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2. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

D’autres, tels que Fénelon et Rousseau, estiment que la pièce blesse la monde, en ce qu’elle semble autoriser toutes les ruses d’une jeune femme pour se soustraire aux honnêtes désirs d’un vieillard. Je me bornerai à remarquer dans cet ouvrage quelques sorties contre les précieuses, des mots grossiers qui reproduisent vingt fois une idée grossière, une scène licencieuse depuis longtemps interdite au théâtre, Arnolphe (c’est le vieillard), après un entretien avec Agnès dont la simplicité l’enchante, adresse cette apostrophe aux précieuses : Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos vers, vos romans, Vos lettres, billets doux, toute votre science, De valoir cette honnête et pudique ignorance. […] Il se trouve des femmes honnêtes parmi celles qui ne le sont pas ; il y a des filles innocentes à côté de mères fort déréglées. […] Dire que la chasteté du langage ne doit pas aller au-delà de celle des mœurs, quelque corrompues qu’elles soient, c’est prétendre que la société de mœurs honnêtes est condamnée à entendre et à parler un langage qui respire le mépris de l’honnêteté et de la morale ; c’est avancer que le langage peut mettre à découvert des mœurs que la morale oblige à cacher ; c’est aussi établir en principe que des esprits délicats et polis n’ont pas le droit d’exclure de leur langage des expressions grossières et brutales, et j’observe ici que si la décence est une loi de la morale, c’est aussi une loi du goût. […] « Agnès, si l’on en croit Molière, ne dit pas un mot qui de soi ne soit fort honnête, et si vous voulez entendre dessous quelque chose, c’est vous, dit-il, qui faites l’ordure et non pas elle, puisqu’elle parle seulement d’un ruban qu’on lui a pris. » Il y a peu de bonne foi dans cette réponse.

3. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VI. » pp. 106-124

Vous étiez-vous imaginé que le mari de cette honnête femme étant absent, elle vous recevroit à bras ouverts ? […] Il est clair que tout cela est imité de la piece latine ; mais Térence manque totalement le but moral de sa piece, puisque le jeune homme qu’on éleve avec une honnête indulgence, en abuse, se marie en secret, &, non content de faire des folies pour son compte, partage encore celles de son frere. […] Chez notre Poëte, Isabelle, poussée à bout par la contrainte où la tient son tuteur, se porte à mille extrémités ; & Léonor, qui jouit d’une honnête liberté, tient la conduite la plus irréprochable. […] Le portrait de la Fontaine est un présent plus honnête, c’est dommage qu’il soit inutile à l’intrigue. […] Moliere, s’emparant de ce qu’il y a de bon dans ces différents Auteurs, fait donner par Isabelle une boîte d’or ; ce qui est un présent très honnête, bien précieux, sur-tout par le billet qu’il renferme, puisque ce billet est, pour ainsi dire, l’ame de la piece.

4. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVII. Du Caractere des Professions. » pp. 284-302

Nous ne pourrons peindre ce Ministre de Thémis n’accordant à une jeune beauté les secours qu’il lui doit qu’en la forçant de manquer à l’honneur ; & cet autre plongeant une famille honnête dans la misere la plus affreuse pour augmenter la fortune d’un client qui n’aura pas craint de le faire rougir en marchandant son suffrage. […] S’ils sont devenus honnêtes, humains, compatissants ; s’ils ne s’entendent plus avec des Greffiers, des Sergents, pour se procurer de fausses pieces ; s’ils ne donnent pas un carrosse brillant à leurs femmes aux dépens des parties, & avec le produit du tour de bâton, pourquoi les mettre sur la scene ? […] On me dira sans doute qu’il est deux façons de représenter sur le théâtre les vices d’une profession, & qu’un Auteur moderne pourroit introduire sur la scene un Procureur honnête qui fît la critique de ses confreres, en tenant une conduite tout-à-fait opposée à la leur. […] Diderot dit, dans ses réflexions sur la Poésie dramatique, page 11 : « Que quelqu’un se propose de mettre sur la scene la condition de Juge ; qu’il intrigue son sujet d’une maniere aussi intéressante qu’il le comporte & que je le conçois ; que l’homme y soit forcé par les fonctions de son état, ou de manquer à la dignité & à la sainteté de son ministere, & de se déshonorer aux yeux des autres & des siens, ou de s’immoler lui-même dans ses passions, ses goûts, sa fortune, sa naissance, sa femme, ses enfants ; & l’on prononcera après, si l’on veut, que le Drame honnête & sérieux est sans chaleur, sans couleur & sans force ». Je ne discuterai point s’il ne vaut pas mieux faire de l’honnête gai que de l’honnête sérieux : je le pourrois d’autant plus aisément, & sans crainte de passer pour un téméraire, que M.

5. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVI. De l’opposition des Caracteres. » pp. 398-416

Quels sont, dans le Dissipateur ou l’Honnête Fripponne, les deux personnages principaux ? […] Ces deux caracteres contrastent encore moins que ceux du Dissipateur & de l’Honnête Fripponne ; ils ne sont qu’opposés. […] Dans le Dissipateur ou l’Honnête Fripponne, par exemple, l’héroïne fait-elle briller le héros avec lequel elle est en opposition ? […] Jettons un coup d’œil sur les principales scenes que le Dissipateur & l’Honnête Fripponne font ensemble. […] Cléon a vendu une terre dont l’Honnête Fripponne a fait emplette sous un nom supposé, cependant elle menace son amant d’avertir le Baron de sa dissipation.

6. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

« Seulement, dans cette foule brodée de l’Œil-de-Bœuf qui bourdonne incessamment à son oreille, parmi ces jeunes et galants oisifs qui font l’amour pour s’en vanter, et qui se parent d’une maîtresse nouvelle, comme d’un justaucorps à brevet, Célimène finit par découvrir le plus honnête des gentilshommes, le plus vrai des amoureux. […] sans haine, sans envie, et sans colère, et sans menace, au contraire, toute remplie d’enthousiasme et d’honnête passion ! « Ainsi animée, ainsi rajeunie par les puissantes émanations de ce parterre de dix-huit ans, ainsi applaudie par ces grandes mains honnêtes et vigoureuses qui sortaient de ces habits bleus, trop étroits pour contenir toute cette fougue, mademoiselle Mars s’est, surpassée elle-même. […] qui pourrait croire que cela se passe ainsi dans la France policée, en plein Théâtre-Français, qui pourrait croire qu’une femme pareille, à qui nous devions tant de reconnaissance pour tant de belles heures du plus calme et du plus honnête plaisir qui soit au monde, serait exposée à des lâchetés de cette force ?

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