C’est son tout, son héros : Il l’admire à tous coups, le cite à tous propos. […] Malgré le juste enthousiasme que j’ai pour Moliere, je ne serai jamais aveuglé jusqu’au point de l’admirer toujours également.
N’a-t-il pas aussi défini le beau, et sa définition ne lui interdit-elle pas absolument d’admirer L’École des femmes ? […] Elle rit, elle admire. […] Aujourd’hui elle admire, elle aime les objets de ses colères d’autrefois, et, avec la même prétention absolue, elle entend que l’humanité entière partage son culte pour eux309. […] Car elle sait que ces choses-là ne sont point belles, si elles ne plaisent qu’à ses sens ou ne touchent que son cœur, sans pouvoir être en même temps admirées, ni d’elle, ni de personne. […] Entre ces deux limites tracées par la raison, Uranie suit la nature, et lorsqu’elle admire, elle sait qu’elle peut se laisser aller avec confiance à son émotion ; car c’est le signe de la présence du beau.
On a admiré dans Le Dépit amoureux la scène de la brouillerie et du raccommodement d’Éraste et de Lucile. […] Mais aussi les connaisseurs admirèrent avec quelle adresse Molière avait su attacher et plaire pendant cinq actes, par la seule confidence d’Horace au vieillard, et par de simples récits. […] Il court en foule à des comédies gaies et amusantes, mais qu’il n’estime guère ; et ce qu’il admire n’est pas toujours réjouissant. […] On admire la conduite de la pièce jusqu’au dénouement ; on sent combien il est forcé, et combien les louanges du roi, quoique mal amenées, étaient nécessaires pour soutenir Molière contre ses ennemis. […] Plus on la vit, et plus on admira comment Molière avait pu jeter tant de comique sur un sujet qui paraissait fournir plus de pédanterie que d’agrément.
C’est donc à Molière qu’il faut demander ce qu’il pense ; c’est sur nous tous qui le lisons et l’admirons qu’il faut chercher quelle est son influence. […] Don Juan eût fait fureur aux soupers du régent, et les débauchés du Palais-Royal eussent admiré et copié, comme leur maître à tous, ce vicieux si élégant, si poli, si froid, si égoïste, si incrédule ; il a au suprême degré une noble qualité, la bravoure audacieuse, ‘ qui reste encore debout dans les âmes françaises les plus dévastées par le vice ; et il est bien près de sa fin, quand cette dernière trace de la vertu oubliée, le point d’honneur, disparaît après tout le reste. […] Que Molière ait su allier à ce caractère odieux une élégance chevaleresque, une audace juvénile42 qui empêchent que l’horreur ne nous prenne trop vile, et qui intéressent encore au héros, si méprisable qu’il soit ; qu’il ait agréablement mêlé à l’intrigue les traits et les situations les plus comiques, pour rester dans le domaine de la comédie, et ramener le rire chez le spectateur prêt à subir des émotions moins gaies, c’est une habileté d’auteur qu’on doit admirer, et qui ajoute grandement au mérite d’une pièce si difficile à rendre attrayante sans rendre le vice lui-même attrayant. […] Si l’on se reporte au temps où Molière écrivait123, on doit l’admirer d’avoir osé dire si nettement son opinion, et d’avoir si bravement appuyé les efforts de Louis XIV pour abolir l’usage quotidien et vraiment barbare du duel à cette époque.
Il y avait d’autres femmes dans la troupe, et l’ami Chapelle admirait comment Molière, à l’instar de Jupiter au siège de Troie, pouvait gouverner à la fois trois déesses : Madeleine, et Mlle du Parc, qui le changeait de Madeleine, et Mlle de Brie, qui le de Mlle du Parc, sans parler d’une certaine Mlle Menou, qui le reposait des autres. […] C’est ce qui a été examiné dans un livre récent, l’Enigme d’Alceste, et l’auteur, qui est un ferme partisan du préjugé qui fait du Misanthrope un personnage tragique, a dépensé beaucoup d’érudition et de dialectique pour démontrer qu’Alceste est un mythe, une incarnation, comme Vichnou ou Rama ; que dans ce xviie siècle, beaucoup trop admiré, plus admiré que connu, après cette horrible Fronde, dont le côté frivole a si longtemps caché le côté funeste, en face du pays épuisé, de la noblesse vendue, de la justice achetée, des mœurs corrompues, des hypocrisies florissantes, Alceste, dit M. du Boulan, Fauteur du livre que je viens de désigner, a été l’expression, mieux que cela, « l’explosion « de l’honnêteté publique se personnifiant « dans un janséniste ». […] CÉLIMÈNE, habituée d’ailleurs à te langage : Voilà certainement des douceurs que j’admire. […] Je reçois tous ses soins avec beaucoup de joie, J’admire ce qu’il dit, j’admire ses vers, entendez-vous ? […] Et j’ajoute ceci, qui est plus grave : c’est que vous admirez Molière surtout pour ce qui n’y est pas !