Plumes terribles, semblables aux balistes et aux catapultes du moyen âge, on les peut haïr pour le mal qu’elles ont fait, on les doit admirer pour leur habileté, pour leur génie et leur fureur. […] On admire beaucoup certains duos de la musique de Rossini, où l’un chante pendant que l’autre pleure, où celui-ci accompagne l’orchestre avec sa voix, pendant que l’orchestre déclame l’air que le chanteur devrait chanter ; mais combien cela n’est-il pas plus difficile de transposer ainsi, de Don Quichotte à Sancho, de Don Juan à Sganarelle, du maître au valet, du fait à l’idée, les plus excellentes qualités de la comédie, à savoir le rire et la leçon ? […] Toujours est-il qu’on ne rit pas à cette comédie de Don Juan ; en vain l’esprit, l’ironie, la licence et le bon sens se heurtent et s’entrechoquent, à chaque scène, pour arriver à la plaisanterie et au bon mot… nous admirons, comme au premier jour, cette verve entraînante, mais toute cette verve nous laisse froids et impassibles. […] Ce Don Juan est une œuvre à mille faces ; on le peut admirer à outrance, on le peut critiquer sans pitié, et même on ne voit pas à quel point l’on pourrait soutenir, sans quelque danger, que cette très sérieuse comédie, établie sur un fond si noir, et dans laquelle se montrent à nu les plus honteuses passions du cœur de l’homme : le vice sans frein, l’ironie sans respect, le doute sans examen, l’athéisme sans motif ; un drame où le héros, qui insulte Dieu, ne sait pas même rendre à son père des respects apparents, soit en effet une comédie irréprochable.
N’admirez-vous pas cette finesse d’esprit ? […] Il sait d’ailleurs que le meilleur moyen de conquérir l’amour des femmes est de déployer celte valeur que leur faiblesse admire. […] On ne se lassera jamais d’admirer le Tartufe, cet honneur impérissable de la scène française. […] Il admirait le bonheur de son fils, et l’utilité du lansquenet.
Mais il est certain qu’en riant je l’estime, je le plains, je l’admire, et que je ne comprends pas ceux qui ont accusé Molière d’avoir là bafoué la vertu, à moins qu’ils n’eussent eux-mêmes pour vertus que les ridicules d’Alceste.
Ce n’est donc pas le Molière que nous aimons et que nous admirons qui a été si cruellement touché par Bossuet : c’est une sorte d’idéal de comédien sans mœurs, sans honneur, sans valeur même littéraire, que Bossuet démêlait dans tout le fatras oublié des contemporains de Molière, et que nous ne voyons plus aujourd’hui.