Enfin le sorcier, poussé à bout, avoue que son pouvoir commence à tomber depuis qu’il est vieux et qu’il perd ses dents; qu’autrefois il lui aurait été facile de faire ce qu’on lui demandait, quoiqu’il n’eût jamais envoyé son démon plus loin que Stockholm. […] Mais pour la ridicule Araminte, il la met en œuvre pendant toute la pièce, avec d’autant plus de succès, que personne ne la plaint, et qu’étant fort loin de la douceur et de la modestie d’Isabelle, elle pousse jusqu’au dernier excès les extravagances de son désespoir amoureux, et met, à force de persécutions, le pauvre provincial absolument hors de toute mesure.
L’homme accompli, tel que le voudrait Molière, évite avec soin l’exagération, le ridicule dont parle Cléante quand il dit: Les hommes, la plupart, sont étrangement faite ; Dans la juste nature on ne les voit jamais : La raison a pour eux des bornes trop petites ; En chaque caractère ils passent les limites, Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent Pour la. vouloir outrer et pousser, trop avant. […] La France a poussé à l’extrême quelques-unes des vertus et des qualités sociales, mais non sans cultiver aussi, et avec un succès trop réel, des vices correspondants.
Telle est la cause qui pousse Don Juan à secourir Don Carlos alors que celui-ci est attaqué par des brigands. […] « Vous voyez ce que peut une indigne tendresse, et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse ; mais, à vous dire vrai, ce n’est pas encor tout et vous allez me voir la pousser jusqu’au bout ; montrer que c’est à tort que sages on nous nomme et que dans tous les cœurs il est toujours de l’homme. » Ce quelque chose qui est toujours de l’homme, ce sont ses passions avec leurs différents effets, effets que Molière a si bien détaillés et qui peuvent se résumer ainsi : Tantôt ces éléments instinctifs irrationnels de notre esprit ne paralysant pas les instincts moraux, éléments de la raison, l’homme reste éclairé par ceux-ci à l’égard des premiers, et, appréciant leur nature, il peut les combattre, s’il le veut, au moyen de son énergie morale. […] LE MÉDECIN MALGRÉ LUI Après la querelle de ménage où Martine, surexcitée par les menaces de son ivrogne de mari, se laisse aller à l’injurier, ce qui lui attire une volée de coups, arrive la scène dans laquelle un étranger, poussé par l’indignation que lui cause cet acte de brutalité, s’interpose charitablement entre eux. […] L’exagération l’entraîne alors au-delà des bornes de la raison, le fanatise, ce qui est si bien exprimé en ces termes par Cléante : « Les hommes, la plupart, sont étrangement faits ; dans la juste nature on ne les voit jamais ; la raison a pour eux des bornes trop petites, en chaque caractère ils passent ses limites, et la plus noble chose ils la gâtent souvent pour la vouloir outrer et pousser trop avant. » Que d’applications de cette vérité ne pourrait-on pas faire de nos jours en voyant les excès auxquels sont poussés tant d’impatients exaltés, tant de fanatiques de toute couleur, tant d’intransigeants de toute nuance ! […] Un autre aliéné, qui lisait les journaux et qui, sous l’empire des passions orgueilleuses, se donnait le nom ambitieux de prince Paul-Émile, affirmait qu’il n’était pas assez sot pour prendre au sérieux ce qu’il lisait et ce qu’il voyait, que tout le bruit qu’il entendait était produit par des imbéciles qui tiraient le canon pour le pousser à bout, et qu’on avait réduit le régime alimentaire de la maison pour le faire crever de faim.