Aussi, vers la fin de la vie de Molière, le Florentin l’emportera-t-il en faveur sur le Parisien ; et, ayant inventé en France, avec Quinault, la tragédie chantée tout entière, c’est-à-dire l’opéra, il obtiendra que défense soit faite aux comédiens de se servir de plus de six « musiciens » et de plus de douze joueurs d’instrumens, et « d’aucuns des danseurs qui reçoivent pension de Sa Majesté. » Jusque-là, dans ces occasions, Molière, auteur des récits, se tient à peu près sur le même rang que Benserade, auteur des vers, — c’est-à-dire des complimens glissés dans le livre de ballet, ou programme distribué aux spectateurs, en l’honneur des principaux personnages qui assistent au spectacle où se mêlent de danser un pas. […] Pour la Princesse d’Elide, il n’a le temps de mettre en vers que le premier acte et les premières scènes du second, de sorte que la comédie, au dire d’un témoin, vient ici « donner des marques de son obéissance un pied chaussé et l’autre nu. » Pour Mélicerte, il n’en a pu faire que deux actes, où l’action est nouée à peine, et « Sa Majesté en ayant été satisfaite, » selon la déclaration des éditeurs, « il ne l’achève pas. » Elle ne sera jamais jouée à la ville, cette Mélicerte, non plus que la Pastorale comique qui la remplace bientôt dans la troisième entrée du Ballet des Muses. […] La Princesse d’Élide (disparue du théâtre depuis 1757) ne réussit jamais à la ville aussi bien qu’à la cour ; le Mariage forcé, de même, eut son plus beau succès le premier. — C’est que de toutes ces pièces, même des meilleures, même de celles qui se passeraient le moins malaisément de secours étrangers, Molière eût dit volontiers ce qu’il disait de l’Amour médecin, dans son Avis au lecteur : « Il serait à souhaiter que ces sortes d’ouvrages pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagnent chez le roi. » Cependant, à ses moments perdus, ce fournisseur de Sa Majesté composait pour lui-même et pour le vulgaire quelques autres pièces, comme l’École des femmes, Don Juan, le Misanthrope, Tartufe (dont les trois premiers actes, il est vrai, furent d’abord essayés à Versailles quelques jours après le divertissement de l’île enchantée), enfin les Femmes savantes. […] Encore moins, en fait de tambours, avons-nous chance d’entendre, à la sortie, ceux des mousquetaires, et de voir Sa Majesté, à la lueur des fusées et des torches, prendre sous la fouillée le chemin de Fontainebleau. […] Molière, pressé par le temps, n’écrit que le premier acte, la première scène du second, la première du troisième ; il trace le scénario du reste et prie Corneille d’en trouver les vers, tandis que les paroles à chanter sont demandées à Quinault et la musique à Lulli : dans tout ceci, rien n’a d’importance, sinon que « Sa Majesté soit servie dans le temps qu’elle l’a ordonné.
Sa majesté dit à Molière : « Voilà donc votre médecin ? […] Étant tous deux à Versailles au dîner du roi, Sa Majesté dit à Molière : « Voilà donc votre médecin.
Cette urbanité avait son temps et sa place dans cette république de fer et de bronze, parmi des citoyens d’une simplicité fine, d’une innocence spirituelle… Ils recevaient le soir dans le cabinet, les grâces qu’ils avaient rejetées le malin sur le tribunal ; mais les grâces n’étaient chez eux ni affectées, ni licencieuses ; elles ne fardaient pas la majesté ; elles l’ajustaient de façon à en tempérer l’aspect. « Ces grâces, madame, et cette majesté, se séparèrent à la fin. Les grâces parurent encore sous les empereurs, mais elles parurent seules, car la majesté des paroles se perdit avec la liberté. » L’auteur rapporte les paroles de Cassius à Brutus avant les ides de mars : « Ces paroles, madame, sont les dernières que prononça la république avant de rendre l’âme… C’était le caractère de l’esprit de Rome, citait la langue naturelle de la majesté. » L’auteur finit par des observations sur les monuments qui restent de la conversation et des mœurs privées des Romains ; il exprime ses regrets sur leur rareté.
Sa Majesté voulut bien la lui accorder ; mais elle lui dit en même temps qu’il ne fallait pas espérer de retour. […] La permission que Molière disait avoir de Sa Majesté pour jouer sa pièce n’était point par écrit ; on n’était pas obligé de s’en rapporter à lui. […] Il ne s’en déclara point l’auteur, mais il eut la prudence de le dire à Sa Majesté. […] La Thorillière persista dans le dessein de se faire comédien, et Sa Majesté y consentit. […] Sa Majesté disait aux dames qui étaient présentes : Mesdames, voici la Baron ; et elles prenaient la fuite.
Il y séjourna pendant l’été, et après quelques voyages qu’il fit à Paris secrètement, il eut l’avantage de faire agréer ses services et ceux de ses camarades à Monsieur, (frère unique de Sa Majesté) qui, lui ayant accordé sa protection, et le titre de sa Troupe, le présenta en cette qualité au roi et à la reine mère. Ses compagnons, qu’il avait laissés à Rouen, en partirent aussitôt, et le 24 octobre 1658, cette troupe commença de paraître devant Leurs Majestés et toute la Cour, sur un théâtre que le roi avait fait dresser dans la salle des gardes du vieux Louvre ; Nicomède, tragédie de M. […] La pièce étant achevée, M. de Molière vint sur le théâtre, et après avoir remercié Sa Majesté en des termes très modestes de la bonté qu’Elle avait eu d’excuser ses défauts, et ceux de toute sa troupe, qui n’avait paru qu’en tremblant devant une assemblée aussi auguste, il lui dit : Que l’envie qu’ils avaient eu d’avoir l’honneur de divertir le plus grand roi du monde, leur avait fait oublier que Sa Majesté avait à son service d’excellents originaux, dont ils n’étaient que de très faibles copies ; mais que, puisqu’Elle avait bien voulu leurs manières de campagne, il le suppliait très humblement d’avoir agréable qu’il lui donnât un de ces petits divertissements qui lui avaient acquis quelque réputation, et dont il régalait les provinces. […] Comme il y avait longtemps qu’on ne parlait plus de petites comédies, l’invention en parût nouvelle, et celle qui fut représentée ce jour-là divertit autant qu’elle surprit tout le monde ; M. de Molière faisait le Docteur, et la manière dont il s’acquitta de ce personnage le mit dans une si grande estime que Sa Majesté donna ses ordres pour établir sa troupe à Paris. […] En l’un des bouts de la salle, directement opposé au dais de Leurs Majestés (Louis XIII et la reine mère) était élevé un théâtre de six pieds de hauteur, de huit toises de largeur, et d’autant de profondeur. » Ce théâtre servit longtemps aux représentations des comédiens français de l’Hôtel de Bourgogne et du Marais, lorsqu’ils étaient mandés par le roi.