Pour que le reproche fait à Molière par Rousseau fût fondé, il faudrait que l’homme exempt de vices fût indispensablement un censeur outré et amer des vices d’autrui. […] L’un est trop différent de l’autre pour qu’on puisse s’y méprendre et les confondre jamais.
Ils étoient amis & se connoissoient assez pour que l’on puisse s’en raporter au temoignage d’un homme qui doit autant sa reputation à sa sincerité qu’à la justesse de ses jugemens. […] Son affiche, qui promettoit un prodige de méchanique, & d’obéissance dans une Epinette, lui attira du monde les premieres fois suffisamment pour que tout le Public fût averti que jamais on n’avoit vû une chose aussi étonnante que l’Epinette du Troyen. […] Mais l’âne, qui ne savoit point le rôle par cœur, n’observa point ce moment ; & dès qu’il fut dans la coulisse, il voulut entrer, quelques efforts que Moliere employât pour qu’il n’en fît rien. […] Je prens cette negligence pour du mépris ; je voudrois des marques d’amitié, pour croire que l’on en a pour moi, & que l’on eût plus de justesse dans sa conduite, pour que j’eusse l’esprit tranquille. […] Mais le grand Seigneur avoit les sentimens trop élevez, pour que Moliere dût craindre les suites de son premier mouvement.
On pourroit l’entourer de quelques meres rusées qui lui conseilleroient de se faire des héritiers avec une jeune personne honnête & sans bien, pour qu’elle lui eût obligation de sa fortune, & qui lui vanteroient en même temps les sentiments, l’air réservé & la sagesse de leurs filles.