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17. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

À peine si mademoiselle Madelon cite Clélie, ou voyage en barque dorée sur le Fleuve de Tendre, et voilà nos déesses en haillons, et nos furies en falbalas qui parlent, sans frémir, la langue horrible du Père Duchêne et de Danton ! […] la langue elle-même, ce rebelle instrument, indocile aux plus habiles… elle passe, elle s’efface, elle meurt. La langue que je parle est déjà loin de moi ! […] … La réponse est facile ; c’est qu’en effet cette langue à part a été la langue d’une société à part ; c’est que Marivaux a été le Molière de ce petit monde de soie et d’or qui s’agitait, à l’ombre de l’éventail de la maîtresse royale ; société éphémère mais élégante ; un monde à part mais plein d’esprit, de loyauté et de courage ; corruption si vous voulez, mais corruption de bon goût ; désordres, à la bonne heure ! […] Est-ce vivre, en effet, que de passer à l’état d’une langue morte, d’un chef-d’œuvre oublié, d’une curiosité littéraire ?

18. (1706) Addition à la Vie de Monsieur de Molière pp. 1-67

J’avoue qu’un long et fréquent usage de la langue me fait quelquefois sortir du chemin battu ; mais il me semble que je le fais avec précaution, et dans les occasions, où ce que je hasarde relève le sentiment que j’exprime. La langue Française est aujourd’hui de tous les Pays, de toutes les Cours étrangères ; et l’on ne saurait se donner trop de soins pour la perfectionner ; de manière qu’elle soit toujours préférée, comme la plus propre pour s’exprimer naturellement. En Allemagne, en Dannemarc, en Suède, en Pologne, le commerce d’amitié, de politesse, de galanterie, d’affaires même, s’entretient en notre langue. Les Princes se font un plaisir de parler français ; leurs Ministres, Envoyés dans de différentes Cours ont leur correspondance en français ; c’est une langue universelle. […] Je me récrierai toujours contre ces Juges, qui n’ayant qu’une légère connaissance de la langue, s’imaginent que ce qui n’est pas à leur goût et à leur portée, n’est pas bon : et que toutes sortes de sujets peuvent être traités d’un style général.

19. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

La langue nouvelle s’y montre dans tout son éclat, l’esprit dans toute sa verve, le dialogue dans la grâce et dans le naturel inimitable qui donne une si grande valeur au poème. […] Si vous admettez que tout écrivain en ce monde, pourvu qu’il parle sa langue et qu’il obéisse à ce code inviolable, la grammaire, a le droit de créer son propre style, de faire la langue qu’il écrit ou qu’il parle, où trouverez-vous un style plus ingénieux, une forme plus nouvelle ? […] Elle tient l’esprit en éveil, elle l’occupe, elle lui plaît, elle parle une langue à la fois claire et savante, et dont la recherche est de bon goût. […] Même, il faut dire qu’à l’Étranger, où la langue écrite est en plus grand honneur que la langue parlée, on a conservé — c’est vrai — mieux que chez nous le ton, l’accent, l’ornement, la richesse, l’élégance et la politesse du beau langage d’autrefois. […] C’est à l’écrivain qui écrit, chaque jour, qu’il convient (la langue étant saine et sauve) de ménager son sujet.

20. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Le substantif a disparu de notre langue. […] Mais la langue ! […] Mais il n’y a pas à dire : on avalait sa langue. […] La tirade est écrite de cette langue sobre, énergique, pleine de grâce à la fois et de véhémence, la plus belle qu’on ait jamais parlée au théâtre, la langue de Molière. […] C’est un ravissement que cette langue.

