, de tous ses enfants, de tous ses intérêts; dans la vie intérieure du cœur, vaste et profond théâtre où, dans un demi-jour solennel, se meuvent tant d’idées et de sentiments, d’images et de réalités, de souvenirs et d’espérances ; dans la religion enfin, sans laquelle toute poésie est menteuse ou mutilée, et qui, seule, donnant une valeur impérissable à ce qui ne parait pas, en enlève d’autant à tout ce qui parait et qui éclate. […] y a tout un drame dans l’œuvre de Racine, un drame qui est l’image de sa vie, qui a ses péripéties, son mouvement progressif, ses épisodes et son dénoûment.
Le drame, surtout notre drame classique avec sa loi d’unité, ne permet pas toujours de suivre par degrés le développement d’une action et d’une passion : ici il faut accorder quelque chose à la fiction ; mais ce n’est que la forme et non le fond qui a besoin de cette justification. […] Mais devant un tel crime, il n’y a plus ni libertin, ni séducteur, ni athée ; il n’y a plus qu’un parricide ; nous tombons dans le drame vulgaire et repoussant. […] Il est évident que nous sommes dans le domaine de la convention comme dans les drames mythologiques. […] Si la teneur ne va pas plus loin, c’est que Molière a voulu faire une comédie et non un drame. […] Molière a voulu faite une comédie ; le poète moderne a fait un drame : la pensée fondamentale reste la même.
Il en est cependant qui servent encore davantage au drame, puisqu’elles donnent plus de rapidité, plus de ressort, plus de mouvement à l’action. […] D’ailleurs il n’y a point dans la scene la moindre gradation ; elle ne concourt pas avec la machine générale, puisqu’on pourroit la retrancher sans nuire à la marche du drame. […] signifioit je parviendrai à lier fortement toutes les parties de mes drames à l’action principale, à rendre tous mes personnages si nécessaires, qu’on ne puisse pas les accuser d’être épisodiques, & de n’être amenés sur la scene que pour faire briller le principal ; à unir si bien mes plus petits ressorts au ressort principal, qu’ils concourent ensemble à un dénouement qui satisfasse le spectateur sur le sort des principaux personnages, & non sur celui des subalternes : enfin je parviendrai à faire des pieces plus propres à être jouées sur un Théâtre qu’à être lues dans une Académie.
Cependant, me dira-t-on, on joue très souvent des drames remplis de ces détails qui ne sont rien moins qu’équivoques, de ces traits qui fixent les yeux du parterre sur les Dames pour distinguer celles qui rougissent réellement d’avec celles qui ne font que semblant. […] Ce qu’on voit de ce drame prouve assez que rien n’en peut être décent. […] de Voltaire, l’Auteur qui a mis le plus de décence dans ses drames, est certainement de cet avis.
Si vous voulez le résumé de mon opinion en trois mots, le voici : Comme idée philosophique, je m’abstiens de juger; peut-être que je ne m’y connais pas; comme comédie, c’est douloureux et c’est amer; comme pièce enfin, comme drame, puisque c’est le mot générique, je trouve que c’est très dangereux parce que c’est très beau. […] En France, parmi les œuvres illustres, nous n’avons ni la tragédie shakespearienne vibrant aux souvenirs de nos vieux temps, ni même le drame de Schiller poussant nos cris d’indépendance, encore moins l’épopée en action de Guilhen de Castro : chez nous, ces choses-là se chantent. […] Nous avons, il est vrai, pour nous consoler, le drame des instructions criminelles, la comédie médicale, le vaudeville à coq-à-l’âne, recommandé pour les digestions laborieuses, et le genre Abélard, destiné aux familles.
L’imagination la plus déréglée ne sauroit jamais aller au-delà de la nature, témoins ces drames monstrueux qu’on expose hardiment sur la scene, & qu’on a le front de vouloir excuser, en disant qu’ils sont dans la nature.
Représentation des mœurs sociales dans le cercle de la vie privée249, le drame comique a pour condition l’observation250.
Les Auteurs qui connoissent la marche aisée des Drames anciens, les entrées & les sorties forcées des modernes, ne peuvent pas nier que la rue ne soit le champ le plus commode pour faire passer une action comique. […] Tout au contraire, ils se moquoient de moi, & de l’idée que j’avois de faire une comédie sur un sujet dont l’action devoit nécessairement se passer dans les rues d’une petite ville ; ce qui jetteroit un ton ignoble & de mauvaise compagnie sur mes acteurs, & sur tout le Drame.
