Seigneur Sganarelle, changez, s’il vous plaît, cette façon de parler.
Autour de lui gravitent tous les autres personnages, qui ne sont là que pour faire valoir ses qualités comme ses défauts, Célimène par sa coquetterie, Arsinoé par sa pruderie, Philinte par le contraste de son humeur trop accommodante, Oronte par sa vanité de bel esprit, Acaste et Clitandre par la concurrence de leur amour, ou plutôt de leur fatuité galante ; Éliante elle-même, par une estime qui ne demande qu’à se changer en un sentiment plus tendre. […] Si Molière s’est souvenu de cette esquisse superficielle, il en a donc changé la physionomie par une expression toute différente. […] Si le travers a changé de costume ou de nom, il est permanent comme la sottise et la vanité.
Il fait plus : signe très caractéristique, le plus caractéristique de la haine de Molière pour un de ses personnages, il en fait un hypocrite de religion, un Tartuffe, un Tartuffe, je le sais, qui reste un peu gentilhomme puisqu’il se bat ; mais un Tartuffe qui met le ciel dans tous ses discours, qui dit : « Le ciel a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie et je n’ai point d’autres pensées maintenant que de quitter entièrement tous les attachements du monde, de me dépouiller de toutes sortes de vanités… Lorsque j’ai consulté le ciel, j’ai entendu une voix qui m’a dit que je ne devais point songer à votre sœur et qu’avec elle je ne ferais sûrement point mon salut… J’obéis à la voix du ciel… C’est le ciel qui le veut ainsi… Le ciel l’ordonne de la sorte… Prenez-vous-en au ciel… Le ciel le souhaite comme cela », un Tartuffe enfin qui, comme celui de 1667, dira : … Il est une science D’étendre les liens de notre conscience Et de rectifier le mal de l’action Avec la pureté de notre intention ; dit déjà, avec un souvenir des bons Pères, (voir Provinciales, VII) : « Vous ferez ce que vous voudrez. […] Toute fille doit avoir la religion de sa mère et toute femme celle de son mari [et par conséquent en changer si son mari est d’une autre religion que sa mère ? […] C’est, je crois, pour toutes ces raisons que les jeunes filles acquièrent si vite un petit babil agréable, qu’elles mettent de l’accent dans leurs propos, même avant que de les sentir, et que les hommes s’amusent si tôt à les écouter, même avant qu’ils puissent les entendre ; ils épient ainsi le premier moment de cette intelligence pour pénétrer ainsi celui du sentiment. » Or, cette facilité des jeunes filles à exprimer et à inspirer même des sentiments qu’elles n’éprouvent point, c’est ce qu’il faut favoriser de bonne heure et de bonne heure cultiver avec le plus grand soin pour l’encourager ; car c’est une grande qualité : « Les femmes ont la langue flexible ; elles parlent plus tôt, plus aisément et plus agréablement que les hommes ; on les accuse aussi de parler davantage ; cela doit être et je changerais volontiers ce reproche en éloge : la bouche et les yeux ont chez elles la même activité et pour la même raison. […] Placez en même cas une femme entre deux hommes, et sûrement l’exemple ne sera pas plus rare, vous serez émerveillé de l’adresse avec laquelle elle donnera le change à tous deux et fera que chacun se rira de l’autre. […] Car — vous l’avez dit vous-même — le sens commun change ; il n’est pas le même à deux siècles de distance.
Parfait, pour transporter cette piece sur la scene italienne, de changer les noms des acteurs, & les caracteres se trouveroient conformes.
Cet original, c’est précisément Conti, l’ancien patron, changé en irréconciliable ennemi des comédiens; Conti de qui, assurément, la personne contrefaite n’avait nul rapport avec le fier et élégant cavalier dont le charme affole les Madelons comme les Elvires, mais dont le passé moral n’avait rien à envier à celui de Don Juan.