De grands généraux, de grands écrivains en ont immortalisé la gloire : Molière en a immortalisé les ridicules et les vices. […] La bourgeoisie veut copier la cour, elle n’en imite que les ridicules et les vices, sans en emprunter l’éclat et les grâces ; enfin, le noble se dégrade, et le bourgeois ne s’ennoblit pas. […] Dès lors, plus de contrainte, plus de frein, plus de masque ; l’hypocrisie est le seul vice qu’on n’ait plus. […] On rougit des affections les plus douces, on est honteux des liens les plus sacrés, et le Philosophe marié met à cacher son bonheur le soin que Tartuffe prenait pour dissimuler ses vices. […] Ne semblent-ils pas nous dire : Il n’y a plus de vices, plus de ridicules ?
Il avait d’autres moyens de plaire au roi : il servait et glorifiait ses vices. […] Sagesse et folie, vice et vertu, c’est un effet de tempérament. […] Il ne peut, dit-il, souffrir les gens qui couvrent leurs vices de l’intérêt du ciel. […] Comme vices unis à l’humaine nature. […] Les vices ne sont pas unis à la nature humaine.
Obligées de soutenir les travers ou les vices du dernier valet qui porte leurs livrées, elles sont forcément intolérantes : aussi les temps des troubles civils sont-ils les plus funestes pour l’art de la comédie. […] Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui de sa main ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. […] Cette coutume existe encore dans ce pays, dont l’exemple prouve que rien ne s’allie plus facilement que l’intolérance et la débauche, et que le vice ne se déguise jamais mieux que sous le manteau de la religion. […] Mais s’il fallait prendre à la lettre le sermon de Bourdaloue, il serait impossible de démasquer l’hypocrisie, et ce vice odieux jouirait de tous les privilèges de l’impunité. […] Des misérables affectaient l’austérité des mœurs républicaines, et s’abandonnaient, sous le manteau du stoïcisme, aux vices les plus honteux et aux passions les plus criminelles.
Admettons qu’il soit permis à la comédie d’attaquer, à son point de vue, les vices qui relèvent de la religion. […] Ne sera-ce pas pour ce vice un singulier privilège ? […] On ne dira donc rien sur l’hypocrisie, et encore une fois voilà un vice qui bénéficiera d’une indemnité privilégiée. […] L’Église, au contraire, est toujours embarrassée de combattre ce vice, qui se lie si étroitement à la vertu. […] Le mal est dans le vice, mais jamais dans la piété, même extérieure.
Tandis que le ridicule et le vice sont amplement représentés dans cette comédie par un sot entouré de fripons et de flatteurs, la raison et la droiture y sont figurées par deux personnages de physionomie différente, Cléonte et madame Jourdain. […] Il est peut-être plus nécessaire encore qu’aucun personnage comique ne soit entièrement exempt de vice ou de ridicule. […] Rousseau attaque Molière, comme favorisant les mauvaises mœurs, comme immolant l’honnêteté sotte et ridicule au vice ingénieux et élégant. […] En langage de littérature dramatique, on appelle l’honnête homme de la pièce, non pas précisément le personnage le plus vertueux, mais le personnage qui, étant exactement opposé à celui dont on joue le vice ou le ridicule, obtient au dénouement le triomphe dû à la probité ou à la raison. […] Ainsi, Molière, faisant toujours sortir une grande moralité de la peinture des plus mauvaises mœurs, place, à côté d’un vice, le vice même qui en est, à la fois l’effet et le châtiment.
Tous les moralistes reconnaissent qu’il n’y a pas de vice au-dessus de l’hypocrisie sur l’échelle de l’immoralité : pourquoi donc, étant digne de tous les châtiments, ne serait-elle pas justiciable du ridicule ? […] Orgon même et madame Pernelle, si la faiblesse n’était pas un vice incurable, n’auraient pas, grâce à Molière, besoin d’autre expérience pour échapper aux pièges de l’imposteur. […] Le comique n’est que la forme du génie de Molière ; le bon sens en est la substance : c’est par là qu’il sera toujours cher à l’humanité, qu’il amuse de l’image fidèle de ses travers et de ses vices. […] Dans cette double exécution, Molière prouve sa haute impartialité : de souche bourgeoise, il n’épargne pas les ridicules de la bourgeoisie, obligé de vivre avec les grands, il ne ménage pas davantage les vices de la cour. […] L’illusion qui le domine et qui l’inspire si heureusement ne tient pas seulement à l’imagination, mais à la sensibilité : car dans sa longue familiarité avec les animaux, il s’est pris pour eux, comme pour la nature, d’un amour véritable ; il les porte dans son cœur, il plaide leur cause avec éloquence, et dans l’occasion il s’arme de leurs vertus contre les vices de l’humanité.