Diderot dit, dans ses réflexions sur la Poésie dramatique, page 11 : « Que quelqu’un se propose de mettre sur la scene la condition de Juge ; qu’il intrigue son sujet d’une maniere aussi intéressante qu’il le comporte & que je le conçois ; que l’homme y soit forcé par les fonctions de son état, ou de manquer à la dignité & à la sainteté de son ministere, & de se déshonorer aux yeux des autres & des siens, ou de s’immoler lui-même dans ses passions, ses goûts, sa fortune, sa naissance, sa femme, ses enfants ; & l’on prononcera après, si l’on veut, que le Drame honnête & sérieux est sans chaleur, sans couleur & sans force ». […] Tout cela prouve qu’en remettant les états, les professions sur la scene, on risque de se trouver volé par ses prédécesseurs, & de ne pouvoir pas faire même un bon Drame.
Diderot tenterent de diminuer sa gloire en lui disputant l’invention de son Drame. […] « Quelles sont les parties principales d’un Drame ?
Après dix années de fonds de culottes éclaircis sur les bancs, et quelques années encore succédant au baccalauréat, qui donc prend à Polyeucte, à Andromaque, au Misanthrope, ce vif et frais intérêt qu’il faut prendre à des drames ? […] Et, pour les chefs-d’œuvre, en voici de petites éditions, réduites de celles-là, discrètement annotées, et qui donnent pourtant aux grandes personnes comme aux écoliers l’hallucination du drame comique ou tragique2.
Mais toute cette étude du cœur humain, si profonde, si philosophique même, Molière ne s’y est pas livré dans un but moral, pas plus que Raphaël n’a étudié les muscles et le squelette pour devenir un chirurgien ; il n’a pas fait ses drames les plus moraux pour instruire, pas plus que Michel-Ange n’a taillé ses torses pour enseigner la myologie. […] Une des principales immoralités des romans et des drames, c’est de faire croire à la possibilité de l’alliance de vices et de vertus incompatibles.
A la vérité, Dupuis, en refusant de marier sa fille, n’est jaloux que de sa tendresse, et la dot qu’il faudrait donner ne lui tient point au cœur : en général, il couvre d’une certaine délicatesse de sentiments, le fond d’égoïsme que Sganarelle montre à nu ; mais Dupuis est un homme de la haute finance du dernier siècle, et Sganarelle est un petit bourgeois de la jeunesse de Louis XIV ; mais Dupuis et Desronais est un drame, et L’Amour médecin est une comédie. […] Ce n’était pas assez toutefois d’un tableau complet de la société vue sous deux aspects différents, montrée dans ce qu’elle a d’odieux et dans ce qu’elle a de risible : il fallait que cette peinture fût un drame, c’est-à-dire une action capable d’exciter quelque intérêt. […] Shakespeare a converti le dialogue de Lucien en un drame historique où son génie énergique et bizarre a prodigué les beautés et les défauts que sa nation admire en lui presque indistinctement.
L’imitation ne peut être bien conséquente, dans un drame fait à la hâte pour amener, dans différents intermedes, des divertissements qui pussent en même temps satisfaire les Courtisans & la magnificence du Roi.
Voyons : peut-être l’Auteur a-t-il lié si intimement le jeu de ses entr’actes au drame, qu’ils en sont inséparables : mettons mes lecteurs à portée d’en juger sans avoir recours à la piece. EUGÉNIE, Drame en cinq actes, en prose.
EUGÉNIE, Drame en cinq actes & en prose. […] On n’avoit pas encore imaginé de donner le titre de Drame aux pieces amphibies.
Shakespear peut paraître gai Aux lords d’Angleterre, Schiller est bien intrigué, Sa touche est légère ; Mais du drame fatigué, Par sa verve subjugué, J’aime mieux Molière, ô gué, J’aime mieux Molière.
Les deux Reines, Drame héroïque en cinq actes & en prose, mis à côté de l’Histoire de Sainte Genevieve de Brabant, & d’une piece italienne, &c.
Les drames, tragiques ou comiques, sont au suprême degré des œuvres d’art. […] Pourtant des critiques, et illustres, ont tour à tour pris dans ses comédies certains personnages pour le modèle de l’honnête homme selon lui : on l’a accusé de juger comme Chrysale les choses de l’esprit, d’être bourru comme Alceste ou indulgent comme Philinte 30, sans s’apercevoir que, dans chaque drame, divers types étaient opposés pour faire contraste, sans qu’aucun fût réellement la perfection, également éloignée de tout excès.
