J’ajouterai qu’à cette époque les bienséances n’avaient pas interdit aux poètes comiques, aussi rigoureusement qu’elles l’ont fait depuis, la liberté de nommer des personnages vivants ; et que sûrement Louis XIV n’aurait autorisé ni de sa présence, ni de son approbation, le procédé de Molière, si ces mêmes bienséances, dont il était un arbitre sévère, en eussent été aussi offensées que nous nous le figurons d’après nos idées actuelles.
Le fou qui est représenté dans Molière n’est point un fou ridicule, tel que le Moron de La Princesse d’Élide, mais un homme adroit, et qui, ayant la liberté de tout dire, s’en sert avec habileté et avec finesse.
La langue même, soit dit en passant, s’en est un peu ressentie : elle n’a point la saveur de celle de l’École des Femmes, ni la liberté de celle de Tartuffe ; elle a subi cette espèce de raréfaction que la langue subit dans les hautes sphères ; on y sent de la raideur du grand siècle.
On fut forcé de convenir qu’une prose élégante pouvoit peindre vivement les actions des hommes dans la vie civile ; & que la contrainte de la versification, qui ajoûte quelquefois aux idées, par les tours heureux qu’elle donne occasion d’employer, pouvoit quelquefois aussi faire perdre une partie de cette chaleur & de cette vie, qui naît de la liberté du stile ordinaire.
» M’écriai-je un moment, tout transporté d’amour ; Qu’avec ma liberté je perde aussi le jour l Je mourrai glorieux, si Bélise incrédule Peut croire que je meurs comme un autre Catulle. […] Une heure de grimace ou froide ou sérieuse, Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse, Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté, M’eût peut-être à vos yeux rendu la liberté.