21. (1800) Des comiques d’un ordre inférieur dans le siècle de Louis XIV (Lycée, t. II, chap. VII) pp. 294-331

Je veux parler d’abord de l’Avocat Patelin, remarquable par son ancienneté originaire, puisqu’il est du temps de Charles VII, et qui n’a rien perdu de sa naïveté quand on l’a rajeuni dans la langue du siècle de Louis XIV. […] Mais le témoignage des auteurs qui ont travaillé sur les antiquités françaises, et les traductions que l’on fit de cette pièce en plusieurs langues, prouvent qu’elle eut de tout temps un très-grand succès, parce qu’en effet le naturel a le même droit sur les hommes dans tous les temps, et qu’il y en a beaucoup dans cet ouvrage. […] Arrivé dans la capitale, il sentit ce qui lui manquait, et s’appliqua sérieusement à s’instruire au moins dans la langue française. […] L’invention des billets d’enterrement, qui sont la ressource d’un malheureux libraire qu’un livre in-folio a mis à l’hôpital ; l’idée singulière de mettre dans la bouche d’un soldat ivre la critique des irrégularités de notre langue, et de faire de cette critique de grammaire un dialogue très-comique; l’importance que l’abbé Beaugénie met à son énigme; la satisfaction qu’il en a et l’analyse savante qu’il en fait ; la querelle de maître Sangsue et de maître Brigandeau; la supériorité que l’un affecte sur l’autre, tout cela est très-divertissant, et surtout la scène des procureurs est si exactement conforme au style du palais, et d’une tournure de vers si aisée, si naturelle et si adaptée au vrai ton de la comédie, que j’oserai dire (sous ce rapport seul) quelle rappelle la versification de Molière. […] Le voyage qu’il avait fait en Italie dans sa première jeunesse, et la facilité qu’il avait à parler la langue du pays, lui avaient fait goûter la pantomime des bouffons ultramontains, et les saillies de leur dialogue.

22. (1772) De l’art de la comédie. Livre quatrième. Des imitateurs modernes (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. M. PALISSOT. » pp. 297-316

vous n’entendez pas cette langue divine ? […] Cette langue énergique En dit plus en deux mots que la nôtre dans dix. […] Oui, la langue turque est comme cela ; elle dit beaucoup en peu de paroles.

23. (1843) Le monument de Molière précédé de l’Histoire du monument élevé à Molière par M. Aimé Martin pp. 5-33

Il s’étonnait, en parcourant nos jardins et nos places publiques, de n’y voir que les images des divinités du paganisme, les statues des Grecs et des Romains, et des inscriptions toutes modernes dans une langue morte depuis deux mille ans. […] Noble et puissante institution ouverte à tous les bienfaiteurs des hommes quels que fussent leur langue et leur pays, et qui faisait de la France le centre moral de l’univers. […] Que les hautes intelligences apparaissent à l’orient ou à l’occident, n’importe, les idées n’ont point de patrie : Télémaque et l’Esprit des Lois appartiennent à la France par la langue ; ils appartiennent au monde par le bien qu’ils ont fait au monde, et Dieu a voulu que les fruits de la vertu et du génie fussent le patrimoine de l’humanité. […] Là, de l’antiquité Il apprend à goûter la sévère beauté ; Il parle, dans ce monde où l’étude l’exile, La langue de Platon et celle de Virgile ; Il interroge et suit, comme ses précurseurs, Les poètes hardis et les profonds penseurs. […] Enfin, en descendant des vices aux travers, Tous les faux sentiments sont par lui découverts : Le Bourgeois, dédaignant les vertus paternelles, Cherche parmi les grands de dangereux modèles, Le Valet qui naquit probe, sincère et bon, Veut imiter son maître et devient un fripon ; Le Médecin, gonflé d’orgueil et d’ignorance, Assassine les gens au nom de la science ; Dans sa prose ou ses vers un mauvais Écrivain Substitue à la langue un jargon fade et vain ; Et la Femme, suivant de pédantesques traces, Immole aux faux savoir son esprit et ses grâces !

24. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XI » pp. 89-99

La dissolution de la société de Rambouillet fut l’époque ou commencèrent des sociétés d’un autre ordre, et où s’introduisit dans la langue un mot nouveau, dont la naissance atteste celle de la chose ou de l’espèce de personnes qu’il désigne, le mot précieuse. […] En attendant ce progrès et cette importance, le nom de précieuses n’existait point encore ; et je prie mes lecteurs de tenir note de ce fait : que quand la société de Rambouillet s’est dissoute, et plusieurs années après sa dissolution, ce substantif n’avait point encore été inventé, et n’existait pas dans la langue même la plus familière.

25. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [54, p. 88] »

[54232, p. 88] 1742, Bolaeana, p. 150 Despréaux* n’approuvait pas le jargon que Molière mettait dans la bouche de ses paysans et de quelques autres de ses personnages. « Vous ne voyez pas, disait-il, que Plaute*, ni ses confrères, aient estropié la langue en faisant parler des villageois ; ils leur font tenir des discours proportionnés à leur état, sans qu’il en coûte rien à la pureté du langage.

26. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [78, p. 118-119] »

1775, Anecdotes dramatiques, tome II, p. 203 On a longtemps ignoré où Molière avait puisé le nom de Tartuffe, qui a fait un synonyme de plus dans notre langue, aux mots hypocrite, faux dévot, etc.

27. (1801) Moliérana « [Anecdotes] — [52, p. 86] »

Ce bel esprit, un des plus fins connaisseurs de la langue française, passait pour l’héritier et l’émule de Vaugelas.

28. (1862) Corneille, Racine et Molière (Revue chrétienne) pp. 249-266

On sait à Paris qu’une partie de la Suisse parle la langue française ; mais les mots ont-ils le même sens, les mêmes expressions rendent-elles les mêmes idées des deux côtés du Jura ? […] « Plus je vis en ce pays, disait-il, plus je me persuade qu’il ne parle pas notre langue, et qu’il en est ainsi parce qu’il est protestant et républicain.  […] Monnard, qui joignait à une connaissance raisonnée de sa langue maternelle une connaissance approfondie des langues anciennes et de celles des principaux peuples de l’Europe, avait fait de ses cours une étude comparée des littératures diverses, l’expression des développements divers de la nature humaine.

29. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203

Voilà pas le coup de langue ? […] Il résulte de tout ce que je viens de dire dans ce chapitre, qu’un poëte comique doit parler la langue de toutes les nations, & savoir prendre à propos le ton du bourgeois, de l’homme de Cour, du savant, de l’ignorant ; & malheur à tout Auteur dramatique, de qui la diction fait perdre de vue l’action & ses personnages, pour nous montrer l’Auteur dans son cabinet. […] Sa Muse est une Bacchante dont la langue distille le fiel.

30. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. Des Comédies Allégoriques. » pp. 75-90

Ma langue s’épaissit. […] Ma langue s’épaissit.

31. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVII. Du titre des Pieces à caractere. » pp. 417-432

 Des Anglois Eraste fait cas : Mais, pour lui, m’a-t-on dit, leur langue est de l’arabe. […] Comme Eraste n’entend pas cette langue, il la donne à lire au prétendu maître, qui l’entend aussi peu qu’Eraste, & qui, par conséquent, est très embarrassé.

32. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIX. Des Caracteres propres aux personnes d’un certain rang seulement. » pp. 312-327

S’il se présente d’autres personnes qui veuillent me parler, tu leur diras qu’elles doivent prendre garde à ne point parler latin, parceque, pour certaines raisons, j’ai juré de ne point écouter cette langue. […] Ne souffle pas : demeure en repos, & retiens ta langue.

33. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIII. De ce que nous entendons par caractere. » pp. 259-260

« Les anciens employoient un seul & même terme pour exprimer ce que nous entendons par mœurs & caracteres ; c’est de quoi on peut se convaincre en lisant les poétiques d’Aristote & d’Horace, & même les caracteres de Théophraste : en effet, bien que ce traité porte dans la langue originale le titre de caracteres, l’Auteur n’a point employé ce terme dans l’ouvrage même ; il se sert d’un mot qui semble mieux répondre à celui de mœurs en françois ».

