Sganarelle, c’est l’enfant du peuple, homme timoré et de bon sens, croyant et crédule, honnête dans le fond, quelque peu fourbe dans la forme, qui pour gagner sa vie, beaucoup par curiosité, et un peu parce que le spectacle et le langage du vice lui plaisent et l’amusent, suit son seigneur et maître dans ce hardi et merveilleux sentier d’esprit, d’orgies, de doute, de libertinage et de débauche. […] Un soir, le roi entend la jeune fille qui parle d’amour ; à ces propos d’amour son nom est mêlé, et lorsqu’à la dérobée il jette un coup d’œil sur cette jeunesse si bien emparlée et si tendre, il reconnaît la belle personne dont le portrait l’a frappé chez le surintendant Fouquet ; aussitôt ce roi égoïste se sent ému jusqu’au fond de l’âme ; c’est quelque chose de mieux que les sens, c’est presque le cœur qui lui parle, et de ce jour qui la devait plonger, vivante, dans un abîme de supplices et de repentirs, madame de La Vallière préside à ces fêtes, à ces spectacles, à ces miracles de la poésie et de la peinture, à ce beau siècle, à ce théâtre ou Molière et Lulli semblent lutter à qui produira les amusements les plus aimables. […] Elle n’est plus qu’un vain spectacle.
Cette passion est une violente haine du vice, née d’un amour ardent pour la vertu, aigrie par le spectacle continuel de la méchanceté des hommes. […] Dans Rousseau, Alceste « connaît les hommes », « aime la vertu », a « une violente haine pour le vice aigrie par le spectacle continuel de la méchanceté des hommes », est « toujours furieux contre les vices publics et tranquille sur les méchancetés personnelles dont il est la victime », et c’est là toute sa vertu, qui du reste est honorable. […] — Elle arrive, mais ce n’est pas une raison pour la monter en broche et pour l’encadrer comme une œuvre d’art, et c’est l’exposer aux yeux comme spectacle intéressant qui est chose démoralisante ; Molière renverse l’ordre de la société en le montrant renversé et en caressant ainsi les désirs secrets de ceux qui veulent le renverser effectivement. […] Et ces sentiments sont-ils plus faibles dans les lieux où il n’y a point de spectacles ? […] Il n’y avait presque pas une fête, pas un sacrifice, pas une cérémonie où l’on ne vît des bandes de filles des premiers citoyens couronnées de fleurs, chantant des hymnes, formant des chœurs de danse, portant des corbeilles, des vases, des offrandes et présentant aux sens dépravés des Grecs un spectacle charmant et propre à balancer le mauvais effet de leur indécente gymnastique.
Cette pièce, faite pour le Roi, est un spectacle pour laquais. […] Si le public voit avec plaisir, malgré l’immoralité de ce spectacle, le jeune homme qui a épousé une fille pour son argent devenir un mari trompé, l’homme d’âge qui a épousé une jeune fille avoir le même sort, c’est qu’il les considère comme étant sortis de la norme et comme justement punis d’en être sortis. […] Dans Don Juan seul il a violé toutes les règles (excusé du reste devant les rigoristes du temps parce que c’était une pièce à spectacles). […] Il a fait Orgon autoritaire, irritable et impulsif ; il l’a fait se mettre en colère contre sa servante, contre sa fille, plus tard contre sa mère ; il l’a fait tel enfin que devant le spectacle de Tartuffe sur le point d’embrasser Elmire, il n’était préjugé, ni raisonnement non plus qui pût tenir et que, coupant dès le premier mot la justification qu’allait présenter Tartuffe, il le jetât simplement à la porte. […] Elle demande seulement à Tartuffe, pour s’offrir le spectacle de sa figure, s’il ne craint pas qu’elle ne fasse confidence à son mari des désirs dont Monsieur Tartuffe veut bien l’honorer, et comme Tartuffe la supplie d’être assez bénigne pour n’en rien faire, elle l’assure qu’elle n’en fera rien en effet, à la condition qu’il renonce à son projet de mariage avec Mariane.
Rome nous offre à peu près le même spectacle avec moins d’élégance et plus de corruption.