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122. (1886) Molière, l’homme et le comédien (Revue des deux mondes) pp. 796-834

L’auteur de la Comtesse Romani s’est amusé à incarner, dans un type très vrai, Filippopoli, ce genre d’aberration, capable de fausser le meilleur talent. […] On peut donc croire qu’en traçant les règles d’une nouvelle diction tragique, Molière, comme il arrive d’habitude aux comédiens, faisait la théorie de son talent et proposait comme modèle les qualités qu’il avait ou croyait avoir. […] On devine bien, par l’Impromptu de Versailles, qu’il avait un grand talent d’imitation ; il le poussait très loin, puisque, pour contrefaire le gros Montfleury, « il soufflait, il écumait, il avait trouvé le secret de rendre son visage bouffi. » Mais il ne dédaignait pas jusqu’à ce comique de pantomime et de cirque, qui consiste tout entier en grimaces, contorsions et cris bizarres ; on peut en juger par ces quelques scènes de la Princesse d’Élide, où l’imitation de l’écho, la scène de l’ours, la leçon de chant représentent le plus haut degré de la bouffonnerie sur le théâtre.

123. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent Dans cette suite d’études sur Molière, ou dont Molière est le prétexte, je trouve, à cinq ans, à dix ans, à quinze ans de distance l’un de l’autre, trois chapitres à propos de Don Juan ; — c’est en vain que je me donne à moi-même d’excellentes et irrésistibles raisons pour ne pas publier, tout à la fois, ces trois chapitres, il s’élève dans mon esprit et dans ma passion littéraire plusieurs bons motifs qui me poussent à reproduire, en leur ensemble, ces trois chapitres, écrits à des époques si diverses, et parmi des événements si différents. […] Le public qui sait lire et qui aime les choses bien faites, s’inquiète assez peu de l’opinion que professe un journal, il s’inquiète, avant tout, du talent qu’on y déploie ; il prend son plaisir aux saines paroles, aux passages éloquents, aux gaietés, aux colères, à l’accent de l’écrivain ; ainsi le journal est bien plus, chez nous, le besoin des esprits que l’intermédiaire obligé de toutes sortes d’affaires dont Paris s’inquiète assez peu, et dont la province ne s’inquiète pas le moins du monde. […] On se lasse de tout en ce bas monde : l’homme se lasse du pain frais, le savant de l’étude, l’enfant de la bouillie ; le roi même se lasse de son trône : il n’y a que l’Argent qui nous trouve insatiables. — Tu possèdes treize talents, tu en veux seize ! […] un homme de talent viendrait aujourd’hui qui arrangerait, de bonne sorte, les divertissements du Bourgeois gentilhomme ; il apporterait plus de grâce dans la danse, plus de variété dans le chant ; il trouverait une cérémonie un peu moins grotesque, un Mupti plus gai, même il pousserait l’audace jusqu’à nous délivrer du baragouin : Se ti sabir Ti respondir ! […] Vous verrez par la comparaison de ces compositions anglaise et française que le sens commun ne peut être suppléé ni par le talent, ni par l’invention.

124. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

M. de Fénelon dit encore (nous voulons tout citer, ne fût-ce que pour contrebalancer quelque peu notre admiration profonde pour le génie et le talent de Molière) : — « En pensant bien, il parle mal. […] À lui seul, Molière accomplissait le travail de ces sept hommes, et il l’a accompli, toute sa vie, pendant que, chez nous, les sept hommes en question, en leur supposant tout le zèle et tout le talent imaginables, n’en peuvent plus, et demandent grâce au bout de dix ans de ce rude métier. […] Certes elle ne songea pas à prolonger, comme si elle eût été un talent inspiré, cette lutte abominable du comédien contre le public. […] Restons, chacun dans notre naturel, ne forçons point notre talent. […] Les gens qui se vantent d’écrire sans peine, et qui se félicitent de ce style naturel, ne voient pas qu’il n’y a guère de quoi se vanter, comme on dit, et que ce beau style si peu coûteux, leur arrive de ce qu’ils ignorent absolument les rares et difficiles conditions de l’art et du talent ; ils sont naturellement et très naturellement absurdes, vulgaires, plats, ennuyeux et ennuyés.

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