Et telle est l’intention de Molière ; et c’est pourquoi la pièce s’appelle Tartuffe ; comme il a intitulé les autres l’Etourdi, les Précieuses ridicules, le Misanthrope, l’Avare, Georges Dandin, le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire, etc., etc., désignant ainsi, dès l’abord, le personnage dont il entend qu’on rie. […] Et tout cela n’empêcha pas Bossuet de s’écrier : « La postérité saura peut-être la fin de ce comédien qui en jouant le Malade imaginaire reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre au tribunal de celui qui a dit « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez !
Séparez Don Quichotte de son écuyer, vous n’avez plus qu’un fou inutile qui se perd dans les espaces imaginaires, et qui reste brisé sans que nul le relève, sous l’aile du moulin à vent ; séparez Don Juan de Sganarelle, vous n’avez plus qu’un libertin obscur qui se cache dans l’ombre, qui fait tous ses coups à la sourdine, que rien n’explique et qui s’en va au hasard, apportant aux premières venues, son éternelle proposition de mariage. […] Le Festin de Pierre, comédie en prose Le Tartuffe n’avait pas encore vu le jour, la protection du roi lui-même avait été vaincue par les clameurs des dévots, des vrais dévots aussi bien que des faux dévots, comme dit La Bruyère ; tout le xviie siècle était en suspens, dans l’attente du chef-d’œuvre qui allait venir, bref, on ne savait rien de Tartuffe, sinon dans les salons de mademoiselle de Lenclos, ce grand philosophe, à l’esprit si net, au cœur si tendre, lorsque tout d’un coup, dans les folles journées du carnaval de 1665, Molière fit représenter une comédie intitulée : Don Juan. — Au premier abord, on devait s’attendre à quelqu’une de ces farces admirables par lesquelles le grand poète comique faisait soutenir ses chefs-d’œuvre, Le Malade imaginaire, par exemple, ou bien Le Bourgeois gentilhomme. Aussitôt qu’il a touché février, le mois du carnaval, le Parisien veut rire à tout prix ; mais cette fois, ce Don Juan, ce nouveau venu dans le domaine de la comédie, n’est pas et tant s’en faut, Le Bourgeois gentilhomme ou Le Malade imaginaire. […] Le Malade imaginaire est une comédie excellente, et pourtant dans la pensée de l’auteur c’était tout au plus une parade !
Il en est ainsi de la scene de Clistorel dans le Légataire, qui est tout-à-fait calquée sur celle de Purgon dans le Malade imaginaire ; elle est trop longue pour être rapportée.
» Enfin, un jour, le 17 février 1675, au moment de paraître sur le théâtre pour la quatrième représentation du Malade imaginaire, où il jouait le rôle d’Argant, Molière fit appeler sa femme, avec qui il était depuis peu de temps réconcilié. […] La postérité saura peut-être la fin de ce poète comédien qui, en jouant son Malade imaginaire ou son Médecin par force, reçut la dernière atteinte de la maladie dont il mourut peu d’heures après, et passa des plaisanteries du théâtre, parmi lesquelles il rendit presque le dernier soupir, au tribunal de Celui qui dit : Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez ! […] Voilà ce qu’ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique un hypocrite imaginaire ou même si vous voulez un hypocrite réel ; et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule, la crainte des jugements de Dieu29, l’horreur du péché30 , les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus chrétiennes Laurent, serrez ma haire avec ma discipline. […] Bourdaloue ne connaissait pas l’ouvrage contre lequel il s’élevait dans la chaire de vérité, puisqu’il dit qu’on donne à un hypocrite imaginaire le visage d’un pénitent, tandis que Molière le peint avec l’oreille rouge et le teint bien fleuri (ce que l’acteur a soin de réparer en se rapprochant autant que possible de l’habit ecclésiastique). […] Il devait le manquer et connaître l’impuissance de l’art par lequel il prétendait donner la vraie vie à des êtres imaginaires.