Néanmoins Les Plaideurs sans procès, Brueis et Palaprat, La Jeune Femme colère, et surtout Les Deux Gendres, suffisent pour le placer au rang de nos bons poètes comiques. […] Scribe que nous trouvons accomplissant le mieux la mission du poëte comique. […] On souffre aisément les répréhensions, mais on ne souffre point la raillerie; on veut bien être méchant, mais on ne veut point être ridicule. » Tous les devoirs du poëte comique, sa mission la plus belle, la plus noble, la plus élevée, sont renfermés dans ce peu de paroles. Si, en effet, le ridicule est ce que les hommes redoutent surtout, plus encore que d’être reconnus pour méchants, la loi suprême du poëte doit être, sans contredit, de faire rire aux dépens des vicieux. […] N’est il pas clair que tout le dialogue qui suit n’est qu’un combat, où l’amour-propre du censeur lutte contre l’amour-propre du poète?
D’autre part, et cela pouvait tenter le poëte comique, malgré les efforts de Patru, de ceux qui, comme Gilet et Erard, prenaient à tâche de marcher sur ses traces, le barreau, trop fidèle à de vieilles habitudes, n’avait pas encore renoncé à ces formes surannées de style, à ce flot d’inutiles citations, à ces figures de mauvais goût, dont l’éloquence judiciaire du temps ne nous offre que trop d’exemples.
Quand ils l’accusent de ruiner la religion et la morale, ce n’est pas pour leur propre compte : derrière leurs indignations, une main, et une main vigoureuse se sent, qui les commande, les documente, et qui les enhardit à discréditer le poète favori du Roi. […] Perdu de dettes et de débauches comme le héros de Molière, libertin accompli et d’esprit et de mœurs comme lui, et, comme lui encore, spirituel en son « libertinage ; » séducteur de femmes et de filles dont les trahisons et les « férocités de cœur » ne se comptaient plus; dévot enfin, lui aussi, au dernier acte, il avait, jusque dans ce dénouement, ce nouveau point de ressemblance avec Don Juan que la sincérité de sa conversion avait, au moins au début, excité bien des doutes; les médisans pouvaient se demander si ce converti par maladie et par peur avait d’abord pris la précaution de « croire en Dieu33. » Mais encore que l’extrême dissemblance physique entre Don Juan et Conti pût être au poète une espèce de garantie contre des réclamations qui auraient encouru le ridicule d’une fatuité trop injustifiée; — encore que Conti fût alors assez mal en cour et Molière au contraire très fort patronné par Louis XIV, — on hésite tout de même à admettre, jusqu’à plus ample informé, que Molière ait osé s’en prendre à une Altesse Sérénissime, au cousin du Roi. […] Elle était faite aussi, — et dans toute la critique, je ne vois pas qui à l’heure présente le contesterait42, — des convictions, ou, si l’on veut, de l’humeur et des instincts du poète penseur, libre penseur.
Si la gradation est nécessaire jusques dans les mots, si un poëte adroit ne met jamais allons après volons, s’il ne dit pas je vous aime après je vous adore, parceque la seconde expression est plus foible que la premiere ; à plus forte raison doit-il avoir le soin de graduer ses moyens & ses situations, de façon que l’admiration du public croisse sans cesse.