Personne n’ose le dire ; mais, en vérité, tout le monde a l’air de trouver juste, naturel et bon que la science ait ces étranges qualités ; et lorsqu’un Allemand comme William Schlegel, juge Molière de la manière que l’on sait, nos Français l’excusent, par cette raison qu’il est allemand : politesse qui fait honneur à leur bon cœur, mais non pas à leur façon d’envisager la critique. […] À les en croire, l’homme trouble l’harmonie de l’univers, plus qu’il n’en fait partie ; il a sur ses actions, ses passions, ses œuvres un pouvoir absolu, et ses déterminations ne relèvent que de son arbitre ; la Nature, de son côté, est sans lois ; non seulement l’homme lui échappe, mais elle peut, en quelque façon, s’échapper à elle-même ; les accidents historiques ne sont pas des phénomènes naturels, et les phénomènes naturels ne sont point des faits nécessaires. […] Avant d’avoir dit sur Molière les sottises si excusables que nous te pardonnons, tu avais « morigéné Euripide à la façon d’un maître d’école », Euripide, qui dans ses tragédies n’a montré un laisser-aller plus humain, que parce qu’il connaissait les Athéniens mieux que toi, et parce que ce ton qu’il prenait était précisément celui qui convenait à son époque ; Euripide, que Socrate nommait son ami, qu’Aristote appelait le plus tragique des poètes, que Ménandre admirait, que Sophocle et la ville d’Athènes pleurèrent en vêtements de deuil.
Ce même effet a été reproduit d’une autre façon dans la scène xvii du Cocu imaginaire. […] « Je vous dirai pourtant que mes intentions sont de ne point prendre de vos corrections ; que j’ai pour tout conseil ma fantaisie à suivre, et me trouve fort bien de ma façon de vivre. […] Dorimène, du Mariage forcé, présente une variété de ces caractères mal conformés originellement qui appartiennent aux monstruosités morales dont Molière va bientôt nous entretenir d’une façon magistrale dans Don Juan. […] Lorsque ces travers d’esprit tirent leur source de sentiments respectables, mais qui ont été exagérés et pervertis, soit par leur tendance naturelle, soit par la mauvaise direction que l’éducation leur a imprimée, soit par l’exemple, soit par les lectures qui les exaltent, ces travers enfantent les fanatismes si variés auxquels est sujette l’humanité, et dont un d’entre eux a été exposé d’une façon si remarquable par Cervantès dans Don Quichotte.
De la façon pourtant qu’il s’en est acquitté, Je le tiens en cela très expérimenté : Je crois que de sa vie il n’a fait autre chose ; Et nonobstant les maux que telle action cause, Tout pauvre que je suis, je lui donnerois bien, Pour souffleter ainsi, la moitié de mon bien.
Tout ce qu’il vous débite en grimaces abonde ; A force de façons, il assomme le monde ; Sans cesse il a, tout bas, pour rompre l’entretien, Un secret à vous dire, & ce secret n’est rien ; De la moindre vétille il fait une merveille, Et, jusques au bon jour, il dit tout à l’oreille.