Mais, pendant près de quatre années, l’observateur, le peintre fidèle des vices et des ridicules de la société n’avait, pour ainsi dire, rien fait pour son art ni pour sa gloire. […] Pour que le reproche fait à Molière par Rousseau fût fondé, il faudrait que l’homme exempt de vices fût indispensablement un censeur outré et amer des vices d’autrui. […] Il est égoïste, car il ne s’emporte jamais plus violemment contre les vices des hommes et les abus de la société, que lorsqu’il en est personnellement victime. […] Sa misanthropie, toute en paroles, n’est au fond qu’une philanthropie chagrine qui s’irriterait moins des vices, si elle affectionnait moins les hommes. […] Tandis que Alceste, vertueux et inflexible, gourmande éloquemment les vices qui sont seuls dignes de sa colère, Célimène, vicieuse et médisante, fronde gaiement les ridicules qui sont seuls à la portée de sa malignité.
En effet ce sont des vices qui opèrent dans le sens de l’instinct, conformément à la nature ; ce sont vices qui s’avouent et au besoin dont on se pare. […] C’est le grand argument contre Molière, qui a été cent fois répété depuis : il attaque les ridicules et non pas les vices ; il aurait fallu attaquer les vices et non pas les ridicules. […] Votre vice aura complètement désorganisé votre famille. […] Il a des vices à côté de son vice principal. Il a une famille de vices dont l’ambition n’est que l’aînée.
Une seule fois, Molière sembla prétendre à corriger un véritable vice, en l’attaquant de front et en forme, c’est-à-dire en faisant de ce vice l’objet principal de sa composition. […] Dans ce dessein, il a dû placer à coté de chaque ridicule le vice particulier qu’engendre ou nourrit sa faiblesse, afin qu’il apprît à s’en garantir. Fallait-il, pour l’édification publique, qu’il montrât le ridicule faible et confiant de sa nature, triomphant du vice armé de toutes ses ruses ? […] Il est quelques vices, quelques ridicules qui, pour ainsi dire, engendrent leur contraire. C’est une vérité commune, dont un proverbe fait foi, qu’un père avare trouve la punition de son vice dans le vice opposé de ses enfants.
Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure…, mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde et jouit en repos d’une impunité souveraine. […] Si la haine se mesurait au préjudice causé, l’Église devrait donc détester ce vice à l’égal de tous les autres. […] Pièges tendus à son vice. […] Le vice châtié par le vice Mais il importe de savoir si la leçon a toute sa portée morale, et si Molière ne l’a point affaiblie ou compromise. […] Or, cette vérité cruelle est précisément la leçon que Molière met en scène ; car la comédie, étant l’image de la vie, n’est pas plus édifiante qu’elle, et son enseignement, comme celui de l’expérience, qui ne corrige guère, ne vise qu’à montrer les vices punis par les vices.
D’un poétique éclair ton visage rayonne ; Voilà ton large front, ton œil contemplateur, Des replis de notre âme intime scrutateur, Tes deux épais sourcils que ta sage malice Semblait froncer exprès pour effrayer le vice, Tes lèvres d’où jaillit ce langage nerveux, Qui, sans prudes détours disant ce que tu veux, Fort comme ta raison, vrai comme la nature, Reste du monde entier l’éternelle lecture. […] Dis-tu, sans crainte ni pitié Que le vice insolent soit par vous châtié ! […] L’un vous dira comment, suppléant à la loi, La Comédie au vice inspire un juste effroi ; L’autre comment les Arts, pour glorieux salaire, Décernent au génie un culte populaire, Et, fiers de partager l’encens de ses autels, En l’immortalisant deviennent immortels. » fin.
. — La satire tonne et s’indigne contre les vices individuels, trop sérieux pour être joués. […] Moins une nation ou une époque est morale, plus elle change facilement la satire en comédie157. — À la base de quelques-unes de leurs œuvres comiques les Français ont mis le sérieux du vice, et dans les autres ils ont supprimé la vertu et le vice, en faisant passer sur le vice, la vertu et toutes choses, l’esprit, ce niveleur universel158.
