La Comédie est une représentation naïve et enjouée d’une aventure agréable entre des personnes communes ; à quoi tout auteur honnête homme doit ajouter la douce satire pour la correction des mœurs. […] J’ai dit sur cette Pièce ce que l’on devait dire : Et mon Censeur qui étale souvent de si beaux sentiments, a mauvaise grâce de me demander des traits de Satire, qui n’ont nulle apparence de vérité : Veut-il que je pénètre dans l’intérieur de Molière, pour savoir si Mr N. et Mad N. sont les originaux du Tartuffe ?
La comédie reprend un peu quand arrive le Fâcheux au plus fort de la répétition, et quand Molière donne la réplique à Lagrange, qui joue un rôle de marquis ; le gazouillement de mademoiselle Duparc et de mademoiselle Molière est aussi une plaisanterie du meilleur goût ; tant que Molière reste dans la comédie il est excellent ; mais une fois dans la satire, il faut avouer qu’il va trop loin. […] Saint-Évremond, un bel esprit de cette famille des beaux esprits, disait souvent que les grands admirateurs étaient de sottes gens, et La Bruyère, qui se plaignait, puisque les grands sujets lui étaient défendus, d’être forcé de faire la satire des ouvrages de l’esprit, indique à merveille les limites de la critique : « Il ne faut pas, dit-il, mettre un ridicule où il n’y en a point, c’est se gâter le goût, c’est corrompre son jugement et celui des autres.
Ainsi, selon qu’il est plus heureux d’être suivi par quelques-uns ou plus triste d’être abandonné par plusieurs, le poète peut, et toujours avec raison, s’abandonner à l’enthousiasme ou se jeter dans la satire : dans tous les temps, Aristophane et Sophocle, Corneille, Racine et Molière peuvent se tendre la main. […] Les reproches que le poète a réellement mérités sont peut-être plus graves que ceux qu’on lui fait à l’ordinaire, et doivent tomber sur ses comédies dirigées contre les Sganarelle et les Arnolphe aussi bien que sur Les Femmes savantes. » Dans ces diverses satires, Molière a pu faire admirer la justesse pratique de son jugement; mais ni les unes ni les autres ne découlent d’un principe assez élevé.
Il y a grande apparence que notre comique a pris l’idée de sa pièce, de sa première scène surtout, dans une satire d’Horace ; et qu’un canevas italien, intitulé Gli interompimenti di Pantalone, lui a fait imaginer son intrigue ; donnons un aperçu de l’un et de l’autre. […] Satire IX. […] Voilà, je pense, la pièce suffisamment jugée, quand nous aurons ajouté que, parmi les farces de notre auteur, il n’en est point qui fasse, avec plus de franche gaieté, la satire des charlatans en fourrure, et que son genre de comique excuse presque un dénouement trop précipité. […] Les uns soutiennent que Molière a voulu faire de ce personnage un doucereux cafard, et les autres prétendent qu’il faut le jouer… ; risquons le mot… en satire. […] Voltaire, dans ses observations sur les comédies de Molière, article des Femmes savantes, ajoute, en parlant de Cotin : Les Satires de Despréaux l’avaient déjà couvert de honte, et Molière l’accabla… La meilleure satire qu’on puisse faire d’un mauvais poète, c’est de donner d’excellents ouvrages ; Molière et Despréaux n’avaient pas besoin d’ajouter des injures.