Nous ne serons pas de l’avis des Anciens, du moins nous ne nous servirons pas des mêmes termes ; nous appellerons catastrophe ou dénouement, ce qu’ils appellent action ; nous donnerons le nom d’action à ce qui se passe dans un drame depuis l’exposition jusqu’au dénouement.
Selon moi, les moralités doivent être fondues dans le corps du drame, & non dans une piece à part.
Leurs ennemis se sont ligués avec le comique larmoyant, le drame & plusieurs autres tyrans, qui tous ont usurpé un grand crédit.
En attendant qu’il se présente des comédies originales, des drames remplis d’une passion sincère, elle doit s’appliquer à élever le niveau du goût public, et, pour atteindre ce but, le chemin le plus court est de chercher dans l’ancien répertoire les modèles les plus purs.
Que ce drame sans action et sans dénouement soit, au point de vue littéraire, un chef-d’œuvre inimitable, un des monuments les plus glorieux de l’esprit humain, ce n’est point ici la question : le Misanthrope est une composition essentiellement morale127. […] Ce n’est pas l’usage des drames ni des romans de donner beaucoup de place au devoir : sous ce rapport, Molière a le mérite et l’honneur d’être plus moral et plus vrai.
Nous avons analysé ce drame scene par scene dans le premier volume, Chapitre xxii de l’Intérêt, nous pouvons maintenant passer très rapidement dessus.
Tout cela surnage au-dessus de toutes les intrigues et de toutes les faiblesses ; tout cela est exprimé ou indiqué avec une mesure et une justesse qui donnent à l’ensemble de ces peintures d’amour un caractère général de moralité, et qui placent le théâtre de Molière à une distance infinie au-dessus de l’immense majorité des drames et des romans d’amour464. […] Quant aux amours obliques ou contre nature qui remplissent nos romans et nos drames contemporains, il n’en parle jamais : ces aberrations maladives ou, tranchons le mot, vicieuses, sont absolument inconnues à sa saine raison.
Si leurs drames sont tristes, en revanche ils me paroissent eux-mêmes bien plaisants, de vouloir se montrer plus sages que la nature, cette mere bienfaisante qui donne un goût agréable aux aliments les plus nécessaires. […] Je pourrois aussi, avec le même avantage, comparer une des farces de Moliere à l’un de ces drames modernes où l’on croit mettre tant de philosophie : mais on me taxeroit de méchanceté, & je ne le ferai jamais, à moins qu’un Auteur intéressé à soutenir un sentiment contraire au mien, ne me fasse l’honneur de me donner un défi ; alors je suis tout prêt. […] Nos cercles fourmillent de modernes Cotins, qui s’y sont glissés en rampant comme le serpent ; qui s’y sont accrédités à l’aide d’une épître, d’un drame, ou d’un bouquet insipide, & y traitent du haut de leur orgueil, intimident les Auteurs naissants, qui cherchent à s’y répandre dans l’espoir de s’instruire.
Tous ces drames, mis à la place de la vraie Comédie, ont fait penser qu’elle était anéantie pour jamais. […] S’il est ainsi, la vraie Comédie n’existera bientôt plus que dans ces drames de société que leur extrême licence (car ils peignent nos mœurs) bannit à jamais de tous les Théâtres publics.
Il lui demande de faire des drames. C’est dans les drames que l’on peint les vices opposés aux vertus et que l’on inspire l’horreur des uns et le culte des autres. C’est dans les drames que l’on part en guerre contre les grands criminels et qu’on les écrase sous les mépris de la foule. […] Plus tard, en élargissant la définition de la comédie, on arrivera tout naturellement au drame. […] La Chaussée, c’est le drame naissant et encore maladroit.
On parle sans cesse dans le drame de ses abominables scélératesses. […] C’est que ni l’un ni l’autre ne sont un drame, au vrai sens du mot : car on n’y agit point. […] C’est que Tartuffe est, en même temps qu’une comédie de mœurs et une étude de caractère, un drame de situation. […] Mais il ne me semble pas qu’on ait donné la vraie raison de ce long retard à introduire celui qui doit être le héros du drame. […] Cette prévention, c’est le pivot du drame.
Des travestissements et des aventures nocturnes sont le fond du sujet ; l’intrigue est aussi compliquée que romanesque ; et, des deux valets, l’un, par ses bouffonneries, rappelle le gracioso qui figure d’obligation dans tous les drames composés par-delà les Pyrénées.