Et, comme cela s’est toujours vu, comédiens et comédiennes étaient les premiers à médire d’eux-mêmes sur le théâtre et à faire la satire de leurs propres mœurs.
Voyant que son maître l’écoute avec assez d’attention, il s’enhardit, et poursuit en ces termes : « — Je me souviens d’avoir lu dans Homère, en son Traité pour empêcher que les grenouilles ne s’enrhument, que, dans Athènes, un père de famille ayant fait l’acquisition d’un cochon de lait, gentil, d’une agréable physionomie, de mœurs douces, dans sa taille bien pris, conçut tant d’amitié pour le petit cochon, qu’au lieu de le mettre en broche, il donna les plus grands soins à son éducation, et le nourrit avec des biscuits et du macaroni.
Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie… Dirons-nous cependant que Molière pense comme Gorgibus et Chrysale ? […] De même qu’en matière de mœurs, il ne convient pas plus de supprimer les instincts naturels que de les déchaîner, de même en littérature on ne doit ni s’écarter de la nature au point de jouer avec les mots comme Trissotin, ni condamner toute espèce d’art comme Alceste ; et l’œuvre personnelle de Molière, si on l’examinait au point de vue littéraire, me semblerait fournir la démonstration de ce que je viens d’avancer.
Ils allèrent de ville en ville et de châteaux en châteaux, jusqu’aux extrémités du royaume, si mélangé alors de provinces, de mœurs, de langages. […] Pourtant c’était, de mœurs, un homme doux et simple. […] L’archevêque Harlay de Champvallon, homme de mœurs perdues, excommunia Molière, dans un mandement fait exprès, et quiconque lirait, entendrait lire ou verrait jouer Tartuffe. […] N’imaginons pas davantage que son intention ait été de faire de ses pièces, à proprement parler, des mémoires; il ne voulait que faire des comédies ; mais qui dit comédie, dit vérité, et pour les rendre plus vraies, il puisait dans sa vie, dans celle de ses amis, chez tout le monde : Lagrange, là-dessus, ne nous laisse aucun doute: « Molière, dit-il, observait les manières et les mœurs de tout le monde, et il trouvait ensuite le moyen d’en faire des applications admirables dans ses comédies, où l’on peut dire qu’il a joué tout le monde, puisqu’il s’y est joué le premier, en plusieurs endroits, sur les affaires de sa famille, et qui regardaient ce qui se passait dans son domestique ; c’est ce que ses plus particuliers amis ont remarqué bien des fois. »Ainsi, même pour Alceste, il ne lui avait pas suffi de sa passion, de ses chagrins, de sa propre maison, il avait pris jusque chez Boileau. […] Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie.
Quelle force comique ne faut-il pas qu’il y ait dans ces œuvres pour qu’à deux cents ans de distance, chez un peuple dont les mœurs diffèrent si profondément des nôtres, elles éveillent encore de tels accès de gaieté ! […] La province était alors infiniment variée d aspects, de costumes, de types et de mœurs. […] Molière s’attaque aux tyrannies domestiques, aux moyens de contrainte, à certaine rudesse et grossièreté des mœurs qui restait des guerres civiles. […] Tout témoigne, chez ce noble aventurier, une extrême facilité de mœurs. […] Enfermer les femmes ne se comprend plus guère et n’est plus du tout dans nos mœurs.
Niccolo Barbieri dit simplement à ce sujet : « Ces fictions ne peuvent corrompre l’âme des comédiennes, puisque c’est l’usage de l’art. » À une époque plus rapprochée de nous, le marquis d’Argens, remarquant aussi le contraste existant entre la liberté presque illimitée de la scène italienne et les mœurs souvent correctes des actrices de cette nation, l’expliquait par la considération même dont les comédiennes jouissent en Italie.
Je veux croire qu’il y a grand plaisir à pousser des soupirs amoureux auprès d’une tombe fraîchement faite, & galamment couverte d’un tendre feuillage ; mais jusqu’ici nos belles dames n’ont pas mis cette galanterie à la mode, & un Auteur ne doit pas brusquer ainsi les mœurs & les coutumes de sa nation, pour présenter un spectacle très désagréable.
