Les faux dévots profitérent de cette défense, pour soulever Paris & la cour contre la piéce & contre l’auteur. Moliere ne fut pas seulement en butte aux Tartuffes, il avoit encore pour ennemis beaucoup d’Orgons, gens simples & faciles à séduire ; les vrays dévots étoient même alarmés, quoique l’ouvrage ne fût guéres connu33 ni des uns ni des autres. […] Dès qu’elle eut été connuë, les vrays dévots furent désabusés, les hypocrites confondus, & le poëte justifié ; on trouva dans le caractére & dans les discours du vertueux Cléante, des armes pour combattre les raisonnemens faux & spécieux de l’hypocrisie.
Pour le faux dévot, on n’en rit pas un moment ; Molière en a peur, il en a horreur du moins. […] Le faux dévot a toute la perversité des autres hommes, plus la sienne. […] Tout ce que Cléante dit du faux dévot, Alceste des méchants, Chrysale du bel esprit, Célimène, qui a son bon côté, des sots qui lui font la cour ; tout ce qui sent la haine des méchants, le mépris des gens à la fois malhonnêtes et ridicules, l’amour du bien, du naturel, du vrai ; tout ce qui est, soit une maxime de devoir, soit un conseil de bienveillance, tout cela est sorti du cœur de Molière ; et tel est, sous ce convenu de l’art des vers, le tour naïf, la facilité, le feu, l’entraînement de ce langage, qu’il semble entendre Molière lui-même, et qu’au plaisir de voir des personnages peints au vrai, se joint je ne sais quelle affection tendre pour celai qui les a créés.
Chez nos dévots aïeux le théâtre abhorré Fut long-temps dans la France un plaisir ignoré.
« ils suscitèrent contre lui les dévots » : cette phrase ne figure pas dans l’édition de 1855.