Un divertissement gai ne peut se produire que dans la représentation des vices, des ridicules, des bizarreries de caractère. […] S’il est un exemple cependant où le ridicule déversé au théâtre sur un vice ait fait disparaître ce vice, ce résultat n’a été obtenu que par les Précieuses ridicules et les Femmes savantes. […] De Laprade, que dans Tartuffe l’attaque dépasse le vice pour aller tomber sur la chose respectable qui se trouve la plus voisine, et qu’en frondant un vice Molière offense une vertu. […] Les vices produisent des résultats bien plus sérieux chez un chef de famille que chez un célibataire, car chez le premier les vices rejaillissent forcément sur toute la famille. […] Le bon exemple devant partir d’en haut, il fallait montrer ce qu’a de désastreux le vice partant également d’en haut.
Sans doute il faut savoir gré à Molière de faire parler Alceste avec tant de chaleur et d’éloquence contre la brigue et l’imposture, et de mettre dans sa bouche de si nobles sentiments si noblement exprimés : Je veux qu’on soit sincère et qu’en homme de cœur On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur… Ce me sont de mortelles blessures De voir qu’avec le vice on garde des mesures. […] J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font… Oui, je vois ces défauts dont votre âme murmure Comme vices unis à l’humaine nature; Et mon esprit enfin n’est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants et des loups pleins de rage. […] Recommander d’être sage avec sobriété et de s’accoutumer aux vices des hommes, n’est-ce pas mettre en pratique la morale de Gassendi, qui n’a pas d’autre but que de rendre la vie heureuse, et qui fait de la prudence la mère de toutes les vertus ? Si donc c’est une exagération de dire avec Rousseau que les maximes de Philinte ressemblent fort à celles des fripons, il faut y reprendre une trop grande complaisance pour les vices à la mode, une tolérance portée à l’excès, sous le prétexte que l’homme est naturellement fourbe, injuste, Intéressé, comme le singe malfaisant, maxime empruntée à la philosophie morale de Hobbes, non moins qu’à celle de Gassendi.
Guidé d’ailleurs par l’exemple des anciens et par leur manière de mettre en œuvre, il a peint la cour et la ville, la nature et les mœurs, les vices et les ridicules, avec toutes les grâces de Térence* et le feu de Plaute*. […] Il joua la cour, le peuple et la noblesse, les ridicules et les vices, sans que personne eût droit de s’en offenser.
Fénelon se contente de reprocher à Molière, d’une manière générale, « qu’il a donné un tour gracieux au vice, avec une austérité ridicule et odieuse à la vertu ; » et il lui fait ce reproche aussi légèrement qu’il l’accuse de parler « souvent mal, d’approcher du galimatias, » et d’avoir été « gêné par la versification française812. » Il semble n’avoir lu qu’en courant, et pour pouvoir dire qu’il les connaissait, les ouvrages qu’il juge avec une autorité si absolue et si brève. […] Il faut se demander d’abord quels étaient les sentiments moraux de Molière, ce qu’il pensait lui-même du vice, de la vertu, du devoir. Certes, il a aimé l’honnêteté et l’honneur : son honnête homme est accompli de cœur et d’esprit ; il pousse la délicatesse de la vertu jusqu’à l’extrême, et la minutie du devoir jusqu’au détail le plus puéril en apparence ; son horreur du vice est vigoureuse, et en même temps sa charité indulgente. […] Enfin, mettre sans cesse devant eux le tableau du choix qu’ils peuvent faire entre le vice et l’honnêteté et en appeler à leur conscience pour décider ce choix, c’est leur dire, si par hasard ils l’oublient, que ce qu’ils ont en eux de plus précieux et de plus périlleux, c’est la liberté ? […] Le vice moral du théâtre de Molière ne consiste pas du tout dans les intentions de l’auteur : il ne consiste que faiblement dans l’ensemble des tableaux, où le bien domine, et où on peut dire que le mal est rarement approuvé d’une manière formelle ; mais il consiste dans le génie même qui inspire tout.