Ariste, le héros de cette comédie, lui ressemble beaucoup : c’est un misérable, sans mœurs, sans délicatesse, sans probité, qui se fait un jeu de nier les dépôts, qui paie ses dettes en jurant qu’il ne doit rien, qui veut séduire toutes les femmes.
Vous savez, Madame, qu’une comédie angloise fort irréguliere (comme le sont la plupart des drames d’une nation d’ailleurs si riche) m’a fourni les caracteres que j’ai peints, & qui sont presque étrangers à nos mœurs ».
La scène deuxième du troisième acte, où Crispin contrefait le gentilhomme campagnard, et la sixième, où il se déguise en veuve du Maine ; la sixième du quatrième acte, où il dicte le testament ; et la sixième du cinquième acte, où l’on fait accroire à Géronte que c’est lui qui a fait le testament, sont d’un comique admirable, mais par trop contre les mœurs.
Et, tout bas, on se dit par où ces personnages se ressemblent, par où ils diffèrent : on improvise pour soi deux petites études de mœurs, et on les compare.
Ces gracieuses conceptions, purement artistiques, sont trop loin de la réalité pour avoir une influence sur les mœurs réelles : elles ne vivent que dans le domaine de l’imagination, comme les gentilles princesses de la Princesse d’Elide 403 et des Amants magnifiques 404, les bergères de Mélicerte 405, les fées et les nymphes de File enchantée 406, ou les déesses qui entourent la fantastique et ravissante Psyché 407.
La Bruiere, Caracteres de Theophraste & des mœurs de ce siecle.
On ne peut nier que Moliere n’ait imité en homme d’esprit les deux Satyriques, puisqu’en lisant la scene comique nous y reconnoissons les mœurs du siecle pour lequel elle fut faite ; & qu’aucun vernis d’ancienneté, aucun air étranger ne fait soupçonner son origine à ceux qui ne la connoissent point.
« Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants579 ; » « Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, Et régler la dépense avec.économie Doit être son étude et sa philosophie580. » XXVIII.
Lorsqu’il a été manié par des acteurs de quelque génie, il a fait les délices des plus grands rois et des gens du meilleur goût ; c’est un caméléon qui prend toutes les couleurs. » Arlequin, s’il n’était jadis naïf qu’à demi, devient alors tout à fait scélérat : « Arrogant dans la bonne fortune, dit M Jules Guillemot 48 , traître et rusé dans la mauvaise ; criant et pleurant à l’heure de la menace et du péril, en un mot Scapin doublé de Panurge, c’est le type du fourbe impudent, qui se sauve par son exagération même, et dont le cynisme plein de verve nous amuse précisément parce qu’il passe la mesure du possible pour tomber dans le domaine de la fantaisie. » Arlequin, avec ses nouvelles mœurs, court fréquemment le risque d’être pendu ; il n’y échappe qu’à force de lazzi.
C’était dans cette honnêteté, toute morale, que résidait la grande puissance qui devait ramener un roi dissolu à des mœurs décentes ; car la religion n’agit sur Louis XIV qu’après l’ascendant de la morale, aidée par les charmes de l’esprit et de la raison.
Moliere né avec des mœurs droites, & dont les manieres étoient simples & naturelles, souffroit impatiemment le Courtisan empressé, flateur, médisant, inquiet, incommode, faux ami. […] Moliere, qui aimoit les bonnes mœurs, n’eut pas moins d’attention à former celles de Baron, que s’il eût été son propre fils : il cultiva avec soin les dispositions extraordinaires qu’il avoit pour la déclamation. […] Il reprit la même attention qu’il avoit euë pour lui dans les commencemens : & l’on ne peut s’imaginer avec quel soin il s’appliquoit à le former dans les mœurs, comme dans sa profession. […] Il s’agissoit de la profession du defunt & non point de ses mœurs, dont il n’étoit pas question. […] quelle imitation des mœurs ?
