C’est la meilleure de celles qu’a aimées Molière ; c’est le refuge de ses péchés et de ses peines ; si douce et si paisible, qu’à son âge, elle joue Agnès au naturel et qu’à soixante ans, quand elle voudra cesser de le jouer, le public refusera d’y entendre la du Croisy et ira lui-même, à grands cris, chercher la de Brie pour lui rendre la vraie Agnès. […] Mais ce n’est point pour longtemps ; et il révèle à l’ingénue épouvantée que toutes ces choses qu’elle raconte, si plaisantes et si douces, sont des péchés, et des plus gros ; et qu’il entend, si le blondin se représente, qu’elle lui jette la porte au nez et, s’il heurte, un grès par la fenêtre ; et la pauvre petite a beau objecter : Las ! […] Elle raconte tout : le plaisir qu’elle avait de ses compliments et de ses caresses ; elle en est ravie comme d’une découverte ; persuadée d’ailleurs qu’une chose si douce ne saurait être condamnable. […] Au contraire, pensez-vous qu’élever une femme, ce soit la préparer à la vie, l’armer contre les risques sans nombre qu’elle y court, la fortifier contre d’inévitables douleurs, et, en même temps, la rendre capable d’apprécier les choses douces, sereines et profondes, qui, à cette vie si tourmentée, donnent cependant un si haut prix ?
Ce fut au milieu de toutes les scènes héroïques et galantes de L’Île enchantée, où le jeune roi paraissait lui-même sous l’armure de Roger, et s’abreuvait à longs traits des doux poisons de la flatterie et de la volupté, que le poète sollicita la permission de faire représenter les trois premiers actes d’une comédie qui n’était pas encore achevée, mais dont il désirait soumettre l’essai au jugement et à l’approbation du prince. […] Je ne quitterai point mes douces habitudes, mais j’aurai raison de me cacher, et me divertirai à petit bruit. […] Il ne suffit pas à l’implacable dévot d’appeler sur Molière la colère du pouvoir et la vengeance du ciel ; il cite avec complaisance d’anciens supplices et semble les trouver encore trop doux ; il parle de cet auteur comique que Théodose avait condamné aux bêtes féroces. […] Le personnage de Cléante est là pour soutenir l’honneur de la vraie religion, et ce n’est pas seulement dans une poésie admirable qu’il en trace les devoirs et qu’il en fait ressortir les principes consolateurs, c’est par des actions qu’il montre la différence d’une superstition aveugle et cruelle à une piété douce et éclairée.
Il m’a rendu le faux si doux, et si aimable, Que sans m’en aviser, j’ai vu le véritable, Ruiné de crédit, et ai cru constamment, N’y avoir plus d’honneur qu’à mentir vaillamment. […] Un jaloux charmé d’un objet Ravissant et de belle taille, Veut l’épouser vaille que vaille ; Ou du moins il promet cela, Aux parents de cet objet-là ; Mais connaissant que sa maîtresse, Est plus coquette que tigresse, Redoutant comme un grand méchef, Le fatal panache du chef, S’étant dégagé vers le père, Il arrive enfin que le frère, Qui paraît doux comme un mouton, Le contraint à coups de bâton, De conclure le mariage : Ce qu’il fait : dont son âme enrage. […] La pièce dont je parle ici, Laquelle a fort bien réussi, Est un sujet noble et splendide, Et c’est La Princesse d’Élide, Qu’elle se nomme proprement, Vous assurant avec serment, Que l’actrice au joli visage*, Qui joue icelui personnage, Le représente au gré de tous, D’un air si charmant et si doux Que la feue aimable Baronne, Actrice si belle et si bonne, Et qui plaisait tant à nos yeux, Jadis ne l’aurait pas fait mieux. […] …………………………………………………………… Certes tous les grands et les grandes, Dont les oreilles sont friandes, De doux et de justes accords, Doivent voir ces trois petits corps, Et leur épinette enchantée, Digne d’être à jamais vantée. […] D’abord il montra beaucoup d’aigreur, et même de licence ; mais dans la suite il mit beaucoup de modération et moins de fiel : la première manière, en se rapprochant du mauvais comique reçu avant lui, servait moins au but qu’il s’était proposé ; au lieu que la seconde, plus douce et plus insinuante, était plus propre à la correction des mœurs, et remplissait mieux son intention.
Plein d’un tendre amour pour son petit champ, je me représente le doux vieillard assis pendant les feux du jour, à l’ombre ; il écoute « le murmure d’un ruisseau », regarde passer « un laboureur inquiet pour ses moissons, un berger conduisant son troupeau, une nourrice attendrie pour son petit enfant ». Le soleil couché, il se promène à petits pas, sans regarder l’or et la pourpre du ciel éblouissant, cherchant « une lumière douce pour soulager ses faibles yeux ». […] S’il est aisé d’apercevoir dans une grande littérature l’empreinte du siècle et de la race qui l’ont produite ; s’il est aisé d’entendre la guerre civile s’entrechoquer dans les vers heurtés de Dante, et de contempler dans la douce figure de Béatrix la personnification, de toutes les choses rêvées par cette époque ardente, et mystique de poètes théologiens ; s’il est aisé de suivre dans le théâtre de Voltaire les préoccupations philosophiques du dix-huitième siècle, et de voir dans le Faust de Goethe l’expression du génie métaphysique et profond de l’Allemagne ; croit-on qu’il soit beaucoup plus difficile de découvrir la cause naturelle d’où procèdent les prodiges apparents, les études calmes d’un Bernardin de Saint-Pierre en 1789, les tragédies attiques d’un Goethe à Weimar ? […] Jean-Paul était un gros homme à la face pleine et douce, « bon diable et le plus excellent cœur du monde402 », qualem non candidiorem terra tulit 403, qui, pour composer ses ouvrages, s’enfonçait dans la campagne avec son chien, les poches munies de deux bouteilles de vin rouge. […] Voilà ce que j’aurais la force de faire, et j’invite les Allemands qui lisent Molière ou qui en parlent, surtout ceux qui en parlent, à descendre à leur tour des régions crépusculaires de l’infini, pour entrer avec moi non dans un pays de plate prose, comme ils le disent sans politesse, mais dans un pays d’ordre et de lumière, aux perspectives bien ménagées, aux formes bien proportionnées, aux lignes nettes et douces, dans le pays du style et de l’esprit français.