Il s’attacha à jeter du ridicule sur ces deux vices, ce qui a eu un effet beaucoup au-delà de tout ce qu’on pouvait en espérer. […] Cette Pièce lui fit des affaires, parce qu’on en faisait des applications à des Personnes de grande considération, et aussi parce qu’on prétendit que la vertu et le vice en cette matière se prenant aisément l’un pour l’autre, le ridicule tombait presque également sur tous les deux, et donnait lieu de se moquer des Personnes de Piété et de leurs remontrances.
le vice de leur sujet, de leur intrigue, de leur contexture, est masqué par le charme de quelques riens bien versifiés : on applaudit, l’Auteur croit avoir une maniere à lui, il se jette dans la carriere facile qui lui a valu quelque ombre de succès, & il la suit si bien qu’il s’éloigne toujours de la bonne. […] Non, elle est générale, & je hais tous les hommes ; Les uns, parcequ’ils sont méchants & malfaisants, Et les autres, pour être aux méchants complaisants, Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux ames vertueuses. […] Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures, De voir qu’avec le vice on garde des mesures ; Et, par fois, il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l’approche des humains.
L’imperfection d’Alceste, c’est le ridicule ; l’imperfection de Célimène, c’est presque le vice. Ce qui approche du vice chez elle n’est cependant qu’une qualité outrée de la femme ; le désir de plaire. […] Molière, pour nous faire juger des vices de la haute société, introduit, parmi ceux qui la composent, un homme probe et sincère.
Une comédie d’intrigue amuse ; une comédie mixte peut joindre l’utile à l’agréable, en amusant & en instruisant le spectateur, mais moins parfaitement que celle où le principal personnage, mettant tout en mouvement, nous trace par ses actions un portrait frappant des travers, des ridicules, des vices dont nous sommes blessés journellement. […] Ils poussoient la licence jusqu’à les nommer : mais comme le nom d’un personnage quel qu’il soit n’a rien d’assez piquant pour fournir le comique nécessaire à une comédie, il est indubitable que les Auteurs après avoir nommé leurs héros, représentoient leurs vices, ce qu’ils ne pouvoient faire sans peindre leur caractere.
Le luxe a ses modes, le faux goût a les siennes, l’orgueil et le vice ont aussi les leurs. […] Le vice avait été poussé à sa perfection, le châtiment devait y atteindre aussi. […] Ce dénouement, dit-on, montre le vice du sujet; mais rien ne prouve qu’il fût le seul possible. […] La malédiction qui pèse sur le vice c’est qu’il enfante le vice : voilà ce que nous apprend le spectacle de la vie et ce que Molière ne cesse pas de nous dire. […] Aucun poète comique n’a été plus loin dans la peinture du vice.
Tableau charmant qu’il oppose au tableau de l’amour grossier du populaire, faisant rire de l’un, faisant admirer l’autre, corrigeant les premiers par les derniers, et triomphant de tous les vices que peut atteindre son ardente raillerie. […] Il fera parmi nous monter l’art dramatique, Plus haut que ne l’ont vu Home et la Grèce antique, Et de l’humanité courageux défenseur, Des vices de son siècle il sera le censeur. […] Enfin, en descendant des vices aux travers, Tous les faux sentiments sont par lui découverts : Le Bourgeois, dédaignant les vertus paternelles, Cherche parmi les grands de dangereux modèles, Le Valet qui naquit probe, sincère et bon, Veut imiter son maître et devient un fripon ; Le Médecin, gonflé d’orgueil et d’ignorance, Assassine les gens au nom de la science ; Dans sa prose ou ses vers un mauvais Écrivain Substitue à la langue un jargon fade et vain ; Et la Femme, suivant de pédantesques traces, Immole aux faux savoir son esprit et ses grâces ! […] Lève-toi, dis à ceux qui gouvernent la France : « Osez combattre aussi le vice et l’ignorance ; Imitez du grand Roi l’exemple glorieux, Enflammez pour le bien les cœurs ambitieux. […] Vedel, vice président de la commission de souscription du monument de Molière en date du 15 décembre 1838, par laquelle il met a la disposition de M. le préfet de la Seine une première somme de 40 000 fr. provenant de ladite souscription, ci : 40,000.
parceque l’avarice, qui est un vice de tous les pays, de tous les états, forme un caractere si bien marqué par lui-même, qu’il n’a pas besoin d’être placé à côté d’un autre pour ressortir ; parcequ’il est encore si fécond, que, sans le secours de tout autre, il peut fournir une longue carriere : par conséquent il eût été mal-adroit de lui donner un compagnon qui l’auroit éclipsé de temps en temps, qui l’auroit empêché d’agir, ou qui ne lui auroit été d’aucune utilité. […] Il est cruel, belle Julie, que ma feinte tendresse pour Madame d’Escarbagnas dérobe à mon amour un temps qu’il voudroit employer à vous expliquer son ardeur ; & cette nuit j’ai fait là-dessus quelques vers que je ne puis m’empêcher de vous réciter sans que vous me le demandiez, tant la démangeaison de lire ses ouvrages est un vice attaché à la qualité de poëte.
