Sans doute on ne peut pas plus comparer La Bruyère à Molière qu’on ne compare le talent de peindre les caractères à celui de les faire agir et de faire sortir leurs traits de la situation où l’art sait les placer ; mais, supérieur à Molière par l’étendue, la profondeur, la diversité, la sagacité, la moralité de ses observations, il est son émule dans l’art d’écrire et de décrire, et son talent de peindre est si parfait, qu’il n’a pas besoin de comédiens pour vous imprimer dans l’esprit la figure et le mouvement de ses personnages.
Dès son troisième ouvrage, il sortit entièrement de la route tracée, et en ouvrit une où personne n’osa le suivre. […] C’est quelque sort qu’il faut qu’il ait jeté sur toi, Et tu seras cent fois plus heureuse avec moi ; Quand ce barbon jaloux va jusqu’à dire à cette même enfant, qu’il faisait trembler un moment auparavant : Tout comme tu voudras tu pourras te conduire : Je ne m’explique point, et cela, c’est tout dire ; Quand, tout honteux lui-même de s’oublier à ce point, il se dit à part : Jusqu’où la passion peut-elle faire aller I et que, malgré cette réflexion si juste, il continue : Enfin à mon amour rien ne peut s’égaler. […] Un homme de la cour avait affecté de sortir du théâtre au second acte, en criant au scandale.
Si le divin philosophe peut avoir oublié, dans l’extase de la vertu idéale, la limite où l’on sort de l’humanité pour s’envoler dans la chimère sublime, il n’est pas étonnant que l’aigle chrétien, dans son vol céleste, à force de fixer l’éternel soleil, n’ait plus voulu que les yeux s’affaiblissent à regarder les lumières terrestres.
La Fontaine lisait beaucoup, il lisait avec passion : J’en lis qui sont du nord et qui sont du midi ; il jouissait vivement de ses lectures, il les digérait avec délices, et cette ivresse de l’âme le plongeait dans une rêverie méditative d’où il sortait par l’inspiration.
Il a reçu le contrecoup du premier coup de canon qui se soit tiré dans ce bas monde, il a lu le premier livre sorti des presses naissantes du premier imprimeur, il a mangé le premier fruit venu de l’Amérique, il s’est élevé aux écoles de René Descartes et de Despréaux ; il a vu Bossuet face à face, il a souri le premier, aux doctes murmures de Pierre Basyle, il a pleuré, le premier, aux vers du grand Corneille. […] Nous avons les révoltées qui agitaient au-dessus de l’émeute en furie, un mouchoir brodé à leurs armes ; nous avons les énergumènes-femmes de la plume et de la parole, armées jusqu’aux dents des paradoxes les plus furieux ; nous avons eu les Mirabeau déguenillées du Club des Femmes ; la femme libre, amie et enfant de chœur de l’abbé Chatel ; nous avons eu une race à part de Saint-Simoniennes qui réclamaient la pluralité des, femmes dans la petite église d’où sont sortis, à la plus grande gloire de la doctrine, tant d’apôtres réservés aux plus hautes destinées ; nous avons eu la femme découverte par M. de Balzac, La Femme de trente ans, un saule-pleureur tout chargé des guirlandes, des lyres, des sonnets de la jeunesse et des hoquets de la suprême passion !