Mais c’est surtout dans les caractères qu’il avait sous les yeux qu’il a trouvé ses personnages. […] Mais dès que par son adresse elle a trouvé le moyen de paraître innocente aux yeux du monde, elle prouve qu’elle n’a point changé. […] Évidemment c’est ailleurs que dans l’enseignement moral que réside le mérite de la pièce. » Et, à ses yeux, ce mérite est exclusivement littéraire. […] Mais ce vice de logique enfanté par la passion n’est pas un motif suffisant pour fermer les yeux devant les abus de l’hypocrisie à forme religieuse. […] pendard, vaurien, fils indigne d’un père comme moi, oses-tu bien paraître devant mes yeux, après le lâche tour que tu m’as joué pendant mon absence ?
Ici, Bourdaloue ne s’aperçoit pas qu’il parle exactement comme Molière : celui-ci, en effet, n’avait-il pas dit : Mais les dévots de cœur sont aisés à connaître ; Notre siècle, mon frère, en expose à nos yeux Qui peuvent nous servir d’exemples glorieux. […] Au contraire, c’est d’ordinaire du côté des sens que l’hypocrisie se démasque ; c’est par là qu’elle ne se contient plus : car c’est le propre du libertinage d’emporter toute prévoyance et de fermer les yeux sur le danger. […] si vous saviez comme elle dogmatise sur la religion, cela vous ferait horreur… Elle trouve que votre frère a la simplicité de la colombe, il semble à sa mère : c’est Mme de Grignan qui a tout le sel de la maison et oui n’est pas si sotte d’être dans cette docilité. » Le chevalier de Sévigné lui-même, malgré sa docilité, était entraîné dans le courant des impiétés de la jeunesse : « Il est dans le bel air par-dessus les yeux ; point de pâques. ». […] Enfin la vocation même d’Elvire fournit à celui-ci un prétexte hypocrite et une excuse railleuse pour justifier sa trahison : « Il m’est venu des scrupules, madame, dit-il, et j’ai ouvert les yeux de l’âme sur ce que je faisais. […] Je ne dis pas que Molière ait eu ce modèle devant les yeux ; mais on ne peut méconnaître quelque analogie.
Il y a des vices de bonne compagnie qui passent, aux yeux indulgents du monde, pour de légers défauts ou même pour des qualités de société. […] Enfin, surtout, il a tort, et ses travers, jusqu’ici excusables, nobles, héroïques même143, deviennent une faute véritable quand, pour tous les ridicules, tous les vices qu’il voit autour de lui, il conçoit contre l’humanité cette haine violente qu’il ne cesse d’exprimer depuis la première scène jusqu’à la dernière : Tous les hommes me sont à tel point odieux Que je serois fâché d’être sage à leurs yeux. […] Potier, d’accord avec lui, essaya d’en esquiver une en faisant croire quelle avait été faite avant l’arrivée du médecin ; mais cet innocent mensonge ayant été fortuitement découvert ne servit qu’à lui attirer une rude mercuriale, et à faire exécuter, sous les yeux du médecin même qui envoya chercher le chirurgien à l’instant, une saignée plus copieuse encore. » (Vie de Gassendi par Sorbier, en tête de ses Œuvres, Florence, 1728.)