On faisait tomber les ridicules, mais on les immolait au vice, et l’honnêteté des femmes était traitée d’hypocrisie, comme si le désordre eut été une règle sans exception. […] Un de leurs artifices de courtisan fut de condamner les vices du roi par l’éloge de ses propres vertus.
Ils ont cependant leur prix quand ils servent à peindre le vice que l’Auteur attaque. […] Il est une troisieme façon de donner de l’embonpoint à une piece à caractere, bien supérieure à celle dont nous venons de parler ; il faut pour cela faire une étude particuliere de l’homme ; bien réfléchir sur le vice, le travers ou le ridicule qu’on veut peindre, en connoître toutes les branches, donner pour épisode au caractere principal, les caracteres accessoires qui en dérivent, & les lier à lui-même. […] Il faut, pour acquérir cette science, savoir pénétrer dans les replis de l’ame, & y lire quels sont les vices, les défauts, quelquefois les vertus, qui accompagnent une passion parvenue à un certain degré ; sans cela l’on risque d’unir deux contraires ensemble.
Il peint des vices et des passions ; il les peint tels qu’ils sont ; il ne se soucie absolument pas de savoir si, en les réalisant, il ne lui arrive pas de nous intéresser, si parfois nous ne nous intéressons pas aux vices. […] C’est qu’au milieu de ses vices, Dom Juan a conservé le point d’honneur et le courage. […] Il n’y a plus de honte maintenant à cela ; l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. […] Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice privilégié qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. […] Est-ce que, sous les yeux de Molière, ce dernier vice sévissait ou menaçait beaucoup ?
l’intérêt et la pitié du spectateur, si telle est la volonté d’un poète tout-puissant, vont se porter même sur le vice et même sur le crime, à condition qu’ils seront mélangés d’une certaine dose d’honnêteté et de vertu. […] » Est-ce qu’un poète a jamais préféré le vice honteux au vice aimable ? […] » Tels sont les obstacles, voilà les objections, et il nous eût semblé que nous trahissions un devoir en acceptant ces définitions complaisantes qui font de la comédie un utile enseignement, une leçon éclairée, une morale abondante, en dépit de ses origines : le vice, l’insolence, la violence et le besoin de nuire ! […] Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l’y voir, l’en tirer avec grâce et d’une manière qui plaise et qui instruise. » Il disait aussi, et l’on croirait entendre Molière, mais un Molière plus correct et plus châtié : « Le philosophe consume sa vie à observer les hommes, et il use son esprit à en démêler les vices et les ridicules.
Le jour où Musset adressa au Christ cette prière pénétrante, ce cantique du regret, magnifique prélude d’une -œuvre impure, tous les cœurs dévorés de ce besoin d’aimer, châtiment du ciel, qui surprend à la dernière heure les âmes que le vice a flétries, tous ont répété sa prière avec pleurs et sanglots» Le jour où Victor Hugo s’assit peur chanter sur la tombe de sa fille, tous les pères qui portent le deuil d’un enfant ont uni leurs larmes aux siennes. […] Tandis que Corneille s’acharne à cette conception du Romain, dont nous avons signalé le vice, Racine multiplie les héroïnes qui souffrent et ne savent que résoudre. […] La profondeur de ses études sur le vice et sur la passion se retrouvent dans Athalie et Mathan. « Nous n’aurions que cette seule pièce, dit notre auteur, nous devinerions tout Racine. » « Indépendamment de cette sève nouvelle dans la création des caractères, continue t-il, la poésie déborde, toujours sans nuire à l’éloquence, dans les situations et les tableaux. […] Assurément l’hypocrisie, cette lèpre hideuse, est un vice humain qui n’a pas de patrie spéciale ; mais, comme tous les fléaux, continue M. […] La France a poussé à l’extrême quelques-unes des vertus et des qualités sociales, mais non sans cultiver aussi, et avec un succès trop réel, des vices correspondants.
