En un mot, Molière fut-il, à son entrée dans la vie, le jeune amant de Madeleine Béjart ? […] Les jours les plus mauvais pour la fortune ont souvent de bonnes heures pour l’amant, lorsque, s’oubliant lui-même, il transforme, en dévouement pour celle qu’il aime, tous les sentiments qu’il éprouve. […] Les déconvenues d’ambition que vient de subir son amant, lui ont rendu des espérances dont elle veut profiter. […] Par malheur, elle n’est plus guère d’âge à espérer des amants jaloux. […] Celle-ci pouvait plaire à l’humeur un peu guindée et apprêtée de Racine, qui fut plus tard son amant ; mais mademoiselle De Brie, avec ses manières indulgentes, devait paraître bien plus aimable à Molière ; en effet, il l’aima longtemps.
Qu’une comédienne rende à un grand seigneur les devoirs qui lui sont dus, il n’y a point de miséricorde, c’est son amant. […] Le roi s’étant proposé de donner un divertissement à sa cour au mois de février de l’année 1670, Molière eut ordre d’y travailler : il fit les Amants magnifiques, qui firent beaucoup de plaisir au courtisan, qui est toujours touché par ces sortes de spectacles. […] La cour se plaisait aux spectacles, aux beaux sentiments, de la Princesse d’Elide, des Amants magnifiques, de Psyché, et ne dédaignait pas de rire à Scapin, au Mariage forcé, à la Comtesse d’Escarbagnas. […] On dit qu’elle était très laide et un peu coquette ; c’est ce qui lui attira le quatrain suivant : Si n’ayant qu’un amant on peut passer pour sage, Elle est assez femme de bien ; Mais elle en aurait davantage, Si l’on voulait l’aimer pour rien. […] La querelle de ces deux poètes vint donc de ce que Molière s’était ingéré de faire des vers pour le ballet des Amants magnifiques.
Soupirez librement pour un amant fidèle, Et bravez ceux qui voudront vous blâmer ; Un cœur tendre est aimable, et le nom de cruelle N’est pas un nom à se faire estimer. […] C’est le cœur de la question ; Bossuet s’y jette avec sa lumière et sa force terrible : « Apparemment, dit-il, le théologien ne songe pas aux crimes des comédiennes et de leurs amants, ni au précepte du sage, où il est prescrit d’éviter les femmes dont la parure porte à la licence, ornatu meretricio, qui enlèvent les cœurs des jeunes gens, qui les engagent par les douceurs de leurs lèvres, par leurs entretiens, par leurs chants, par leurs récits. […] Molière a oublié deux choses de grande conséquence : la première, que son Misanthrope n’est pas un vieux comédien, professeur émérite de mœurs galantes ; la seconde, que ce misanthrope, tel qu’il l’a dépeint, n’a pas mérité d’être et ne saurait devenir l’un des amants et l’un des jouets de Mlle Molière. […] Quel mari sera ce bourru, déjà si difficile et si impérieux amant ?
Non sans doute : aussi le spectateur la plaint-il de la voir aussi malheureuse en amant qu’en mere.