34. (1809) Cours de littérature dramatique, douzième leçon pp. 75-126

Tout ce qu’il recueillait était immédiatement employé par lui avec plus ou moins d’habileté, et, en vue de revêtir ses pièces d’ornements plus variés, d’en rendre le spectacle plus brillant, il appelait même à son secours des moyens étrangers à son art, des allégories imitées des prologues d’opéras, des intermèdes où il introduisait jusqu’à de la musique espagnole et italienne, avec des paroles dans la langue originale, des ballets, tantôt pompeux, tantôt grotesques, et même quelquefois de simples tours de force. […] La langue française a bien fait de s’interdire le ton burlesque : d’autres langues peuvent le supporter, mais en français, pour peu que l’on cesse de parler et d’écrire avec choix et avec noblesse, on tombe dans la vulgarité la plus rebutante. […] Il est vrai que la poésie y déploie moins de richesses, mais c’est parce que la musique forçait Quinault à lui laisser moins d’espace, et que d’ailleurs la nature de la langue et de la versification françaises ne se prête pas à cette magnifique abondance, à cette brillante prodigalité qui sied à la poésie espagnole. […] Je ne parlerai pas des défauts qui proviennent de la musique ; de la monotonie du récitatif, des tours de force des chanteurs et de la difficulté d’accorder la langue française avec la composition musicale, pour peu que celle-ci s’élève au-dessus des légères modulations de l’antique romance ; c’est aux connaisseurs en musique à prononcer sur ces différents points.

35. (1739) Vie de Molière

On est obligé de dire (et c’est principalement aux étrangers qu’on le dit) que le style de cette pièce est faible et négligé, et que surtout il y a beaucoup de fautes contre la langue. […] Il faut que ceux qui apprennent notre langue dans les écrits des auteurs célèbres, y discernent ces petites fautes, et qu’ils ne les prennent pas pour des autorités. […] Il y a très peu de défauts contre la langue, parce que lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maître de son style ; et parce que Molière ayant à critiquer le langage des beaux esprits du temps, châtia le sien davantage. […] Cette comédie a été traduite en plusieurs langues, et jouée sur plus d’un théâtre d’Italie et d’Angleterre, de même que les autres pièces de Molière ; mais les pièces traduites ne peuvent réussir que par l’habileté du traducteur. […] On peut hardiment avancer, que les discours de Cléante, dans lesquels la vertu vraie et éclairée est opposée à la dévotion imbécile d’Orgon, sont, à quelques expressions près, le plus fort et le plus élégant sermon que nous ayons en notre langue ; et c’est peut-être ce qui révolta davantage ceux qui parlaient moins bien dans la chaire, que Molière au théâtre.

36. (1881) Molière et le Misanthrope pp. 1-83

Il oubliait tout ce qui n’était pas son art, s’élevait, pour employer un peu sa langue, au-dessus de sa partie sensitive pour se réfugier dans la contemplative, et de là, maître de soi et des hommes, il les peignait au vif, et surtout il riait. […] La langue même, soit dit en passant, s’en est un peu ressentie : elle n’a point la saveur de celle de l’École des Femmes, ni la liberté de celle de Tartuffe ; elle a subi cette espèce de raréfaction que la langue subit dans les hautes sphères ; on y sent de la raideur du grand siècle. […] Il n’a pas fait parler à ses seigneurs la riche et simple langue bourgeoise d’Arnolphe ou d’Orgon. […] Je ne veux point lutter d’érudition avec M. de La Pommeraye : je crois cependant qu’en 1666, dix ans après les Provinciales, sept ans après les Précieuses ridicules, un an après la mort de Mme de Rambouillet, lorsque florissaient Molière, Corneille, Pascal, Despréaux, et tant d’autres, la veille d’Andromaque et de Racine, je crois, dis-je, que la langue française pouvait être considérée comme assez eh sûreté pour n’avoir pas besoin de défenseurs aussi intempérants qu’Alceste, et je demande si oui ou non, la chanson de ma mie, o gué est écrite dans le style de Port-Royal et si M. de La Pommeraye la revendique comme un chef-d’œuvre de saine littérature et de goût délicat.

37. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Lysidas, prouver une proposition quelconque sur Part, c’était purement et simplement citer une autorité à l’appui ; le mot preuve n’avait pas d’autre sens dans la langue qu’il parlait au dix-septième siècle277. […] Il mérite bien qu’on lui fasse l’honneur de le critiquer dans sa langue, et ce qui me rend un peu moins incapable de le faire, c’est qu’au dix-huitième siècle a paru un grand philosophe allemand, auteur d’un ouvrage célèbre, qui n’est que la traduction en langue savante des principes de critique chers à Molière et à moi. […] Elle s’est ainsi formé un sens esthétique (mais ce mot n’est pas de sa langue), un instinct du bon et du mauvais, du beau et du laid, du vrai et du faux, un véritable tact littéraire. […] On peut bien m’énumérer tous les ingrédients qui entrent dans un certain mets, et me rappeler que chacun d’eux m’est d’ailleurs agréable, en m’assurant de pins avec vérité qu’il est très sain, je reste sourd à toutes ces raisons, je fais l’essai de ce mets sur ma langue et sur mon palais, et c’est d’après cela (et non d’après des principes universels) que je porte mon jugement.

38. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Mais il n’a point créé de types qui soient demeurés l’expression éternelle d’un sentiment, d’un vice, d’une passion ; il n’a pas perpétué dans la langue des noms de personnages qui aient servi à définir des familles264.

39. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Sur la foi de deux auteurs célèbres, La Bruyère et Fénelon, et surtout en prenant pour point de comparaison l’état actuel de la langue, on pense généralement que Molière l’a fort peu respectée, et l’on attribue à la négligence ou à la précipitation tout ce qu’on remarque de vicieux dans ses ouvrages. […] La langue de Molière n’était donc pas celle de Racine et de Boileau, mais celle des deux Corneille, de Scarron, de Rotrou, de Boisrobert, de d’Ouville, de Desmarets, etc. […] C’est un court espace, sans doute ; mais il est immense, si l’on considère qu’à cette époque la langue et la littérature des Romains marchaient de la barbarie à l’élégance avec cette rapidité qui est commune à la jeunesse de toutes les institutions. […] Nous pouvons avouer que, dans ses vers surtout, il a manqué souvent et sans le vouloir à la régularité des constructions et à la propriété des termes, mais moins souvent toutefois qu’on ne le croit communément, faute de bien connaître l’état de la langue à l’époque où il écrivait. […] Molière, dans la société, était sur le terrain même de ses études : quand sa langue était muette, son œil n’en était que plus occupé, et son oreille plus attentive.

40. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXVI. De l’opposition des Caracteres. » pp. 398-416

combien lui donnez-vous Pour enchaîner sa langue & calmer son courroux ? […] Dans la scene IV Cléon porte en effet la somme qu’on lui a demandée, & la donne avec cent louis qu’il y ajoute pour enchaîner la langue de Finette.

41. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXIV. Des Tableaux. » pp. 422-425

Je sens, à son aspect, redoubler mon courroux : Ma langue se révolte, & n’est plus retenue.

42. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Il faut que j’essaye de le décrire ce que ma langue et mon palais éprouvent. […] Je crois que l’artiste peut avoir l’ambition de corriger la nature et de s’élever au-dessus d’elle ; je crois en un mot, qu’il lui est permis de parler une langue idéale. […] Il était impossible à Racine d’imaginer et de penser autrement qu’avec l’imagination et l’esprit de son temps, de sentir avec un autre cœur que le sien, d’écrire une autre langue que cette langue polie et abstraite qu’il avait reçue des mains de Malherbe, et qui s’était encore épurée dans les salons de Louis XIV. […] Ces critiques confondent deux choses fort différentes : la nature et le vocabulaire d’une langue. […] Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue française.

43. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. Des Caracteres généraux. » pp. 263-267

Si l’ouvrage peint l’homme de toutes les nations, on le traduit dans toutes les langues ; il franchit ainsi les bornes du royaume & porte le nom de l’Auteur avec lui : s’il ne peint qu’un François, un Italien, un Espagnol, il sera seulement connu en France, en Italie, en Espagne, & le nom de l’Auteur ne s’étendra pas plus loin, à moins qu’il ne doive cet honneur à quelque autre piece.