Les vices de l’homme ne sont pas comiques, et ils ne sont guère risibles non plus. […] Plus fanfarons que pervers, plus amusants que dangereux, ils étalent leurs défauts ou leurs vices aux regards du public avec une sorte de coquetterie. […] À quoi bon mettre constamment en regard de la sottise la sagesse, et à côté du vice la vertu ? […] Les vices de l’homme, par exemple, n’ont rien de comique. […] Chez d’autres, la satire n’est qu’un parallèle entre le vice et la vertu.
Thalie sait nous corriger encore, en prenant à nos yeux tous les ridicules, tous les travers, tous les vices dont elle veut purger nos cœurs, & en nous exposant leur difformité dans tout son jour. […] Les Sganarelles, les Arnolphes n’ont que des travers, des ridicules ; on se moque d’eux & ils sont privés de ce qu’ils aiment : Tartufe a des vices, c’est un scélérat, on l’accable de mépris, & on l’envoie dans un cul de basse fosse. […] Qui ne compteroit du moins sur un portrait frappant des vices que la flatterie érige en vertus dans les Cours ? […] Jettons un coup d’œil sur le Misanthrope ; nous y verrons Moliere y démasquer une infinité de vices, & leur déclarer la guerre dans l’espoir de corriger les hommes qui les ont, ou d’effaroucher ceux qui pourroient un jour se laisser corrompre. […] Enfin Moliere enfante le Tartufe, cette piece incomparable, qui est une leçon continuelle de morale, dans laquelle chaque mot est l’éloge de la vertu & la satyre du vice.
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre, C’est en m’en guérissant que je sais leur répondre : Et plus en criminel ils pensent m’ériger, Plus croissant en vertu je songe à me venger. […] Un jeune homme toujours bouillant dans ses caprices Est prompt à recevoir l’impression des vices, Est vain dans ses discours, volage en ses désirs, Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs.
Cette fois, le vice l’emportait sur le ridicule, le vice était poussé jusqu’à l’horrible. […] Pourtant, et ceci finira convenablement mon parallèle entre Hamlet et Don Juan, cette comédie de Molière, si maltraitée de son vivant, devait, reconquérir (voilà le malheur de nos vices !) […] Candide ne marche pas autrement dans ces sentiers semés de doutes, de vices, d’ironies et d’épines de tout genre. […] Le poète a poussé si loin l’enquête de ces crimes, de ce vice et de ce libertinage, il a chargé son héros de tant d’injustices, qu’à défaut de la loi qui se tait, il faut bien invoquer le juge d’en-haut. […] Quand il est à ce point, dégradé, que Sganarelle lui-même l’accable d’outrages, c’est le moment, le bon moment pour voir ce vil fantôme d’un gentilhomme perdu de vices, de dettes et de débauches, aux pieds de marbre de la grande statue du Commandeur !
Qu’il me suffise de préciser, au point de vue spécial de la philosophie positive, quelles furent les idées de Molière en matière de morale, de quels procédés il usa pour dénoncer les vices et les travers de ses contemporains et des hommes en général, et quelle est la valeur de son enseignement. […] Molière prétend enseigner aux hommes à bien vivre et, parlant, à se vaincre parfois eux-mêmes et à se corriger de leurs vices. […] Ils ne semblent nullement sur la scène pour y philosopher, y faire de la morale, mais enfin ils s’émeuvent de ce qu’ils voient, ils redoutent, ils réprouvent, ils raillent ce vice, ce ridicule qu’ils ont constamment sous les yeux. […] Un père qui se laisse avilir par un vice, dégrader par une passion, déconsidérer et rapetisser par un ridicule, perd toute autorité morale sur les siens ou cause leur malheur. […] Une honnête femme, aux discours d’un galant, n’a que faire de jeter les hauts cris. » Elmire dit justement : Que ce n’est point de là que l’honneur peut dépendre Et qu’il suffit pour nous de savoir nous défendre… « Autant que possible, évitez le scandale », dit encore Molière (et c’est là un conseil d’une portée toute générale où il faudrait se garder de voir une coupable tolérance pour le vice), le scandale ne saurait rien enfanter que de déplorable en soi.
vice impitoyable ! […] Aristophane, c’est parfois le vice vêtu de pourpre, et souvent le bon sens couvert de haillons ! […] Qu’ont-ils fait de leurs vices, de leurs ridicules, de tous les travers que Molière a poursuivis ? […] On ne compte plus ses maîtresses, non plus que ses vices ; celui-là a été sauvé, en effet, par ses vices, comme Molière l’a été par sa modération. […] On le traînait de vice en vice, de crime en crime, à l’échafaud.
