Figurez-vous, eu effet, qu’Alceste et Philinte ont vécu âge de patriarches, et voyez s’ils ont conservé quelques traits de leur visage et de leur caractère. […] Voilà, en quelque sorte, la différence qui existe entre les deux Philinte. […] Cela arriva à la société, dont Philinte est la personnification. […] Molière ne nous aurait pas inspiré tant de respect pour lui, si cet homme devait, en se retirant du monde, devenir aussi égoïste que Philinte ; mais il fallait, pour que ces personnages nous apparussent sous un jour nouveau, que les temps fassent changés.
» Quelle âme admirable et dévouée que celle de ce misanthrope, et comme Alceste donne à Philinte des leçons d’humanité ! […] Je me méfie des Philinte qui trouvent tout bien et tout bon, et tout superbe. […] Alceste, l’éternel songeur, Philinte, l’éternel satisfait, Sganarelle qui se lamente, George Dandin qui pleure, Pourceaugnac qu’on exploite, Vadius qui se rengorge, Trissotin qui se pavane, Tartuffe qui ploie l’échine, Orgon qui croit, Argan qui doute, Harpagon qui thésaurise, Célimène la cruelle, Agnès la rusée, Scapin le drôle étourdissant, et Mascarille, et Dorine, et madame Pernelle, et Sosie, et maître Jacques, et Arnolphe, et Don Juan, et Diafoirus, et Bélise, et Armande, hommes, femmes, précieux et précieuses, petits marquis et grandes coquettes, fripons et honnêtes gens, malades et médecins, philosophes de hasard et savants de pacotille, bref un monde entier, tout un monde de types, de caractères, palpite, pour ainsi dire, depuis deux siècles et vit à côté du monde réel. […] Camille ajoute que Philinte n’est qu’un feuillant. […] Il faisait Philinte dans Le Misanthrope, Trissotin dans Les Femmes savantes, Jupiter dans Amphitryon, etc.
Philinte et Éliante La tradition a, je ne sais pourquoi, relégué Philinte dans l’emploi des raisonneurs. Philinte n’est point un raisonneur ; c’est l’honnête homme du dix-septième siècle, qui a du monde et sait sa cour. […] Philinte est aimable et onctueux. […] Philinte enveloppe ou d’une ironie spirituelle ou d’une bienveillante modération les conseils qu’il insinue plutôt qu’il ne les donne. […] Voilà Philinte et Éliante mariés ; ils sont parfaitement heureux, car ils le sont suivant toutes les lois de la raison.
x) : Philinte semble être le roi, Climène, la Vallière, et Chloris, Montespan : Myrtil, s’il n’est pas introduit seulement par traduction, et pour ôter trop de vivacité aux allusions, pourrait être le duc de Longueville ou le duc de Lauzun : voir plus haut, note 2, p. 176.
Ce fut d’abord Ariste qu’il appela Chrysalde pour cette fois, un cousin germain de Philinte, un oncle imperturbablement paisible de notre provoquant Desgenais; ce fut ensuite Sganarelle vieux garçon, bien plus brave sous son pseudonyme d’Arnolphe, érigeant en système la férocité de ses pressentiments et cachant un rayon dans sa cave pour avoir le soleil à lui tout seul; puis Horace, un Cléanthe plus indiscret qui va criant à tue-tête la chanson de son bonheur; puis enfin, mais celle-là était une trouvaille : la perle dans sa nacre, l’ingénue à toute outrance, Agnès dont la naïveté fait feu au moindre choc, Agnès dont l’ignorance éclaire et qui a plus d’esprit dans le petit doigt de sa niaiserie que toutes les déniaisées du monde dans leur esprit.