Moncade revient avec une joie apparente : on l’a traité indignement ; il est guéri de sa passion, dit-il ; il se propose de vendre son régiment & d’aller vivre dans ses terres. […] Empressons-nous de donner des éloges à Baron, il n’en méritera pas souvent dans cette piece, & convenons que cette scene peint bien la passion. […] Julie craint de chagriner sa fille en lui demandant l’aveu de sa passion. […] Si quelque Auteur moderne étoit tenté de faire une nouvelle guerre aux jaloux, & de réunir les traits de jalousie épars dans les différentes pieces qui ont pour objet cette passion, je dois l’avertir qu’il trouvera dans Pantalon jaloux, piece italienne, une scene plaisante.
On connaît la fameuse tirade de Clitandre, qu’on ne saurait trop souvent citer, parce qu’elle est la sagesse même : Je consens qu’une femme ait des clartés de tout, Mais je ne lui veux point la passion choquante De se rendre savante afin d’être savante… De son étude enfin je veux qu’elle se cache Et qu’elle ait du savoir sans vouloir qu’on le sache… Donc, Clitandre et Molière ne font nullement profession de chérir l’ignorance. […] Quiconque a lu le Port-Royal de Sainte-Beuve, feuilleté les œuvres du grand Arnauld, ou simplement médité certaines épîtres de Pascal, où le souci de la foi, la préoccupation du salut, le mépris des bassesses humaines sont exaltés avec une passion incroyable, ne pourra s’empêcher de tressaillir en écoutant les conseils que Orgon reçoit de Tartuffe : Il m’enseigne à n’avoir d’affection pour rien. […] Un père qui se laisse avilir par un vice, dégrader par une passion, déconsidérer et rapetisser par un ridicule, perd toute autorité morale sur les siens ou cause leur malheur. […] Il savait bien que la pure vertu n’est pas de ce monde, le poète qui, dans la préface du Tartuffe, écrivit : « Je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et à adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. » Molière souffrait de cette nécessité d’accommoder avec la médiocrité humaine cette pensée pure qui se trouve chez les meilleurs d’entre nous et les emporte vers le juste, le beau, le vrai.
Cette muse charmante, il faut le dire, n’a chanté ni le monument, ni la statue, comme semblait le demander le programme, elle a fait mieux, elle a chanté Molière ; elle a dit en vers harmonieux dans un rythme varié et puissant les illusions, les souffrances, les talents de ce rare génie ; la passion cruelle qui fit le tourment de sa vie, et le charme de ses beaux ouvrages ; en un mot, elle a compris le poète, elle a peint sou âme, elle nous a donné l’homme tout entier. […] … À son ardente inquiétude Que dompta si longtemps l’étude, Il faut enfin un élément ; À cette âme, où l’instinct l’emporte, Il faut la vie errante et forte, La passion, le mouvement ! […] Si tant de vérité dans vos œuvres respire, C’est que par votre voix la nature a parlé : Vos héros ont l’amour dont vous avez brûlé, Vos haines sont en eux, comme vos sympathies ; Toutes les passions que vous avez senties, Tous les secrets instincts par vos cœurs observés, En types immortels vous les avez gravés ; L’art ne fut pas pour vous cette stérile étude Qui peuple d’un rhéteur la froide solitude ; L’art, vous l’avez trouvé, lorsque pauvres, errants, Vous viviez au hasard mêlés à tous les rangs ; Personnages actifs des scènes toujours vraies, Qui passaient sous vos yeux ou tragiques ou gaies ; L’art a jailli pour vous, nouveau, libre, animé, De tous les sentiments dont l’homme est consumé ; Vous avez découvert sa science profonde Non dans les livres morts, mais au livre du monde. […] Enfin, si tu vivais de nos jours, ô Molière, Tu maudirais surtout, de ta voix rude et fière, L’amour de l’or, ardente et vile passion Qui consume et qui perd la génération !
Il voit aux prises la nature et la société, il devine l’éternel drame des passions mêlé aux passagères comédies de son temps.
Sa passion pour la comédie, qui l’avait déterminé à faire ses études, se réveilla avec force. […] Bientôt après, la passion du cardinal de Richelieu pour les spectacles mit le goût de la comédie à la mode ; et il y avait plus de sociétés particulières qui représentaient alors, que nous n’en voyons aujourd’hui. […] Le succès est toujours assuré, soit en tragique, soit en comique, à ces sortes de scènes qui représentent la passion la plus chère aux hommes dans la circonstance la plus vive. […] Le genre sérieux et galant n’était pas le génie de Molière ; et cette espèce de poëme n’ayant ni le plaisant de la comédie, ni les grandes passions de la tragédie, tombe presque toujours dans l’insipidité. […] C’est que la peinture de nos passions nous touche encore davantage que le portrait de nos ridicules, c’est que l’esprit se lasse des plaisanteries, et que le cœur est inépuisable.