Belton, seul, peint l’amour que sa compagne la jeune Belti a pour lui, les preuves qu’il en a, le bonheur dont il a joui avec elle ; mais Arabelle rétablira sa fortune : il espere que Belti excusera cet hymen quand elle connoîtra les mœurs & les usages du pays qu’elle habite.
Toutes les sciences, depuis les plus abstraites jusqu’aux plus faciles, ont chez nous des Ecoles gratuites & des récompenses ; les arts de pur agrément y sont même accueillis avec la plus grande distinction, couronnés des mains de la fortune : soyons donc justement étonnés d’y voir les Lettres dédaignées : soyons surpris sur-tout que l’art dramatique54, le plus beau sans contredit, le plus difficile, le plus propre à former l’ame & les mœurs des citoyens, & le plus sûr de donner l’immortalité à ses protecteurs, ait été négligé au point de plonger dans le découragement ceux qui l’exercent, & de les soumettre à des démarches avilissantes, si quelque chose au monde pouvoit avilir un homme à talent qui se respecte.
Non content d’opposer aux habitudes des femmes du temps les mœurs trop simples des femmes du bon vieux temps 310 ; non content de mettre en action les ridicules d’une académie précieuse pendant un acte entier qu’ils remplissent uniquement311, Molière voulut faire briller l’exemple à côté de la critique, et exprimer ce que doit être la femme du monde dans une société polie.
Les comédies n’étaient alors que des tissus d’aventures singulières, où l’on n’avait guère songé à peindre les mœurs. […] Molière peut avoir contribué à leur ôter leur pédanterie ; mais les mœurs du siècle, qui ont changé en tout, y ont contribué davantage.
Je vais plus loin : ne pourrions-nous pas souhaiter qu’un Auteur adroit, en s’emparant des beautés de Moliere & de celles de Moreto, remaniât le même fond plus heureusement que Coypel & Marivaux, & le rendît tout-à-fait propre à nos mœurs ?
On dira que ces peintures-là ne produisent pas un grand effet sur les mœurs : en de tels sujets, le jugement du spectateur, comme celui de l’auteur, est fixé d’avance, et l’un et l’autre ont naturellement un sens du bien et du mal, qui décide leur préférence et leur mépris.
Aujourd’hui, la censure ne s’occupe guère des livres que pour réprimer quelques paroles trop hardies contre le gouvernement ou les mœurs..
La triste erreur des littérateurs bohèmes, et quelques-uns ont eu assez de talent et de douleurs pour mériter cette mention, consiste à s’imaginer qu’ils deviendront de grands hommes parce qu’ils imitent les écarts de mœurs de quelques grands hommes.
Je suis fâché, luy dis-je, que vous ayez presque quitté vos anciennes Pieces, elles étoient du goût de toutes les personnes de bon sens, on y trouvoit plusieurs choses utiles pour les Mœurs, & votre Theatre étoit un lieu où j’ose dire qu’en y voyant le ridicule du vice, on se sentoit porté même par la seule raison à prendre le parti de la vertu.
Il est affreux qu’un Auteur s’expose à se faire dire en pleine assemblée par un Comédien : Monsieur, votre Piece peche contre les mœurs, je n’y jouerai point.
Il faut bien reconnaître qu’en fait de morale effective, qui ne soit point une théorie éphémère acceptée par quelques esprits distingué, mais une règle des mœurs fixe et universelle il n’y a que deux morales : l’une est celle de la religion, qui impose, au nom d’une révélation divine, des préceptes formels, dont l’observation ou la violation entraîne des peines ou des récompenses positivement promises ; l’autre, qui au fond donne les mêmes préceptes, est la morale naturelle, que nous trouvons dans notre nature même, c’est-à-dire dans la constitution de notre être, dans nos instincts, nos désirs et nos passions, dans notre conscience.
Molière a donc cette fois la véritable initiative, il aborde la critique des mœurs contemporaines, il y exerce son propre esprit d’observation, il est lui-même et doit fort peu aux autres.