On ne voulut pas sentir, enfin, que, s’il est des sujets qui gagnent à recevoir les ornements de la versification, il en est d’autres qui doivent y perdre ; que le sujet de L’Avare pouvait bien être de cette dernière espèce, et que probablement le même lançage qui embellit les nobles boutades d’Alceste, ne ferait que gêner, affaiblir, altérer les saillies plus populaires d’Harpagon1.
À la première représentation, après la lecture du Sonnet d’Oronte, le Parterre applaudit : Alceste démontre dans la suite de la Scène, que les pensées et les vers de ce Sonnet étaient De ces colifichets dont le bon-sens murmure. […] Il construit des théâtres provisioires à la cour (Saint-Germain, 1666, 1670, Versailles, 1668), collabore avec Molière (La Princesse d’Élide, 1664, George Dandin, 1668) et surtout avec Lully jusqu’en 1680 (les Fêtes de l’Amour et de Bacchus à Versailles, 1668, puis de l’Académie royale de musique Cadmus et Hermione, 1673, Alceste, 1674, Athys, 1676, Isis, 1677) assurant lui-même aussi des mises en scène (Iphigénie de Racine, le Malade imaginaire de Molière en 1674).
Si vous voulez bien songer que Molière a écrit le rôle du Misanthrope, et vous représenter tout ce que ce rôle suppose de noblesse et de grandeur naïves, si vous voulez voir, par ce rôle d’Alceste, combien la nature avait fait l’âme de Molière grande et cornélienne, combien il était naturellement fait pour sentir toutes les joies et tous les bonheurs d’une vie foncièrement régulière et foncièrement honnête, et si après cela vous songez à Madeleine Béjart et à mademoiselle de Brie, à tout ce mélange affreux, vous conclurez avec moi qu’il a dû bien souvent ressentir le remords, l’hypocondrie de cette dégradation de sa grandeur naturelle ! […] C’est encore Armande qui lui inspire dans le rôle d’Alceste cette peinture de l’amour noble, élevé, et, quant à son objet, fourvoyé, qui ne peut éviter par moments une teinte de ridicule, qui est comme l’empreinte de l’indigne objet auquel il s’attache. […] Pour ne citer que le plus illustre de tous, combien d’outrages n’a-t-il pas subis de son vivant et après sa mort même, tenu à part la société polie pour la profession qu’il avait embrassée pour mieux surprendre les secrets de son art, trompé et torturé dans son affection la plus chère, poursuivi par les rancunes pleines de fiel de ceux dont il démasquait la bassesse, réduit à se faire bouffon, lui, Alceste, pour attirer le public à ses chefs-d’œuvre, arrachant à force de sollicitations et de placets le droit d’être représenté, le droit d’avoir du génie au grand jour, et ne trouvant pour toute récompense, au bout d’une carrière si agitée et si remplie, que des funérailles insultées et « un peu de terre obtenue par prière » !
. — Les jeunes Romains d’autrefois faisaient une esclave, même de leur maîtresse libre ; les jeunes Parisiens du temps de Molière faisaient même de Célimène (la Phédia de Térence) une si grande dame, qu’elle reçoit la meilleure société de la cour, et qu’un gentilhomme qui veut être compté, comme est Alceste, ne rougit pas de mettre aux pieds de cette indigne coquette, sa fortune et son nom. […] Voici le fait : quand le grand et généreux Alceste eut abandonné, à ses passions de chaque jour, cette femme dont il était la gloire et la force, Célimène s’imagina qu’elle n’avait jamais été davantage la souveraine maîtresse de ses actions, de ses amours. […] Avant de mourir, elle écrivit pour demander son pardon au pauvre Alceste, qui la pleura. […] Tartuffe, Alceste, Célimène s’en vont rajeunissant chaque jour ; chaque jour ajoute une ride à la riante comédie de Marivaux.