A mesure qu’il travaille, la sécheresse, l’ingratitude de son sujet font naître mille difficultés, qu’il est besoin de vaincre ou d’écarter l’une après l’autre : de là ces scenes tout-à-fait décousues ou préparées avec effort ; de là ces expositions continuelles ; de là ces pieces monstrueuses, qui, quoique remplies de ces écarts de l’esprit, de ces traits de lumiere qui décelent de grands talents aux yeux des connoisseurs, déplaisent cependant au grand nombre, & se voient sacrifiées, avec quelque justice, à ces drames sans feu, sans imagination, & qui ne doivent tout leur mérite qu’au choix heureux d’un sujet pris dans un roman. […] Pour nous convaincre de cette grande vérité, supposons quelqu’un qui connoisse tout Moliere 6, excepté son Dépit Amoureux ; & mettons sous ses yeux les scenes les plus belles de cette comédie.
S’il marche dans les places, il se sent tout d’un coup rudement frapper à l’estomac ou au visage ; il ne soupçonne point ce que ce peut être, jusqu’à ce qu’ouvrant les yeux & se réveillant, il se trouve ou devant un timon de charrette, ou derriere un long ais de menuiserie que porte un ouvrier sur les épaules. […] Il entre à l’appartement, & passe sous un lustre où sa perruque s’accroche & demeure suspendue : tous les courtisans regardent & rient : Ménalque regarde aussi, & rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux dans toute l’assemblée où est celui qui montre ses oreilles, & à qui il manque une perruque. […] La, en vous répondant si juste, les yeux fort ouverts ; mais il ne s’en sert point, il ne regarde ni vous ni personne, ni rien qui soit au monde. […] Non content d’avoir mis devant nos yeux la lunette dont parle M. […] Ce jour mal condamné me blesse encore l’œil.
Premièrement, elle a les yeux petits. […] » Hélas, ils n’en sont venus à regarder les hommes avec ce regard profond et triste que parce qu’ils ont jeté un œil indulgent et confiant à l’humanité tout entière. […] Il avait les yeux collés sur trois ou quatre personnes de qualité qui marchandaient des dentelles ; il paraissait attentif à leurs discours et il semblait, par le mouvement de ses yeux, qu’il regardait jusqu’au fond de leurs âmes pour y voir ce qu’elles ne disaient pas ; je crois même qu’il avait des tablettes et qu’à la faveur de son manteau, il a écrit, sans être aperçu, ce qu’elles ont dit de plus remarquable. » Est-il possible d’oublier ces yeux collés, ce regard qui va jusqu’au fond des âmes ? […] Sur ce portrait, Molière a dépassé la trentaine ; c’est un homme vigoureux, ardent, levant ses grands yeux inquisiteurs sur les hommes et sur les choses. […] Et c’est ce regard qui confond : de grands yeux enflammés, à prunelles ardentes.