44. (1772) De l’art de la comédie. Livre troisième. De l’imitation (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. » pp. 274-278

« Il peut se faire aussi, me dira-t-on, que quelque Auteur précieux & maniéré eût lu le couplet espagnol, qu’il eût trouvé l’idée charmante, qu’il en eût voulu enrichir notre langue ; & que Moliere, toujours guidé par son bon goût, en eût montré le faux ».

45. (1706) Lettre critique sur le livre intitulé La vie de M. de Molière pp. 3-44

Quant à son style, c’est un Auteur qui s’emporte, mais qui paraît assez le maître de son expression, qu’il hasarde aussi effrontément que s’il était le Directeur de la Langue : tout terme, toute expression l’accommode pour se faire entendre. […] Ce n’est point à ces Messieurs-là à défigurer notre Langue de cette force-là ; c’est à eux à suivre ce qui est établi.

46. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXIX. De l’action dans les Pieces à caractere. » pp. 448-468

Il n’est pas question de décider ici si nous avons de vrais synonymes dans notre langue : mais je soutiendrai qu’un suffisant, un impertinent, un présomptueux, ne ressemblent pas du tout à un glorieux. […] Disposez de ma langue : Je la gouvernerai tout comme il vous plaira.

47. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

« Il ne faut pas dédaigner les rhétoriques, disait l’archevêque de Cambrai ; une bonne rhétorique serait bien au-dessus d’une grammaire, et de tous les travaux bornés à perfectionner une langue. […] Vous ne voulez pas que je m’étonne quand j’entends retentir autour de ces seize ans non accomplis, les dissertations conjugales du seigneur Arnolphe, et ces mots grossiers de la vieille langue bourgeoise que M.  […] Enfin, et ceci est une critique à faire aux pédants (meâ culpâ), armés de citations dans l’une et l’autre langue ( utriusque linguæ , disait Horace) : « Ne paraissez pas si savant, de grâce ; humanisez votre discours et parlez pour être entendu. » Qui voudrait avoir le secret de la critique appliqué à l’art du théâtre, se pourrait contenter d’étudier et de méditer La Critique de l’École des femmes ; il y trouverait les meilleurs et les plus utiles préceptes de prudence, de modération, de finesse, et comme dit un de nos vieux auteurs : En délectant profiteras.

48. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Au premier abord, et quand on se souvient de ce mot : politesse, et de cet autre mot : urbanité, qui ont été le fond de cette langue française, « dont les moindres syllabes nous sont chères, disait un académicien, parce qu’elles nous servent à glorifier le Roi », on se figure que, plus tard, après Richelieu et Mazarin, les ballets dansés par Louis XIV ont perdu quelque peu de leur entrain et de leur gaieté, pour ne pas dire pis. […] quelle langue, et quel style ! […] Notez bien que chacun de ces cinq actes de Molière, si vous le prenez à part, est un chef-d’œuvre, écrit avec tant de soin, ou, ce qui revient au même, avec tant de bonheur, que l’on dirait de temps à autre la langue même des Provinciales, cette langue correcte, incisive, railleuse, qui parle comme parle la comédie, quand la comédie le prend sur le ton le plus élevé27. […] Ajoutez que ce Molière parle un patois vif, alerte et vrai ; même il parle tous les genres de patois, comme un digne enfant des Halles : Tout lui va, le patois de la ville et celui du village, le patois des provinces, la vraie langue des franches natures, la langue qu’il nous faut protéger contre Despréaux, ce dédaigneux qui posait l’Art poétique comme la borne qui ne veut pas qu’on aille plus haut, ou plus loin. […] Savez-vous, dans notre langue, un plus beau passage que la plainte de ce vieillard déshonoré par son fils, mais en même temps savez-vous une création plus amusante que M. 

49. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

c’est le fond de la langue anglaise ? […] était le fond de la langue anglaise, avait trouvé que : Ô mon Dieu, Monsieur ! était le fond de la langue française. […] À cette comédie de Térence, commence la langue véritable de l’amour. […] Si l’art dramatique a fait un pas avec Térence, la langue dramatique est parvenue à un immense progrès.

50. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXII. Des Pieces à caractere. » pp. 253-258

On peut ajouter que le Menteur, le Prince jaloux & l’Aulularia sont bien loin de ce que nous les voyons dans notre langue.

51. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre premier. Préliminaires » pp. 1-8

Elles lui vinrent, par une chaîne ininterrompue, des plus anciennes productions de notre langue ; elles arrivèrent jusqu’à lui en droite ligne par les fabliaux, par les conteurs du quinzième et du seizième siècle, par Rabelais, Montaigne, Régnier.

52.

On l’étudie avec intérêt au point de vue de la langue, de la littérature et de l’histoire des mœurs, mais elle ne se prête plus à être jouée. […] Thym sait assouplir l’alexandrin et éviter la monotonie que ce mètre a plus aisément dans une langue germanique qu’en français. […] Les Français ont même pris l’habitude, en souvenir de Molière et du Bourgeois gentilhomme, de le désigner sous le nom de langue Sabir. C’est une langue, en effet, qu’il faut souvent connaître, et qui a ses dictionnaires et ses grammaires. […] Despois, Mesnard et Picot nous permettent de leur opposer l’article « mettre au cabinet » de l’intéressant Lexique comparé de la langue de Molière, par M. 

53. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

Il produisit une réforme générale ; on rit, on se reconnutb ; on applaudit en se corrigeant. » « [*]Il y a très peu de défauts contre la langue (dans cette pièce) parce que lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maître de son style, et parce que Molière, ayant à critiquer le langage des beaux esprits du temps, châtia le sien davantage. […] Son valet paraît plus étourdi que lui, puisqu’il n’a presque jamais l’attention de l’avertir de ce qu’il veut faire… On est obligé de dire (et c’est principalement aux étrangers qu’on le dit) que le style de cette pièce est faible et négligé, et que surtout, il y a beaucoup de fautes contre la langue. […] Nous ne parlons de cette troupe de comédiens espagnols que par la seule raison qu’elle joua quelque temps sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne ; il y a toute apparence qu’elle ne fut pas goûtée du public, peut-être à cause du peu de personnes qui entendaient la langue espagnole ; quoi qu’il en soit, ces comédiens restèrent en France jusqu’en 1672 avec une pension de la reine, et sans doute à titre de ses comédiens ; un passage d’une lettre en vers de Robinet servira pour appuyer cette conjecture.

54. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VII. Le théâtre français contemporain des Gelosi » pp. 119-127

Sans doute les Arlequin, les Pedrolino, les Pantalon, étaient d’excellentes charges (ce mot est la traduction du mot italien caricature, passé depuis lors dans notre langue), c’est-à-dire des copies ressemblantes, quoique outrées, de la nature humaine.

55. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Nous reviendrons sur ce sujet dans la quatrième période, en examinant la doctrine de Molière sur l’usage de plusieurs expressions qu’il a voulu maintenir, et que l’usage a écartées de la langue.

56. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

En quoi pourrait autrement les intéresser cette prétendue comédie, si longue et si fausse quand le vivant esprit de la langue française n’y est plus ? […] Je ne conteste point la haute littérature qui brille dans le Tartuffe ; mais le nerf de cette langue, cette clarté, celte verve, il n’y a pas mille Français en France capables d’en jouir véritablement. […] A écouler les commentateurs, encore aujourd’hui, il semble que la langue allait périr, si les Précieuses n’avaient pas été jouées. […] Pour tromper, l’imposteur doit parler la langue des gens de bien, et tel a ôté le succès de sa fourberie qu’aujourd’hui ce sont les gens de bien qui parlent comme l’imposteur. […] L’incrédule, ou comme la langue disait alors avec une logique profonde, le libertin ne veut pas comprendre pour n’être pas contraint de se rendre ; noluit intelliqere ut bene ageret.

57. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXV. De l’Illusion Théâtrale. » pp. 426-433

Et vous, Messieurs, qui êtes accoutumés à critiquer les pauvres femmes, qui allez murmurant dans les boutiques, vous avez plus de langue que d’argent.

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