Nous avons vu que son grand procédé, sa grande faculté, c’est l’observation, l’observation dépouillée de tous les accessoires que recherchent ordinairement les auteurs dramatiques. […] Je ne crois pas en effet que, dans notre langue au moins, aucun écrivain dramatique ait su se plier au personnage et s’assimiler sa manière de parler, comme Molière ; et cela est d’autant plus remarquable, que, considéré en lui-même, Molière a un style très personnel, rempli de défauts et de défaillances. […] En 1662, au début même de sa véritable carrière dramatique, il arriva à Molière un événement qui devait jouer un grand rôle et exercer une grande influence, non seulement dans sa vie privée et particulière, mais encore clans sa vie de poète ; il prit femme, et dans les conditions les plus inattendues de sa part. […] Celles-ci, par exemple, qu’on pourrait intituler : « De la prédominance, chez Molière, de l’étude morale et dramatique des caractères sur l’invention scénique, la technique théâtrale » (première conférence). – « De la puissance de Molière à donner aux caractères qu’il met en scène une valeur typique » (deuxième conférence). – « De l’action historique du génie de Molière ; de certaines transformations heureuses dans l’esprit et l’état de la famille, dans les mœurs, dans les relations de l’état social, auxquelles, pour une part, le théâtre de Molière a contribué » (quatrième conférence). – « Des causes personnelles et diverses de l’animosité qu’il a déployée dans sa guerre à la médecine et aux médecins » (troisième conférence), etc.
Mais comme c’est une vérité de l’art littéraire ou poétique observée par Voltaire, que ce qui fait rire au théâtre, ce sont les méprises des personnages, et que c’est une autre vérité recueillie par l’observation, que la méprise la plus risible et la plus ridicule consiste essentiellement dans la prétention manquée, il faut avoir plus d’esprit qu’il ne m’en appartient, pour reconnaître que Molière, ce grand maître de l’art dramatique, cet observateur profond, n’a exprimé ou sous-entendu ces vérités dans la préface des Précieuses que pour masquer un gros et plat mensonge sur ses intentions relativement à l’hôtel de Rambouillet.
Toutes les écoles dramatiques de Leipzig et de Hambourg mirent toujours Molière au premier rang, comme le modèle qu’il fallait atteindre. […] « N’est-il pas étrange, disait le critique Geoffroy, qu’un Italien ait rendu le premier cet hommage dramatique à notre Molière ? […] On serait tenté de croire qu’il y eut en même temps à Paris deux Mareschal, tous deux avocats en parlement, tous deux poètes dramatiques, l’un Antoine, l’autre André ; mais c’est peu probable. […] Il conservait l’ambition d’embrasser tout le domaine dramatique ; il se sentait bien capable des créations les plus élevées, et il était préoccupé de voir trop restreindre son rôle et spécialiser son génie. […] À plus forte raison, si l’on suppose un complot tramé pour dissimuler la véritable naissance d’Armande et abuser les Poquelin, sera-t-on dans l’impossibilité d’admettre l’épisode dramatique raconté par Grimarest.
Les auteurs dramatiques, en général, et Molière en particulier, ont fait agir et parler un grand nombre de femmes douées de qualités et de défauts divers.