Les théâtres étrangers avaient communiqué au nôtre bien d’autres vices non moins révoltants. […] On voit trop que l’auteur voulait à toute force amener des contretemps : aussi a-t-il joint ce titre à celui de l’Étourdi; ce qui ne répare point le vice du sujet. […] Or, si tout excès est blâmable et dangereux, la comédie n’a-t-elle pas droit d’en montrer le vice et le danger? […] C’est ainsi qu’aux flatteurs ou doit partout se prendre Des vices où l’on voit les humains se répandre. […] C’est à cause de ses vices qu’il faut la quitter, et non pas parce qu’elle refuse de vous suivre dans un désert; car c’est un sacrifice qu’elle ne vous doit pas, et que personne ne s’engage à faire en se mariant.
Il faut avoir une envie étrange de se munir du nom des auteurs graves, et de se donner des garants d’importance, pour vouloir nous persuader par l’autorité de quelques critiques de réputation qui ont eu de l’indulgence pour Molière, que ces vices qu’il a corrigés fussent autre chose que des manières extérieures d’agir et de converser dans le Monde. […] Mais quand Molière aurait été innocent jusqu’alors, n’aurait-il pas cessé de l’être dès qu’il eut la présomption de croire que Dieu voulait bien se servir de lui pour corriger un vice répandu par toute l’Église, et dont la réformation n’est peut-être pas même réservée à des conciles entiers ?
Le vice, dit-on, et le ridicule y ont été exécutés, et y demeurent exposés comme sur le grand chemin, pour servir d’exemple.
Chaque année, chaque jour amène avec soi sa comédie, et ce qu’on appelle la société, va changer, en vingt-quatre heures de vices et de ridicules, tout comme une habile coquette arrange et dispose, à son gré, les mouches de son visage et les fanfreluches de son habit. […] disait un poète en se contemplant lui-même, qu’ai-je fait, malheureux, des vices éclatants de ma jeunesse ? Voici maintenant que je n’ai plus que des vices médiocres, ennuyeux, insipides, plus dignes de pitié que de pardon. » Mediocribus aquas Ignoscos vitiis temor À ce vice épuisé s’arrête la comédie, elle est comme le roi du proverbe : « Où il n’y a rien, le roi perd ses droits ! […] Heureusement qu’à chaque génération les vices et les ridicules renaissent comme la feuille de l’arbre au printemps, et que la comédie aussitôt recommence, nouvelle avec une génération nouvelle. […] Il ne faut pas les regretter, il ne faut pas non plus se trop féliciter de ces ridicules oubliés, et de ces vices disparus ; d’autres sont venus à la suite de ceux-ci ; nous n’avons plus Les Femmes savantes de 1666, nous avons les bas-bleus de 1830 et années suivantes.
Les Italiens, dont la poétique dramatique, calquée sur celle des anciens, ne repousse point le joug des unités, n’ont pu y soumettre le sujet essentiellement irrégulier du Convié de pierre ; mais du moins ils en ont atténué le vice, et l’ont rendu plus tolérable, en rapprochant les distances de lieu et de temps, en diminuant le nombre des événements, et en les unissant par une sorte de lien. […] Enfin, dom Juan, orné de mille qualités brillantes dont il s’est fait des instruments de vices, et capable de subjuguer ou de séduire tout ce qui l’entoure, soit par la vigueur de son caractère, soit par le charme de sa personne et de son langage, dom Juan est, si j’ose m’exprimer ainsi, un monstre sublime et le beau idéal de la scélératesse. […] L’athéisme de dom Juan non seulement fait ressortir, mais encore motive et rend vraisemblable l’hypocrisie à laquelle il a recours à la fin pour masquer ses vices et protéger ses forfaits.
