Molière ne doit donc pas moins à Strapparole et à Scarron, que la fable et les principaux caractères, en un mot que la partie dramatique et la partie morale de sa comédie. […] C’est une espèce de phénomène que Voltaire a décrit en peu de mots : « L’École des femmes, a-t-il dit, est une pièce d’un genre nouveau, laquelle, quoique toute en récits, est ménagée avec tant d’art, que tout paraît être en action. » Ces récits successifs ont toute la vivacité des faits qu’ils retracent et dont la plupart n’étaient pas de nature à être mis en action sur la scène. […] On y vit, dans le personnage de Climène, ces femmes prudes et précieuses à la fois, toujours prêtes à prendre la naïveté pour de la bassesse, et la gaieté pour de l’indécence ; dans celui du marquis, ces sots du grand monde, qui condamnent d’un mot l’ouvrage qu’ils connaissent à peine et qu’ils seraient hors d’état de juger ; enfin, dans celui de M. […] La Critique ne nous offre pas seulement le croquis de la plupart des personnages qui figurent dans Les Femmes savantes ; elle nous montre aussi le sujet de cette comédie, tracé en peu de mots, mais avec une précision, une justesse qui ne permettent pas de le méconnaître.
Peut-être voulait-il, en réalité, l’offrir à ses convives ; Molière, lui, au lieu de se donner en spectacle, entend profiter de celui qu’on lui a promis ; il ne dit mot et raille, à l’occasion, ceux dont il a trompé le petit calcul ; ainsi, dans la Critique de l’École des femmes, par la bouche de la rieuse Élise. […] Rousseau, il y voit « trop ouvertement le dessein de déshonorer Molière, » et il oppose à Grimarest l’autorité de Mlle Poisson, d’après laquelle Molière était « complaisant et doux. » Grimarest n’avait pas d’aussi noirs desseins ; tout son livre témoigne, au contraire, d’intentions excellentes ; mais sa plume est lourde, l’art des nuances lui manque ; il peut dire vrai pour le fond des choses et ne pas bien choisir ses mots. […] Il ne faut pas tirer de la première de ces anecdotes plus qu’elle ne contient : le mot présentement en fixe la portée. […] Aux récriminations, il répond par des coups de boutoir, il force les résistances par des mots piquans : « Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête l » dit-il crûment à Armande. […] Ces moyens consistent à piquer la curiosité du public, à se préparer des spectateurs bienveillans, à désarmer les hostilités dans la mesure du possible ; ils s’appellent, d’un seul mot, la réclame.
Mais laissez dire un mot, & vous verrez que non.
Il faut toujours qu’il réserve pour la fin, ces expressions énergiques, ces profondes saillies qui souvent décèlent ce que le cœur humain a de plus mystérieux, que le dernier mot d’une comédie soit le plus pénétrant. […] Ici le mot caractère s’applique indifféremment aux comédies de mœurs ou de caractère proprement dites 4.