Ils sont forcés, quand ils ont conçu un personnage délicat, distingué, original, de combattre fortement dans l’esprit du lecteur la tendance que le lecteur a toujours de ramener ce personnage à un des types consacrés, courants, communs et grossiers qu’il connaît ; ils sont forcés d’écarter le lecteur de l’idée du type traditionnel que ce personnage lui rappellera certainement. […] Misanthrope, il a été mêlé au monde et souvent forcé de se plier à ces « convenances de mensonge » dont il parle ; il a été ou a cru être trahi par ses amis ; il a été le jouet, sinon d’une coquette, du moins d’une femme qui avait deux visages et deux cœurs ; des calomnies ont couru sur lui qui l’ont déchiré ; j’ignore s’il a eu à jouer la scène du sonnet d’Oronte ; mais il est très probable, et qu’il y a mis moins de franchise qu’Alceste ; et enfin il a dû fuir dans un désert l’approche des humains. […] La comédie, elle aussi, pourrait peindre n’importe quoi et dire hautement : « c’est vrai », car tout est vrai ; mais l’exceptionnel des moeurs d’un temps est traité d’invraisemblable, quoique toujours vrai, parce que l’on ne peut pas en vérifier l’exactitude dans un livre d’histoire et qu’on serait forcé d’en croire l’auteur sur parole ; ce qu’on se refuse à faire. […] Il pense que l’homme est mauvais et tout pénétré de préjugés contraires à la vertu ; et, armé de ces deux idées qu’il n’oublie que de concilier, il a, on est forcé de le confesser, réponse à tout. […] Mais Cléante n’y songe pas, n’y pouvant songer, et c’est, chose bien significative pour le public, si le public y prend garde que ce soit en dehors de la famille d’Orgon qu’il est forcé d’aller prendre les modèles et les exemples de la piété telle qu’il l’entend.
Molière, pressé par le temps, non seulement ne put écrire en vers que le premier acte de sa pièce et la moitié de la première scène du second acte, mais encore fut forcé d’ébaucher ou de tronquer, dans une prose souvent négligée, des situations qui demandaient à être traitées délicatement ou approfondies.
On est donc forcé, pour corroborer la page de l’Évangile en question, de prendre ça et là, dans Molière, dans le Bourgeois gentilhomme par exemple, tel portrait, telle peinture de cœur, tel cri de vérité humaine : et on les interprète en faveur de la thèse. […] Qu’est-ce qui la forcerait à garder un amant si insupportable ?
parcequ’elle n’a rien de forcé, & que tout homme de la condition d’Alceste auroit précisément parlé comme lui, s’il s’étoit trouvé dans sa situation.
Il força les officiers de la maison du roi à respecter les droits des comédiens31. » Tout à l’heure nous allons le voir lutter contre les hypocrites de vertu et les faux dévots, avec Tartuffe et Don Juan. […] Sganarelle dans Le Mariage forcé. […] Molière le força même à supprimer certain passage de La Mort de Lusse-tu-cru qu’il montrait lapidé par les femmes. […] Il joua Jodelet des Précieuses ridicules, Alain de L’École des femmes, Pancrace du Mariage forcé. […] Puis on pourrait citer les personnages de la cour et de la noblesse qui ont figuré dans les divertissements de Molière, et tout d’abord le Roi qui dansa en Égyptien dans Le Mariage forcé et en Maure de qualité dans Le Sicilien, et Monsieur le Grand, et Madame, et le marquis de Villeroy et Mlle de la Vallière et Mlle de Brancas, et le duc de Guise et le duc de Noailles, et le comte d’Armagnac et M. d’Artagnan, etc., etc.