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136. (1802) Études sur Molière pp. -355

Zanutzi y remplissait le rôle de Fulvio, non en amant troublé par son amour, mais en fou échappé des Petites-Maisons, ayant un habit couvert de rubans, un bas vert, un autre rouge et quand je lui demandais compte de cette folie, il me soutenait que la signification du mot inadvertito justifiait, exigeait même cette mascarade. […] Parce que les rimailleurs du temps avaient persuadé au public qu’une pièce en cinq actes devait être rimée pour avoir quelque mérite ; et cette erreur accréditée, même à la cour, faisait dire au duc, au marquis : « Molière est-il fou, et nous prend-t-il pour des grues, de nous faire essuyer cinq actes de prose ? […] Angélique, chaque situation, chaque mot ne vous prouvent-ils pas que, pour la punition du fou qui vous a épousée, vous devez le tourmenter ? […] Un médecin à qui l’on a livré Ménechme Sosiclès comme fou, lui demande gravement si ses entrailles font quelquefois du bruit ? […] Bussi Rabutin a beau dire que la Bélise de Molière est une faible copie de cette folle, je soutiens que les Bélise n’ont pas encore disparu de la société, et que les Hespérie ne se trouveraient en pays de connaissance qu’aux Petites-Maisons.

137. (1819) Introduction aux œuvres de Molière pp. -

Ce fou de d’Assoucy32, l’Empereur du burlesque, courait alors aussi la province, avec son luth, son théorbe, et ses deux petits pages ou enfants de musique, société suspecte qui lui valut les épigrammes de Chapelle, et, ce qui était beaucoup plus sérieux, un emprisonnement au Châtelet, d’où il faillit être envoyé en place de Grève. […] Son génie, sans doute, qui le retenait invinciblement dans la carrière où il devait s’illustrer ; sa passion pour la gloire, qui venait de lui faire goûter ses premières faveurs ; le scrupule, a-t-on dit, qu’il se faisait de laisser là de pauvres comédiens amenés de loin, qui s’étaient fiés à son sort, dont le leur semblait entièrement dépendre ; peut-être aussi d’autres motifs moins nobles, tels que l’empire de certaines liaisons, et un peu de goût pour cette existence errante et agitée, mêlée de loisir et de travail, de plaisir et de peine, d’abondance et de détresse, qui, malgré son asservissement réel, offre à la folle jeunesse la séduisante image de l’indépendance. […] Molière, sérieux, grave, réglé dans ses actions et dans ses discours, blâmait dans Chapelle cette excessive facilité qui le livrait à tous les oisifs, à tous les indifférents que divertissait son entretien plein de saillies folles et piquantes ; il le grondait surtout de ces Orgies continuelles, où s’évaporaient et quelquefois s’éteignaient les brillantés qualités d’un esprit original. […] Elle a pour unique autorité le périlleux témoignage de Grimarest73 mais elle n’a rien d’invraisemblable, et la vérité des caractères y est bien observée, puisque Chapelle y agit comme un fou, et que Molière s y conduit comme un sage.

138. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

A-t-on inventé rien de plus tragiquement comique que la scène de Pourceaugnac déclaré fou par les médecins ? Il mange bien, c’est un symptôme ; il dort mieux, plus de doute ; il remue, son cas est sûr ; il demeure immobile, le cas est grave ; il crache, allons, décidément cet homme est fou ! […] dis-je, ce poète suprême… — Oui, dit le diable, c’est lui-même, Et ceux qu’on voit autour de lui Sont les Turlupins d’aujourd’hui, Que ce comédien folâtre A loué dessus son théâtre : Et quoi que ce fou, leur ami, Les faquine en diable et demi, Ces marquis de haut apanage Lui viennent encore rendre hommage. […] Entre ces deux années se place le procès en diffamation que le malheureux Molière intenta à l’auteur46, qui s’en venge dans sa deuxième édition en disant : « Ce serait peu que vous vissiez le portrait du sieur Molière dans cette pièce, si vous n’appreniez en même temps ce qu’il a fait pour la supprimer, puisque cela a donné lieu à l’auteur d’en faire une seconde qui est capable de le faire devenir fou, dès qu’elle aura vu le jour… » La première édition était ornée d’une estampe gravée par L. 

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D’accord ; mais tout le monde est fou sur le même ton. […] Ce poète basque, autrement dit Le Bachelier André, Dominique, Jouanchaye, est un fou, qui arrive de la Biscaye (vous voyez la rime) avec son valet Bidache, son élève Godenèche, et treize pièces de théâtre en manuscrit, destinées aux Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne. […] Moi qui l’ai fait régner dès longtemps dans mon âme Sa qualité, son bien, ses serments et ses pleurs, Son langage flatteur et ses feintes douleurs, Ma jeunesse crédule et mon âme trop tendre, Ma folle vanité trop aisée à surprendre, Enfin tout ce que peut d’ennemis assembler La rigueur d’un destin qui voulait m’accabler, Favorisa si bien les efforts de ce traître, Que je ne puis l’haïr, quelqu’ingrat qu’il puisse être, Qu’il obtînt… mais, hélas !

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