Or c’est Molière lui-même, si fin connaisseur en mœurs des hommes et qui connaît si bien l’âme du public, c’est Molière lui-même qui dit : « On veut bien être méchant ; mais on ne veut pas être ridicule. » Qui sait même, sans rien exagérer, si aux yeux de beaucoup de spectateurs, la bêtise d’Orgon n’excuse pas la scélératesse de Tartuffe et s’ils ne se disent point : « Quand on est si bête que cela, on mérite toutes les infortunes » et si la joie maligne de voir Orgon dupé ne se mêle pas insensiblement, sans doute, mais sourdement, de quelque penchant pour celui qui le dupe ? […] A Orgon qu’il a poursuivi de l’animosité la plus incisive, il fait dire avec une sorte d’élargissement, avec une joie d’affranchissement et de libération : Puis, acquittés un peu de ce premier devoir, Aux justes soins d’un autre il nous faudra pourvoir, Et par un doux hymen couronner dans Valère La flamme d’un amant généreux et sincère. […] Le ridicule, au contraire, le travers, le défaut, excite sa joie, sa malice, son ironie, ses facultés épigrammatiques, ses facultés de parodie ; le voilà tout entier en action et en mouvement. […] Quelque impression que fît cet usage sur le cœur des hommes, toujours était-il excellent pour donner au sexe une bonne constitution dans la jeunesse par des exercices agréables, modérés, salutaires et pour aiguiser et former son goût par le désir continuel de plaire sans jamais exposer ses mœurs. » C’est conformément à ces idées que Sophie, quand elle défie Émile à la course, « retrousse sa robe des deux côtés et, plus curieuse d’étaler une jambe fine aux yeux d’Émile que de le vaincre à ce combat, regarde si ses jupes sont assez courtes… », c’est conformément à ces idées que Rousseau, en proscrivant le théâtre, recommande les bals et souhaite qu’il y en ait d’officiels, présidés par un magistrat, surveillés par les pères et les mères, où « l’agréable réunion des deux termes de la vie donnât à l’assemblée un certain coup d’œil attendrissant, où l’on vît quelquefois couler des larmes de joie et de souvenir capables d’en arracher à un spectateur sensible, et où l’on couronnât la jeune personne qui se serait comportée le plus honnêtement, le plus modestement et aurait plu davantage à tout le monde… Une faculté à leur donner, car elles ne l’ont pas ou elles l’ont peu, c’est le don d’observation psychologique, et I’on a vu qu’il leur est absolument indispensable, ou plutôt qu’il est indispensable aux maris qu’elles le possèdent, puisque, manque de connaître les hommes, elles pourraient être séduites par eux.
[Acte premier, scène V] Scène V Orgon, Cléante, Dorine Cléante Je sortois, et j’ai joie à vous voir de retour. […] Je l’ai vue ensuite dans l’Intrigue épistolaire, l’inquiétude, la joie, la finesse d’une grande âme.
Mais nous comptions sans le beau-frère qui nous interdit toute joie profane, et nous ramène à des sentiments sérieux par cette exhortation finale tout à fait pathétique : Souhaitez que son cœur en ce jour Au sein de la vertu fasse un heureux retour ; Qu’il corrige sa vie en détestant son vice, Et puisse du grand prince adoucir la justice92.
Aussi fait-on cercle autour de ses épigrammes qui s’en donnent à cœur joie. […] Il consent au double mariage, pourvu qu’on lui restitue son trésor ; puis, sûr qu’il ne payera pas son habit de noces, les frais du mariage, et les écritures du commissaire, au lieu d’aller, comme les autres, porter sa joie chez la mère de Valère, il court vers sa vraie, sa seule maîtresse ; il va revoir « sa chère cassette149 ».
Dans L’École des femmes, Molière soutient encore qu’il faut donner une éducation libérale et généreuse aux jeunes filles ; mais il ne montre plus — et c’est assez le contraire même — une jeune fille épousant avec joie un quadragénaire. […] Arnolphe s’emporte en paroles amères : Après ce beau discours, toute la confrérie Doit un remerciement à Votre Seigneurie ; Et quiconque voudra vous entendre parler Montrera de la joie à s’y voir enrôler. […] Il y abandonne tout entier Harpagon parce que c’est un sot qui n’est pas honnête homme ; il y abandonne tout entier Arnolphe parce qu’Arnolphe a commis deux crimes, celui d’abêtir une petite fille et celui, vieux, de vouloir épouser une jeune fille ; il y abandonne presque tout entier George Dandin, parce que George Dandin a commis la mauvaise action d’épouser une jeune fille sans s’être inquiété de son consentement ; et encore comme George Dandin n’est pas tout à fait un coquin il met dans sa bouche au moins des paroles de remords : « Tu l’as voulu, George Dandin… » Mais à ses sots qui sont de très honnêtes gens il ne manque pas de donner des paroles en effet de braves gens, sensibles et tendres, qui sont pour les rendre sympathiques, qui sont pour que l’on n’emporte pas d’eux une impression qui ne soit que de ridicule ; il fait dire à Orgon : Oui, c’est bien dit : allons à ses pieds3 avec joie Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.