Il n’est vice, ou faiblesse, ou sottise qui n’y passe ; il ne se laisse éblouir par aucune fausse respectabilité ; et du moment que le sentiment le plus sacré sort de la juste nature, Molière l’empoigne au passage, et en met à nu le ridicule. […] Mettant sur le même pied le plus innocent travers et le vice le plus décidé. […] — Puis, si nous nous arrogeons le droit de reprendre autrui, la conséquence rigoureuse sera que nous confessions publiquement nous-mêmes nos travers et nos vices. […] Parce qu’à force de haïr le vice, il prend l’homme même en aversion, parce qu’il est le Misanthrope ! […] Il n’est pas pour le mensonge, il est pour la société ; il n’est pas pour le vice, il est pour l’homme.
La passion du bel esprit, ou plûtôt l’abus qu’on en fait, espéce de maladie contagieuse, étoit alors à la mode ; le stile empoulé & guindé des romans, que les femmes admiroient par les mêmes côtés, qui depuis ont décrédité ces ouvrages, avoit passé dans les conversations ; enfin le vice d’affectation répandu dans le langage, & même dans les pensées, s’étendoit jusques dans la parure, & dans le commerce de la vie ordinaire. […] Lorsqu’il avoit en vûë de corriger un ridicule plus essentiel, ou un vice contraire à la société, il réservoit la premiére place pour un de ces caractéres singuliers qui méritent par eux-mêmes de fixer toute l’attention. […] L’entêtement d’Orgon, qui s’accroît à mesure qu’on cherche à le détruire, donne lieu à cette scéne si singuliére & si admirable du quatriéme acte, que la nécessité de démasquer un vice aussi abominable que l’hypocrisie, rendoit indispensable. L’éloge de Louis XIV, placé à la fin de la piéce, dans la bouche de l’éxemt, ne peut justifier, aux yeux des critiques, le vice du dénouement. […] Le poëte françois a non seulement exposé sur la scéne les vices & les ridicules communs à tous les âges & à tous les pays, il les a peints encore avec des traits tellement propres à sa nation, que ses comédies peuvent être regardées comme l’histoire des mœurs, des modes, & du goût de son siécle ; avantage qui distinguera toujours Moliere de tous les auteurs comiques.
Non, elle est générale & je hais tous les hommes ; Les uns parcequ’ils sont méchants & malfaisants, Et les autres pour être aux méchants complaisants, Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses, Que doit donner le vice aux ames vertueuses. […] Oui, je vois ces défauts dont votre ame murmure, Comme vices unis à l’humaine nature ; Et mon esprit enfin n’est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants & des loups pleins de rage.
Nous verrons dans un autre chapitre que les poëtes comiques doivent peindre seulement les vices du cœur, ou ceux de l’esprit, parceque ce sont les seuls dont les hommes soient répréhensibles, & dont ils puissent se corriger ; par conséquent Regnard, toujours plaisant, mais presque jamais moral, ne devoit pas jouer la distraction, ou du moins devoit-il donner à Léandre un état qui, en rendant ses méprises plus dangereuses, fît sentir combien la distraction est contraire à certaines professions, & combien il est imprudent de remettre ses intérêts entre les mains des personnes qui ont ce défaut. […] C’est, me dira-t-on, la critique d’un travers ou d’un vice, avec la peinture des ridicules ou des malheurs qu’ils entraînent, selon leur nature. Ne parlons ici que du vice, puisque la passion du jeu en est un. Je demande encore si la peinture d’un vice n’est pas plus ou moins morale, selon que les malheurs qu’il entraîne sont plus ou moins effrayants : on est forcé de convenir de cette vérité.
Toutes leurs qualités seront-elles donc changées en ridicules ou en vices par les années ? […] Rousseau : « C’est un grand vice assurément d’être avare, et de prêter à usure ; mais n’en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire les plus insultants reproches ; et, quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d’un air goguenard qu’il n’a que faire de scs dons ? […] Voir Saint-Marc Girardin, Cours de Littérature dramatique, tome1, XIII : Des pères dans la comédie, et surtout dans les comédies de Molière : « Les pères, les maris, les vieillards que Molière raille gaiement, ne sont pas ridicules par leur caractère de père, de mari et de vieillard, mais par les vices et les passions qui déshonorent en eux ce caractère môme… Cen’est point la vieillesse que Molière ridiculise, ce sont les défauts qui la discréditent, etc. » Voir tout ce plaidoyer fort ingénieux.
Celles qui attaquent les ridicules, les travers, les vices, & qui développent à nos yeux le cœur humain pour nous en faire voir la fausseté. […] Elle ressemble à l’amour conjugal : Le devoir est mesquin, la vertu ménagere, Le vice seul est libéral.