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185. (1901) Molière moraliste pp. 3-32

« S’il suffit de sacrifier les siens pour être éternellement heureux », s’est dit Orgon, « qu’à cela ne tienne. » Et il a négligé sa femme, il a brutalement mis son fils à la porte, il a rudoyé son frère et va sacrifier sa fille… Tels sont les dangers qu’un mauvais directeur fait courir à une famille, et c’est bien le directeur que Molière condamne, celui que le catholicisme prétend substituer au père dans la direction morale de l’épouse et des enfants, et qui, pour être dévot, n’en sera pas moins homme. […] Tout heureux qu’il puisse être de se voir habillé à la dernière mode de la Cour, il éprouvera quelque gêne en entendant Nicole rire de lui, et le contrôle de toutes ses actions par deux femmes de tête fait admirablement ressortir aux yeux du public tous les ridicules du bourgeois gentilhomme.

186. (1746) Notices des pièces de Molière (1658-1660) [Histoire du théâtre français, tome VIII] pp. -397

J’avoue que Timocrate est fort adroit et fort heureux dans sa conduite, et qu’il faut l’être beaucoup pour trouver toujours au besoin des occasions si justes et si favorables de passer comme lui d’un parti à l’autre, selon les divers intérêts qui l’y obligent ; mais il ne fait rien qui soit impossible, et tout ce qui peut arriver sans violenter beaucoup l’ordre commun de la nature doit être réputé vraisemblable, etc. […] On y trouve des personnages froids, des scènes peu liées entre elles, des expressions peu correctes ; le caractère de Lélie n’est pas même trop vraisemblablea, et le dénouement n’est pas heureux ; le nombre des actes n’est déterminé à cinq que pour suivre l’usage qui fixe à ce nombre les pièces qui ont le plus d’étendue, mais ces défauts sont couverts par une variété et par une vivacité qui tiennent le spectateur en haleine, et l’empêchent de trop réfléchir sur ce qui pourrait le blesser.

187. (1765) Molière dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (compilation) pp. 2668-16723

Il joint en effet à la plus heureuse sagacité dans le choix des caracteres, une force d’imagination que le grand Corneille admiroit lui-même. […] Il est des caracteres trop peu marqués pour fournir une action soûtenue : les habiles peintres les ont groupés avec des caracteres dominans ; c’est l’art de Moliere : ou ils ont fait contraster plusieurs de ces petits caracteres entre eux ; c’est la maniere de Dufreny, qui quoique moins heureux dans l’oeconomie de l’intrigue, est celui de nos auteurs comiques, après Moliere, qui a le mieux saisi la nature ; avec cette différence que nous croyons tous avoir apperçu les traits que nous peint Moliere, & que nous nous étonnons de n’avoir pas remarqué ceux que Dufreni nous fait appercevoir. […] On lui reproche de n’être pas souvent heureux dans ses dénouemens ; mais la perfection de cette partie est-elle aussi essentielle à l’action comique, surtout quand c’est une piece de caractere, qu’elle l’est à l’action tragique ?

188. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Produite par l’équilibre des passions conciliées dans l’âme heureuse et tranquille, ne puis-je pas appeler cette félicité intérieure de l’homme le sourire des Dieux, c’est-à-dire des sentiments pathétiques, remontés du théâtre sanglant de la tragédie humaine au séjour idéal de leur concorde harmonieuse ? […] Si, en effet, l’apparence, une fausse image de ce qui est substantiel et vrai, ou ce qui est mauvais et petit en soi est le côté saillant, cependant la personnalité forte et solide qui dans son indépendance, s’élève au-dessus de toutes les choses finies, assurée et heureuse en elle-même, reste le principe du haut comique. […] Cette imperturbable assurance dans la vérité de ses opinions est encore relevée d’une manière tout à fait heureuse par les plus beaux traits de caractère.

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